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B : La prévention du risque de déraison

Dans le document Doute scientifique et vérité judiciaire (Page 50-55)

Il ne faudrait pas que sous couvert de l’intime conviction, la vérité judiciaire échappe à tout fondement normatif et ne respecte aucune procédure cartésienne de raisonnement. C’est pour prévenir ce péril qu’un cadre est posé à l’intime conviction. Il se compose de l’obligation de motivation et du serment des auteurs du jugement. Mais ces palliatifs, nous le démontrerons, ne réduisent pas le risque de déraison à néant.

1 : L’obligation de motivation des décisions de justice

En ce qui concerne l’obligation de motivation, elle se définit comme l’impératif pesant sur le juge de justification de la réponse donnée à la problématique juridique qui lui est soumise. Elle se matérialise par la rédaction d’un jugement composé de deux parties : les motifs d’une part, qui correspondent aux arguments convaincants présents dans le dossier et débattus à l’audience ; le dispositif d’autre part, qui synthétise les conclusions que le juge a pu en tirer. De la sorte son raisonnement est dévoilé au grand jour, il devient critiquable par les justiciables et sanctionnable par les juges d’un échelon supérieur.

Critiquable par les justiciables, car la raison d’être de cette obligation de motivation se trouve dans la nécessité de permettre à tout justiciable de comprendre pourquoi63 leurs

revendications sont accueillies ou refusées. Pourquoi la culpabilité est avérée ou non. Et parfois, le législateur impose même au juge de justifier la sanction qu’il prononce. Cette transparence assure donc une vertu pédagogique et contribue à l’acceptation de la décision. En cas d’incompréhension et donc d’apparence déraisonnable de l’argumentation, le justiciable pourra contester la décision devant des juges d’un échelon supérieur.

Critiquable par d’autres juges car l’intime conviction ne doit pas révéler une contradiction entre les arguments exposés et les conclusions qui en sont tirées, la qualité de la justice serait en péril. Si tout étaye la culpabilité et que rien ne laisse présager une quelconque irresponsabilité, à l’évidence la Cour de cassation sanctionnera une telle décision quand bien même le for intérieur du juge lui inspirait une condamnation. Et toutes ces critiques auxquelles s’expose le juge pèsent psychologiquement sur lui et constituent de fait un rempart contre l’arbitraire.

Pour mieux le comprendre, il faut analyser l’influence psychologique de cette obligation de motivation. Le juge ressent une intuition, un pressentiment, un instinct qui par définition n’est pas explicable. Pourtant, il va devoir en livrer le contenu en convaincant les membres du corps judiciaire de son bienfondé. Il faudra alors que son intuition puisse être partagé par ceux ayant bénéficiés de cette même formation de magistrat. Et en plus, elle devra être comprise par ceux à qui elle s’adresse en premier lieu: la victime et la personne 







63HUYETTE Michel. L’intime conviction. p1. Disponible sur http://psydoc-fr.broca.inserm.fr. Consulté le 10

poursuivie. Par conséquent, il devra rendre sa décision compréhensible et dicible. Apposer dans un écrit public un sentiment privé purge l’intime conviction de tout préjugé extravagant et inexplicable. « la motivation », pour Michel Huyette est alors « la démonstration que la

conviction du juge est le résultat d’une analyse des points essentiels du dossier et qu’elle est sérieusement étayée »64.

Ainsi, le passage d’un sentiment personnel à une explication rationnelle compréhensible des autres et surtout des parties au procès permet de s’assurer du bien fondé de la démarche intellectuelle et de réduire l’aléa moral.

Pour toutes ces raisons, l’obligation de motivation est présente partout où se trouve l’intime conviction65 ou presque. En effet, il n’y a qu’une hypothèse où l’intime conviction n’est pas contrebalancé par l’obligation de motivation et non des moindres : il s’agit des arrêts rendus par les Cours d’assises.

Cette exception existe depuis l’affirmation de l’intime conviction c'est à dire depuis l’époque révolutionnaire. Les cahiers de doléances en 1789 réclamaient la présence de jurés populaires au sein des tribunaux. L’assemblée nationale constituante le 30 avril 1790 l’institut en matière criminelle. Depuis lors, elle demeure et se trouve aujourd’hui consacrée à l’article 353 du code de procédure pénale : « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par

lesquelles ils se sont convaincus (…) la loi ne leur fait que cette seule question : « Avez vous une intime conviction ? »66. L’absence de motivation s’explique par le fait que la décision est

nécessairement compréhensible par les justiciables puisque les membres du jury qui la forgent en constituent un échantillon. Ensuite, nul ne saurait contrôler le bien fondé du raisonnement du peuple puisque les lois sont le fruit de leur consensus et les décisions sont habituellement rendues en leur nom. Par conséquent, ils peuvent être déliés de toute obligation de motiver leur décision.

Pourtant, et c’est légitime, on peut s’étonner de l’absence de ce contre poids devant la juridiction qui traite des affaires les plus graves. A ce titre l’obligation de motivation des 







64 HUYETTE Michel. L’intime conviction. p3. Consulté le 10 mars. Disponible sur http://psydoc-

fr.broca.inserm.fr. Consulté le 10 mars 2010.

65Article 455 du code de procédure civile 2010. Articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale 2010. 66Article 353 du code de procédure pénale 2010.

décisions d’assises est revendiquée dans le rapport Léger67 et par de nombreux universitaires68. Les raisons sont celles qui justifient la présence de l’exigence hors de la Cour d’assises. Toutefois, matériellement, obtenir une justification unique de la part de l’ensemble des jurés serait complexe, d’autant que l’unanimité n’a pas à être acquise pour forger la décision. Pour le moment rien n’est communiqué sur ce point dans l’avant projet de réforme du code de procédure pénale. Mais ce qui est certain, c’est qu’il y a un siècle le législateur a souhaité légitimer la justice criminelle par le truchement du peuple au risque finalement de verser dans l’arbitraire.

Parce que l’obligation de motivation n’est pas imposée à tous les échelons, la protection contre l’usage déraisonnable de l’intime conviction n’est pas totale.

2 : Le serment des intervenants au procès pénal

En outre, un autre rempart se dresse au dévoiement de la liberté d’appréciation du juge. Il s’agit des serments prêtés par les acteurs du jugement. Les professionnels jurent se conduire « en tout comme un digne et loyal magistrat »69. Formule sobre mais suffisamment générale pour pouvoir y inclure les valeurs attendues de lui. Par contre, les particuliers amenés à participer à une procédure d’assises prêtent un serment nettement plus long et détaillé. Le président leur dicte la conduite à tenir « vous jurez et promettez (…) de vous

rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter, de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction »70. Le point crucial réside dans la force du doute. Si rien ne persuade le juré péremptoirement alors l’acquittement sera présent. Et, aux assises, il existe nécessairement un point de doute, c’est le jeu des avocats qui le veut. Donc tout débat d’assises pourra nourrir un doute qui si il n’est pas dépassé par d’autres éléments convaincant aboutira à l’acquittement. Et c’est ici que se trouve le rempart à l’intime conviction chez les jurés, cet obstacle empêche l’arbitraire en privilégiant l’accusé. Et cette solution peut être louée puisque comme le veut 







67Rapport du comité de réflexion sur la justice pénale. Remis le 1er septembre 2009. Proposition 11, p38.

68HUYETTE Michel. L’intime conviction. Disponible sur http://psydoc-fr.broca.inserm.fr. Consulté le 20 mars

2010.

69Art 6, ordonnance 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. 70Art 304 du code de procédure pénale 2010.

l’expression : « mieux vaut un coupable dans la rue qu’un innocent en prison ». Mais ces serments permettent aussi, aux jurés d’avoir une conviction déconnectée de la réalité et de l’affirmer lors de son vote sur la culpabilité.

Par conséquent, l’obligation de motivation comme les serments de loyauté et de bon sens ne permettent pas d’assurer efficacement une absence de partialité dans l’élaboration de la décision de justice.

Par la gestion de la preuve au travers de règles et par l’interprétation de ces preuves, le législateur a tenté d’utiliser le doute au profit d’une réflexion rationnelle et adaptée à la réalité de la société et des exigences de justice pénale. Le législateur en instrumentalisant le doute tente de rendre la justice meilleure. Par la preuve, le juge obtiendra des éléments de légitimation et par l’intime conviction des éléments d’humanisation de la décision judiciaire. Ne se bornant pas à garantir l’utilisation raisonnable du doute, le législateur lui fixe également des limites.

Section 2 : La circonscription du doute

Pour circonscrire le doute il faut agir en amont de la décision judiciaire, sur les données dont la fiabilité est controversée. Pour cela, le législateur a choisi de circonstancier le recours à l’expertise ( §1 ) et de rechercher une véritable expertise qualifiée ( §2 ).

§ 1 : Le recours à l’expertise circonstancié

Il y a une circonscription du doute au travers de la domination légale et judiciaire du recours à l’expertise d’une part ( A ) et de la libre fixation du contenu de l’expertise d’autre part ( B ).

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