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B : Des difficulté de communication avérées

Dans le document Doute scientifique et vérité judiciaire (Page 83-86)

La justice incarne les certitudes, la psychiatrie les doutes. Ne partageant pas les mêmes spécificités, leurs conjugaisons s’avèrent difficiles, le dialogue mal aisé entre leurs protagonistes l’illustre. Il l’est d’abord pour des considérations d’ordre rhétorique et lexicologique. Il l’est ensuite pour des raisons tenant à la déontologie de l’expert psychiatre.

1 : Les difficultés pratiques

« L’expert doit éclairer la décision du juge. Cette idée d’éclairage est intimement liée à la forme langagière du rapport d’expertise. L’expert a la liberté d’exprimer des points de vues sur des faits, d’accentuer tel ou tel aspect de la signification d’un fait. Il peut jouer sur

des niveaux de sens. Le magistrat ne jouit pas d’une telle liberté, la décision qu’il doit donner est enfermée dans une logique de oui-non »118. Comme le souligne Messieurs Bourcier et De

Bonis, l’éclairage de l’expert peut être tantôt obscur tantôt insuffisant aux yeux du juge. La première difficulté tient à la terminologie employée par l’expert psychiatre dans son rapport. Il est souvent sibyllin et spécifique. Idéalement, leur destinataire devrait se référer aux dictionnaires des termes médicaux et aux ouvrages de pathologies psychiatriques. Mais le temps manque aux magistrats qui, il faut bien l’avouer, en font souvent une lecture rapide limitée aux termes conclusifs119. Si dans les neurosciences, tout magistrat digne de ses

fonctions semble en mesure d’en comprendre les conclusions indépendamment du raisonnement, il semble que ce ne soit pas le cas des sciences de l’esprit. Sinueuses et complexes, les conclusions des experts ne peuvent être comprises, ni dans leurs sens et ni dans leurs portées, sans une formation minimale et a fortiori sans prendre connaissance du cheminement médical permettant d’y aboutir. Cet obstacle est de taille puisqu’il sera bien difficile pour le juge d’asseoir une vérité judiciaire sur des éléments certes heuristiques mais qui lui sont inaccessibles.

La seconde obstruction à la perfection du dialogue juge – expert puise sa source dans l’impuissance de la psychiatrie à répondre aux exigences de la justice. Cela entraine une réponse de l’expert inadaptée aux attentes du juge. Selon les exigences de la justice, la réponse médicale aux interrogations juridiques ne peut qu’être binaire : positive ou négative. Or, la psychiatrie est une science relative où les symptômes s’entremêlent au sein des variantes pathologies. Par conséquent, l’expertise apparaitra inadaptée aux attentes de la justice. Le juge ne pourra pas systématiquement faire correspondre une donnée scientifique à une conséquence juridique. Souvent la justice dénoncera le machiavélisme de la psychiatrie qui lui livre des expertises contradictoires. Mais il faut l’admettre, parfois le doute ne peut pas être levé, pas même par les plus éminents experts. La psychiatrie est le domaine expertal le plus sujet à des conclusions contradictoires120 que nul ne peut trancher. Ceci s’explique légitimement par la multiplicité des écoles psychiatriques, des classifications pathologiques ;









118BOURCIER et DE BONIS. Les paradoxes de l’expertise. Savoir ou juger ?. p19. In, DALBIGNAT-

DEMARO Gaëlle. Vérité scientifique et vérité judiciaire en droit privé. LGDJ, 2004. 497p.

119ARNOULD Fabrice. Débats judiciaires Médecine et psychiatrie, un atout pour la justice. Conférence de

l’institut d’études judiciaires « Pierre Raynaud ». 16 mars 2010.

et surtout par le caractère changeant de l’état physique et psychique d’une personne entre deux expertises.

Parce que la psychiatrie n’entre pas dans les carcans du droit, parce que le juge n’est pas un psychiatre, la facilité d’adéquation de ces savoirs est un leur. Les efforts de coopérations doivent être fournis au quotidien. Ils seront vains sans la prise de conscience des impératifs déontologiques imposés aux médecins psychiatres.

2 : Les difficultés déontologiques

Les problèmes de communication peuvent être aussi issus du respect par les médecins de leurs obligations découlant du secret professionnel. Mais parce qu’ils interviennent au service de la justice défenseur de l’intérêt général, les règles l’encadrant ne sont pas générales et absolues mais fonctionnelles et finalistes. Dès lors qu’il en va de l’intérêt du patient, le secret peut être rompu. Plus précisément, le respect du secret médical est observé dès lors que le contenu du rapport est limité à ce qui est directement et exclusivement nécessaire à l’accomplissement de la mission et à la réponse aux questions posées121. Ainsi en théorie, le secret médical ne saurait constituer un obstacle à la relation du juge et de l’expert. Toutefois, il a vocation à créer un climat de confiance entre le patient et le médecin. Par l’exception partielle au secret médical dont profite la justice, il semblerait qu’elle profite de ce sentiment de sécurité du poursuivi qui se confie à son interlocuteur, inexistant dans le cadre strictement judiciaire. L’expert, n’oubliant pas sa profession de médecin, s’opposera à toute « trahison » qui n’est pas justifiée par une injonction du juge et n’entre pas dans l’exception au secret médical.

En somme, la relation pragmatique du juge et de l’expert est dominée par les connaissances scientifiques du psychiatre. La recherche d’un équilibre au moyen de lois permettant au juge de circonscrire l’expertise et d’en conférer la valeur qu’il souhaite n’est 







que théorique. Ainsi dépassé par la technicité de la science, le juge s’y abandonne compromettant alors toute possibilité d’équilibre vertueux entre la vérité judiciaire et le doute scientifique.

Dans le document Doute scientifique et vérité judiciaire (Page 83-86)