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A : Une intervention favorisée de la raison

Dans le document Doute scientifique et vérité judiciaire (Page 47-50)

L’intime conviction n’est autre que l’influence de la raison du juge dans l’élaboration de la vérité judiciaire. Elle s’impose comme un intermédiaire indispensable pour dépasser le doute scientifique et aboutir à la vérité judiciaire. Ce concept résulte de l’évolution du droit et des pensées doctrinales. Il s’inscrit finalement comme un dogme inéluctable.

1 : La raison d’être de l’intime conviction

Il existe une dichotomie intéressante entre la médecine et la justice. Si la première peut accomplir sa finalité avec des connaissances faillibles, la seconde ne peut poursuivre son dessein sans s’appuyer sur des postulats. Concrètement, s’il n’est pas choquant que la médecine soigne sans diagnostic certain, cela l’est davantage lorsque la justice rend une décision sans fondement.

La science face à ses failles n’aboutira pas toujours à une conclusion, ce qui n’empêchera pas la médecine d’envisager de soigner les symptômes d’une maladie dont le diagnostic n’est pas connu. Dans la psychiatrie par exemple, les pathologies connaissent des manifestations évolutives et des frontières permissives au point qu’une maladie mentale ne se dégage pas

toujours avec certitude. Pour autant un traitement sera préconisé, la science ne sera pas bafouée.

La justice, elle, au nom d’un impératif d’ordre social, se doit d’assurer une réponse curative, dissuasive, répressive, mais n’en maitrise pas toujours les éléments. Dès lors qu’une infraction est commise, une sanction s’impose quand bien même les expertises ne révèleraient aucune évidence permettant de rendre la justice. Par conséquent, pour légitimer une décision qui n’a pas de fondement certain, il faut s’appuyer sur une conviction rationnelle et juridique. La clef du passage de l’incertitude des preuves à la décision péremptoire réside alors dans l’intime conviction. En définitive, cette démonstration de l’utilité de la raison humaine dans le jugement jalonne les siècles de théoriciens et de praticiens.

2 : Les fondements de l’intime conviction

Historiquement, deux évolutions antiques expliquent la place contemporaine de l’intime conviction. Tout d’abord, pour les grecs et les romains, l’Homme s’imposait comme l’acteur privilégié pour porter un jugement sur ses pairs. Chez les grecs, la recherche était tournée vers le for intérieur de l’Homme. Seul le juge, par sa conscience et sa moralité serait à même d’imaginer le comportement et la pensée de ses semblables. Pour les romains, tous les individus partagent les valeurs du juste et de l’injuste, il revient donc à un de ceux ci d’en affirmer les frontières et d’en préserver la teneur. Ensuite, le serment de loyauté des juges faisait à l’origine allusion à l’intervention divine conférant à leur raisonnement une force décisoire. Mais rapidement, ils furent simplement pris à témoin d’une vérité c'est à dire qu’ils se présentèrent comme les portes parole du blâme sociétal adressé à l’auteur du crime ou du délit, lequel rôle pourrait aussi bien être assuré par l’ensemble des membres de la société. Pour finir, ce sont les bouleversements idéologiques de la fin du XVIIIème siècle qui ont permis aux révolutionnaires de sceller le principe de l’intervention de l’Homme au travers de la consécration de l’intime conviction.

Cette charge de transformer le doute en vérité incombant aux membres du corps judiciaire a également été soutenue comme une exigence de bonne justice par les doctrines successives. En effet, confier l’appréciation des preuves aux jurés et magistrats constitue une garantie d’humanisme et de rationalisme judiciaire. Dans cet esprit, Beccaria dans son traité

des délits et des peines énonce : « je considère comme excellente la loi qui donne au juge

principal des assesseurs désignés par le sort et non à la suite d’un choix parce que, dans ce cas, l’ignorance qui juge d’après son sentiment est plus sure que le savoir qui décide selon une opinion »59. Ce maître du droit pénal apporte un élément nouveau à la réflexion. Pour lui, la présence d’une ignorance permet de rendre une décision objective intuitive et meilleure qu’une solution sciemment orientée, dictée par un savoir teinté de subjectivité. De prime abord, ce raisonnement qui prône l’ignorance dans l’élaboration de la justice intrigue. Mais, il est tout à fait compréhensible lorsque l’on sait que l’ignorance est meilleure que les préjugés et qu’elle permet de tempérer un risque d’arbitraire. C’est ainsi que les révolutionnaires rejoignirent sa pensée en instaurant les jurés populaires.

3 : La notion d’intime conviction

La doctrine et la loi reconnaissent l’intime conviction au nombre des principes traditionnels du droit. Pour en découvrir les tenants et aboutissants, il convient de s’en référer aux grands penseurs. A ce titre « convaincre c’est prouver en ôtant le doute » selon Jacques Prévost. Pour Faustin Hélie, il s’agit d’ « une espèce de tact qui dans chaque circonstance,

fait sentir le caractère bon ou mauvais des actions »60. La lexicologie informe que la conviction confère à « un acquiescement fondé sur des preuves évidentes »61 et l’intimité désigne « ce qui est le plus au dedans le plus essentiel » « qui existe au fond de l’âme »62.

L’intime conviction désigne à la fois les vérités extérieures de nature à convaincre les magistrats ( conviction ) et les certitudes qui lui sont intrinsèques ( intime ). Toute la difficulté réside dans la juxtaposition de termes semblant contraires « intime » et « conviction ». Est ce un regard personnel porté sur des éléments extérieurs ou est ce une opinion personnelle confirmée par des données extérieures ? Lequel influence l’autre : l’instinct ou le certain ? On 







59BECCARIA.In, DOLT Jean-Philippe. L’appréciation des preuves par les jurés pour la formation de leur

conviction intime : mythe ou réalité ?. Revue internationale de droit pénal. 1995, p203.

60In, DOLT Jean-Philippe. L’appréciation des preuves par les jurés pour la formation de leur conviction intime :

mythe ou réalité ?. Revue internationale de droit pénal. 1995, p221.

61Dictionnaire Le petit Robert. In, DOLT Jean-Philippe. L’appréciation des preuves par les jurés pour la

formation de leur conviction intime : mythe ou réalité ?. Revue internationale de droit pénal. 1995, p222.

62 Dictionnaire Litré. In, Huyette Michel. L’intime conviction. p3. Disponible sur http://psydoc-

pourrait croire que le débat est futile mais en pratique il est de taille puisqu’il s’agit de savoir si l’intime personnel domine le convaincant universel ou non. Le fait que le substantif intime soit antéposé au terme conviction laisse penser que le pressentiment personnel étaye le regard sur les preuves extérieures et non que les preuves extérieures jalonnent le pressentiment. Autrement dit, l’intime conviction est davantage le fruit du for intérieur. S’il s’était s’agit d’une conviction intime alors la part d’élément extérieur aurait occupé une place prépondérante dans le jugement.

En définitive, si le juge peut élaborer une vérité judiciaire à partir d’expertises ou de preuves qui peuvent être fausses c’est grâce à son appréciation raisonnable et sage de ces indices. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que l’intime conviction constitue un trait d’union entre le doute scientifique et la vérité judicaire. Quand bien même la vertu de ce concept n’est elle plus à prouver, il n’est pas sans danger. Car, l’aléa présent dans cette appréhension humaine de l’ambigüité des données à l’appui desquelles il devra rendre justice est source d’arbitraire. Conscients de la faille de ce concept, les révolutionnaires lui ont immédiatement adjoint des mécanismes pour éviter de sombrer dans une justice discrétionnaire.

Dans le document Doute scientifique et vérité judiciaire (Page 47-50)