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Introduction et objectif

La compréhension des processus de biominéralisation carbonatée et des mécanismes de formation et de croissance des cristaux a fortement évolué au cours de ces dix dernières années (Banfield et al, 2000, Addadi et al, 2003, Weiner and Addadi, 2011). La présence et l’importance du carbonate de calcium amorphe (ACC) et son rôle pivot dans le processus de biominéralisation comme forme plus réactive et soluble que la forme cristalline ont été mis en évidence. Sa présence dans différents organismes (crustacés, spicules d’oursins) comme forme de stockage de calcium ou/et précurseur transitoire de la forme cristalline a été rapportée (Addadi et al, 2003).

La minéralisation de la coquille d’œuf de poule est un autre processus de minéralisation dans lequel le carbonate de calcium amorphe pourrait être un intermédiaire transitoire important pour l’élaboration de la structure minérale en calcite. Dans cette étude, nous avons utilisé différentes techniques physiques (microscopie électronique à balayage, diffraction aux rayons X, spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier) pour suivre l’évolution de la composition chimique, minéralogique et cristalline de la coquille afin de mieux comprendre les phases précoces du processus de minéralisation et le rôle des formes désordonnées (e.g. ACC) du carbonate de calcium dans ce système.

Résultats et discussion

Des coquilles en cours de formation ont été prélevées à trois temps différents de la phase initiale de la minéralisation : 5 heures, 6 heures et 7 heures après l’ovulation. Dans cette première phase, le dépôt de carbonate de calcium est lent. La masse de la coquille évolue de 0,18 g à 0,39 g entre 5 et 7 heures après l’ovulation. Des coquilles ont également été prélevées au cours de la phase de croissance linéaire (16 heures après l’ovulation) qui correspond au développement de la couche palissadique formée de colonnes cristallines avec une orientation privilégiée de la calcite. Dans cette seconde phase, le dépôt de carbonate de calcium est plus rapide (0,33 g/heure). La masse de la coquille qui est de 2,7 g 14 heures après l’ovulation atteint 3,3 g 16 heures après l’ovulation.

Les coquilles ainsi prélevées ont été analysées à l’aide de différentes techniques physiques :

- la microscopie électronique à balayage pour réaliser des observations in situ des échantillons.

- la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier pour étudier la composition chimique globale de la coquille (détermination des liaisons chimiques présentes) ainsi que les différents états du minéral déposé (forme amorphe ou cristalline et type polymorphique).

- la diffraction aux rayons X pour déterminer la composition chimique et le type polymorphique du minéral déposé.

Les observations en microscopie électronique à balayage conduisent aux résultats suivants. Sur les échantillons prélevés 5 heures après l’ovulation, seuls les noyaux mamillaires (amas de matière organique), répartis de façon régulière sur les membranes coquillières, sont observés. Des particules minérales réparties sur toute la surface des membranes sont visibles sur certains des échantillons. Les résultats de l’analyse dispersive aux rayons X montrent que ces particules sont majoritairement formées de calcium et de carbone, ce qui laisse à penser qu’il s’agit de carbonate de calcium. Cependant, ce carbonate de calcium ne présente pas de caractéristique cristalline. Il serait sous forme amorphe. Les échantillons prélevés 6 heures après l’ovulation présentent des dépôts minéraux sur les noyaux mamillaires. Pour certains des échantillons, ces dépôts ont les caractéristiques cristallines de la calcite. De larges cristaux de calcite rhomboédrique sont observés sur les échantillons prélevés 7 heures après l’ovulation. Pour les échantillons prélevés 14 heures après l’ovulation, seule la surface des cristaux ayant fusionné est visible en microscopie électronique.

Les premières observations microscopiques sont complétées par les deux autres techniques employées.

Les différents pics correspondant au carbonate de calcium sont analysés par étude des spectres infrarouges. Au stade 5 heures après l’ovulation, sont présents deux pics à 1390 cm-1 et à 873 cm-1 qui correspondent au carbonate de calcium total (amorphe et cristallin, Figure 3 A de l’article n°3). L’absence d’un pic spécifique du carbonate de calcium sous forme cristalline indique que la quasi-totalité du carbonate de calcium présent 5 heures après l’ovulation est sous forme amorphe, en cohérence avec les observations microscopiques précédentes. Aux stades 6, 7 et 14 heures après l’ovulation, le pic correspondant à la calcite

(713 cm-1) apparaît en plus des deux autres pics de façon de plus en plus marquée au cours du temps (Figure 3 A de l’article n°3). Aucun autre pic caractéristique de l’un des deux autres polymorphes cristallins du carbonate de calcium n’est visible, indiquant que la coquille est uniquement formée de calcite. L’aire des deux pics à 873 cm-1 et 713 cm-1 a été déterminée et le ratio aire pic carbonate de calcium total/aire du pic calcite calculé. Ce ratio est élevé (>10) pour les échantillons prélevés 5 heures après l’ovulation, ce qui signifie que la grande majorité du carbonate de calcium présent est sous forme amorphe. Il diminue pour les autres échantillons prélevés 6, 7 et 14 heures après l’ovulation jusqu’à atteindre un peu plus de 4 pour les échantillons prélevés 14 heures après l’ovulation (Figure 4 C de l’article n°3). Cette diminution du ratio ainsi que l’apparition du pic spécifique de la calcite traduisent la transformation progressive du carbonate de calcium amorphe en calcite. Le léger déplacement du pic de carbonate de calcium total vers une valeur de 869 cm-1 pour les échantillons prélevés à 5 heures après l’ovulation suggère la présence de deux phases de carbonate de calcium amorphe : une instable et rapidement dissoute et l’autre métastable qui est présente avec la calcite tout au long de la minéralisation. De plus, les positions des pics à 1390 cm-1 et à 873 cm-1 presque identiques quel que soit le stade de prélèvement indiquent que le carbonate de calcium amorphe a une pré-orientation calcitique. La forme du pic à 1390 cm-1 est également la même pour tous les échantillons et ne présente pas de dédoublement (caractéristique des polymorphes carbonatés hydratés tels que la monohydrocalcite), ce qui prouve que le carbonate de calcium amorphe présent est anhydre.

Les échantillons prélevés 5 heures après l’ovulation ne diffractent pas les rayons X, indiquant qu’aucune forme cristalline n’est présente dans l’échantillon. Cela confirme la nature amorphe du minéral déposé. Les échantillons prélevés 6 heures, 7 heures et 14 heures après l’ovulation diffractent les rayons X de façon de plus en plus importante. Les diffractogrammes obtenus sont caractéristiques de la calcite, confirmant la présence de cette unique forme cristalline dans la coquille. La faible diffraction des rayons X pour les échantillons prélevés 6 heures après l’ovulation indique la présence de nanocristaux de calcite. Par contre, la diffraction plus intense pour les échantillons prélevés 7 heures après l’ovulation suggère la présence de microcristaux de calcite. Pour les échantillons prélevés à 14 heures après l’ovulation, la diffraction plus marquée et la présence d’un faible nombre de spots d’une luminosité importante montre la présence de larges unités cristallines de calcite dans la coquille (Figure 5 de l’article n°3).

Les résultats de ces différentes expériences sont complémentaires et mettent en évidence

in situ pour la première fois du carbonate de calcium amorphe chez un vertébré. Ce carbonate

de calcium amorphe présente plusieurs avantages. Il apparaît plus réactif et plus soluble que les formes cristallines : l’énergie nécessaire à chacune des transformations des ions en solution en carbonate de calcium amorphe et du carbonate de calcium amorphe en calcite est ainsi plus faible que celle nécessaire à la transformation directe des ions en solution en calcite. Il pourrait de même servir de réserve temporaire de calcium et être dissous au cours de la minéralisation. Plusieurs orientations cristallines de faible ordre sont observées pour le carbonate de calcium amorphe (concept de polyamorphisme) (Cartwright et al, 2012). Elles détermineraient le type polymorphique du carbonate de calcium cristallin ensuite formé (calcite pour la coquille d’œuf de poule et les spicules d’oursins, calcite ou aragonite pour les coquilles de mollusques bivalves nacro-prismatiques). Un scénario des différents évènements se déroulant lors de l’initiation de la minéralisation est représenté Figure 8 de l’article n°3. La calcification de la coquille débute environ 5 heures après l’ovulation par le dépôt des noyaux mamillaires et du carbonate de calcium désordonné de type amorphe sur toute la surface des membranes coquillières. La majorité de ce carbonate de calcium amorphe est dissous 6 heures après l’ovulation pour former les premiers cristaux de calcite localisés autour des noyaux mamillaires. La conversion du carbonate de calcium amorphe en calcite se ferait selon un processus de transformation directe à l’état solide. De larges unités cristallines se sont développées 7 heures après l’ovulation. Une certaine quantité d’ACC est toutefois présente au front de minéralisation. Les unités cristallines ont fusionné 14 heures après l’ovulation pour laisser apparaître la structure finale de la coquille.

Tous ces évènements se produisent au sein du fluide utérin où les conditions physico-chimiques sont contrôlées. Le dépôt d’une phase minérale aboutissant à la structure ordonnée de la calcite implique un contrôle et une stabilisation de l’ACC par les protéines de la matrice organique. Les observations expérimentales réalisées dans cette étude sont cohérentes avec les observations in vitro qui montrent que l’ovalbumine a la capacité de stabiliser le carbonate de calcium sous forme amorphe (Wang et al, 2009a, Wang et al, 2010, Wolf et al, 2011), et les simulations moléculaires qui indiquent que l’ovoclédine-17 pourrait catalyser la transformation du carbonate de calcium amorphe en calcite (Freeman et al, 2010, Freeman et

al, 2011). La prochaine étude expérimentale consistera donc en une analyse protéomique de la

matrice organique de la coquille sur les mêmes échantillons afin d’identifier les constituants intervenant dans les différents évènements minéralogiques mis en évidence par cette étude.

Conclusion

Cette étude a permis de définir les différentes étapes de l’initiation de la minéralisation de la coquille et d’établir un scénario des transformations minérales résultantes. La mise en évidence in situ du carbonate de calcium amorphe chez un vertébré constitue l’avancée majeure de ce travail. Ce dernier, présentant une structure proto-calcitique, est dissous pour fournir les ions nécessaires à la calcification.

Cette étude a été élaborée et dirigée par le docteur Alejandro Rodriguez-Navarro, de l’université de Sciences de Grenade (Espagne). J’ai collaboré à cette dernière lors d’un séjour au sein de son laboratoire en 2013. Cette étude a abouti à la rédaction de l’article présenté ci-après, dont je suis le deuxième auteur :

Article n°3, intitulé « Amorphous calcium carbonate controls avian eggshell mineralization: a new paradigm for understanding rapid eggshell calcification » a été publié dans Journal of Structural Biology (Impact factor 3.369).

Ces travaux ont fait l’objet de présentations lors de congrès internationaux et nationaux :

XIVth European Poultry Conference (23-26/06/2014), présentation affichée (P. Marie)

16èmes Journées Françaises de la Biologie des Tissus Minéralisés (14-16/05/2014), présentation orale (P. Marie)

Article n°3 :

« Amorphous calcium carbonate controls avian eggshell