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1 Discussion générale

1.2 Inventaire global des protéines de la matrice organique

L’identification et la caractérisation des protéines de la matrice organique nous a conduits à effectuer un inventaire global de cette dernière. Dans une première étape, les trois principaux stades de la minéralisation ont été explorés par une analyse du fluide utérin. Celui-ci est bien adapté pour une étude protéomique car il contient tous les précurseurs minéraux et organiques de la coquille sous forme soluble et son analyse ne requiert pas d’étape préalable de dénaturation. Au total, 308 protéines ont été identifiées dans le fluide utérin (articles n°1 et 2). Dans une seconde étape, nos études ont ciblé l’initiation de la minéralisation, phase cruciale pour l’établissement de l’ultrastructure de la coquille et la détermination des

propriétés mécaniques qui en découlent. Trois étapes essentielles de cette phase où la vitesse de minéralisation est faible ont été étudiées. Une comparaison a été effectuée avec une étape de la phase de croissance linéaire, où le dépôt minéral est le plus rapide. Au total, 216 protéines de la matrice organique de la coquille ont été identifiées dans cette étude (articles n° 4 et 5).

Les protéines que nous avons ainsi mises en évidence ont ensuite été comparées aux protéines identifiées au cours d’études protéomiques antérieures. Mann et collaborateurs (Mann et al, 2006, Mann et al, 2007a) ont caractérisé la matrice organique solubilisée à partir de la coquille achevée, sans distinguer les différentes couches, mais en incluant la recherche spécifique des protéines phosphorylées. Sun et collaborateurs (Sun et al, 2013) ont réalisé un protéome de la matrice organique solubilisée et ont comparé des coquilles fragiles et résistantes. Ces coquilles étaient prélevées au cours de leur formation lors de la phase de croissance (18 heures après l’ovulation) et les protéines caractérisées correspondent à celles déposées dans les couches mamillaires et palissadiques. Dans deux autres études, Miksik et collaborateurs (Miksik et al, 2007, Miksik et al, 2010) ont divisé la coquille achevée en quatre fractions (couche mamillaire, deux fractions de la couche palissadique et cuticule) et ont identifié les protéines de la fraction insoluble de la matrice organique dans chacune des fractions. Les résultats de ces dernières études restent cependant limités puisque seulement 6 et 28 nouvelles protéines ont été identifiées dans chacune de ces études (Miksik et al, 2007, Miksik et al, 2010). Dans une étude récente, Rose-Martel et collaborateurs (Rose-Martel et al, 2012) ont caractérisé 47 protéines dans la cuticule, couche organique la plus externe de la coquille. Sun et collaborateurs (Sun et al, 2013) ont été les premiers à s’intéresser aux protéines présentes dans le fluide utérin, comparant les protéines présentes dans celui de poules pondant des œufs soit à coquilles fortes soit à coquilles faibles. Comme pour leur étude portant sur la coquille, les prélèvements ont eu lieu à un seul temps de la calcification de la coquille, 18 heures après l’ovulation du jaune.

Notre première ambition a été de rassembler tous les identifiants protéiques mis en évidence dans ces études et d’éliminer la redondance existante entre les protéines par une analyse bioinformatique. Ce travail d’intégration permet d’obtenir une liste non redondante des protéines identifiées à ce jour dans la coquille et dans le fluide utérin. Elle pourra servir de base de comparaison lors d’études futures sur la coquille ou le fluide. Nous avons ainsi pu établir deux listes cohérentes des constituants de la matrice organique composées de 550 protéines pour le fluide utérin et de 675 protéines pour la coquille (article n°1). La comparaison des listes de protéines mises en évidence au cours de nos différentes études avec

ces listes non redondantes a établi que 94 protéines étaient identifiées pour la première fois dans le fluide utérin (article n°1) et 24 dans la coquille (article n°4). Nous avons ainsi porté le nombre des protéines identifiées dans le fluide utérin à 644 (article n°1) et celui des protéines identifiées dans la coquille à 699 (article n°4). L’ensemble de nos travaux a permis d’apporter de nouvelles connaissances sur la composition protéique de la coquille ainsi que sur celui de son milieu de formation, le fluide utérin.

Au cours de la rédaction de cette thèse, deux nouvelles études portant sur la matrice organique de la coquille sont parues. Dans la première, Miksik et collaborateurs (Miksik et al, 2014) analysent la fraction insoluble de la cuticule, la couche organique la plus externe de la coquille, et identifient 29 protéines toutes identifiées au préalable dans la coquille ou le fluide utérin. L’abondance de 14 d’entre elles diffère en fonction de la zone de cuticule étudiée (taches de pigmentation de diamètre d’environ 300 µm, taches de pigmentation de diamètre d’une dizaine de µm ou zone autour des taches). Dans la seconde, Rose-Martel et collaborateurs (Rose-Martel et al, 2015) se sont intéressés à la composition des noyaux mamillaires. Ils ont comparé les protéomes des membranes coquillières sur lesquelles sont ancrés ou non les noyaux mamillaires dans deux modèles différents (œufs fertilisés et œufs non fertilisés). Dans le modèle œufs fertilisés, les coquilles d’œufs ont été prélevées à deux stades du développement embryonnaire, au jour 15 et au jour 19. Au jour 15, 317 protéines uniquement présentes dans les membranes coquillières ont été identifiées. Au jour 19, 168 protéines présentes à la fois dans les membranes coquillières et les noyaux mamillaires ont été identifiées. La comparaison entre les deux listes montre que 57 protéines sont spécifiques du jour 19 et correspondraient aux protéines des noyaux mamillaires dans ce modèle. Dans le modèle des œufs non fertilisés, les coquilles d’œufs ont été traitées ou non à l’acide chlorhydrique pendant 30 minutes. En absence de traitement, 80 protéines uniquement présentes dans les membranes coquillières ont été identifiées. Après traitement à l’acide chlorhydrique, 144 protéines présentes dans les membranes coquillières et les noyaux mamillaires sont identifiées. La comparaison entre les deux listes montre que 70 protéines sont présentes spécifiquement suite au traitement et correspondraient aux protéines des noyaux mamillaires dans ce modèle. Les 57 et 70 protéines considérées comme les protéines des noyaux mamillaires dans chacun des deux modèles ont été comparées et 18 sont communes entre les deux modèles et sont potentiellement des protéines plus spécifiquement présentes dans les noyaux mamillaires. Certaines peuvent lier le calcium ou sont des protéines chaperonnes ou des inhibiteurs de protéases et pourraient jouer un rôle fondamental dans l’initiation de la minéralisation. La comparaison de ces protéines avec celles identifiées au

préalable dans la coquille et le fluide utérin est en cours dans notre laboratoire. Elle permettra d’actualiser les protéomes globaux de la matrice organique de la coquille et du fluide utérin.

1.3 Caractérisation quantitative et fonctionnelle des protéines

Suite à l’inventaire global, l’objectif principal de mes travaux était l’analyse quantitative des protéines prédominantes de la matrice organique de la coquille au cours de différentes étapes-clés du processus de minéralisation. Cette analyse a été couplée à une analyse fonctionnelle des protéines surabondantes en se basant sur l’utilisation des connaissances existantes et d’outils bioinformatiques. Cette nouvelle approche, qui étudie les variations d’abondance des protéines durant la calcification, complète les études antérieures et apporte ainsi de nouvelles informations sur la localisation des protéines selon les différentes couches de la coquille et permet de hiérarchiser les acteurs fonctionnels clés dans chacune des phases du processus de minéralisation.

La première étape s’intéressait au processus de minéralisation dans son ensemble (articles n°1 et 2). Dans cette étude, 96 des 308 protéines identifiées ont été quantifiées à ces trois stades. Parmi ces protéines, 64 présentent une abondance différentielle à au moins un des trois stades. Cinq profils protéiques ont pu être définis. L’étude fonctionnelle des protéines identifiées nous a permis de mettre en évidence 24 protéines qui interviendraient dans la minéralisation et présentes dans l’un ou l’autre des profils. L’analyse protéomique quantitative (articles n°4 et 5) réalisée sur la matrice organique de la coquille nous a permis de déterminer les protéines présentes et potentiellement actives durant les évènements minéralogiques décrits dans l’article n°3. Les 216 protéines identifiées ont été quantifiées dans chacun de ces évènements. Parmi ces protéines, 175 sont surabondantes à au moins un des évènements étudiés. Dix profils protéiques ont été rassemblés en cinq groupes qui peuvent être décrits au regard des évènements minéralogiques définis précédemment. L’étude fonctionnelle des protéines identifiées nous a permis de mettre en évidence 77 protéines qui pourraient être impliquées dans le processus de minéralisation de façon directe ou indirecte et présentes dans l’un ou l’autre des profils.

Parallèlement à ces protéines éventuellement impliquées de façon directe ou indirecte dans le processus de minéralisation, nos travaux révèlent des protéines potentiellement antimicrobiennes. Ces protéines ont pour fonction d’assurer la stérilité de la lumière de l’oviducte et de l’œuf tout au long du processus de formation de la coquille et dans chacune des couches la constituant. Elles sont distribuées de manière équitable dans les différents

profils protéiques mis en évidence au cours de nos analyses (articles n°1 et 4). Leurs fonctions sont détaillées dans les articles n°1 et 5. Une partie de ces protéines correspond à des fragments d’immunoglobulines (chaines légères comme chaines lourdes), qui participent à l’immunité adaptative. L’autre partie correspond à divers composants chimiques intervenant dans l’immunité innée. Différentes stratégies pour lutter contre les pathogènes sont retenues par ces composants : dégradation de certains constituants des pathogènes (le lysozyme dégrade les peptidoglycanes des parois bactériennes des bactéries Gram positives), stockage d’éléments nutritifs essentiels pour les pathogènes qui ne seront alors plus disponibles pour la croissance de ces derniers (l’ovotransferrine stocke le fer) ou activité anti-protéase qui va limiter le pouvoir pathogène des protéases exogènes sécrétées par certaines bactéries pour décomposer les protéines de l’hôte afin de les inactiver ou de les utiliser comme source de nutriments.