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CHAPITRE I : APERÇU SUR LA SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE DU BURKINA FASO

1.2. Présentation du français parlé au Burkina Faso

« Ce qui paraît caractériser le plus le français au Burkina Faso, dans les représentations de ses locuteurs, c’est qu’il se manifeste comme une sorte de trait d’union interethnique –avec la restriction que cela concerne presque uniquement les urbanisés – et un « passeport » pour l’accession au statut de citadin », selon Ouoba (1990 : 79).

Le français parlé au Burkina66 se distingue du français hexagonal par l’emploi d’une norme endogène, marquée par le milieu socioculturel et linguistique du pays. Le mode d’appropriation (école ou par soi-même, au moyen de contacts avec les francophones) permet de distinguer les différents niveaux de langue.

Au niveau sociolinguistique, la langue française présente plus d’une variété au Burkina Faso. À ce titre, des recherches antérieures67 ont porté sur les différentes variétés de français identifiables au Burkina en fonction des classes sociales et du niveau d’études des locuteurs. Les classes considérées sont celles des lettrés, des semi- lettrés, et des non-lettrés. Nacro (1988) utilise dans son approche sociolinguistique du français parlé au Burkina Faso, les terminologies d’acrolecte, mésolecte et

basilecte pour désigner les variétés de français parlés au Burkina Faso. Que faut-il

entendre par français acrolectal, français mésolectal et français basilectal ?

Le français acrolectal est pratiqué par la minorité instruite du pays. Il s’agit du

français standard. Le français acrolectal est généralement utilisé dans les circonstances officielles (enseignement, discours, cérémonies religieuses, mariages…) mais aussi au cours des conversations formelles entres amis instruits. Les caractéristiques de cette

66 Rappelons que, le français est essentiellement parlé au Burkina Faso en milieu urbain et quelque peu

en milieu semi-urbain, notamment dans les zones semi-urbaines comme Gaoua, Fada N’gourma, Ouahigouya, Tougan, Dédougou, Pô, Djibo, etc.

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variété de français sont liées au respect de la norme standard du français tel qu’on l’enseigne à l’école. Cette variété de français est donc réservée aux élites, aux cadres supérieurs, aux étudiants et aux élèves qui, par leurs études, peuvent bien s’exprimer en français. Il est difficile de circonscrire le niveau d’instruction à atteindre pour parler le français acrolectal. Néanmoins, il faut atteindre un certain niveau de culture en français pour s’approprier cette variété de français. Le rapport de recherche de Yaro (2004) qui a porté sur « le français des scolaires au Burkina Faso : Evaluation des niveaux de

compétence » indique qu’il « y a une nette évolution des compétences en français des scolaires du CM2 à la troisième ». Cependant, lors de cette enquête, nous avons observé que ceux qui s’exprimaient correctement en français avaient le niveau d’études du second cycle des lycées et collèges (de la seconde en terminale). Tous ceux qui avaient le niveau BEPC et qui avaient réussi au concours d’entrée à l’ENEP éprouvaient quelques difficultés à s’exprimer très bien en français aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Le niveau de scolarité de notre échantillon étant varié (du niveau BEPC aux études supérieures), nous avons eu l’occasion de constater que ceux qui éprouvaient d’énormes difficultés à explorer le questionnaire de recherche n’avaient que le BEPC. On pourrait alors affirmer à partir de ce constat que c’est au second cycle que les élèves burkinabè acquièrent des compétences véritables en langue française, aussi bien en lecture qu’en écriture.

Le français mésolectal se démarque quelque peu du français standard. Cette variété de français contient des marques de « régionalismes ». C’est une variété de français qui est essentiellement pratiquée par des personnes qui ont très peu fréquenté l’école ou par les néo-alphabétisés qui sortent des centres d’éducation de base non formelle, des écoles satellites et des ex-écoles rurales du Burkina Faso. Quelques

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marques linguistiques étrangères au français standard apparaissent dans le discours des locuteurs du français mésolectal.

Le français basilectal représente la variété de français pratiquée par les non-lettrés. Il s’agit du français appris « sur le tas » selon la terminologie de Batiana (1998), c’est-à-dire, le français appris dans la rue, au marché, au cinéma, en écoutant la radio, etc. L’acquisition de cette variété de français est donc le fruit d’un effort personnel au contact avec des locuteurs francophones. Tout naturellement, cette variété de français présente de nombreuses particularités. Il s’agit d’un français local, qui se démarque du français standard par de nombreuses alternances codiques avec la langue maternelle des locuteurs. Les particularités de cette variété de français sont remarquables aux niveaux phonétique, phonologique, syntaxique, et grammatical.

À travers l’analyse que nous avons faite au cours de nos recherches antérieures68, nous avons pu constater que le français basilectal pratiqué au Burkina se distinguait du français standard par le fait que les locuteurs de cette variété de français font une juxtaposition des traits phonétiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques de leur langue maternelle (la langue source) vers la langue cible qui est le français. Par conséquent, les structures de la langue maternelle ont de fortes incidences sur la pratique du français des non-lettrés. En prêtant attention aux pratiques langagières d’un locuteur du français basilectal, on peut dégager des indices et des marques linguistiques qui permettent d’identifier son origine ethnolinguistique.

Par exemple du point de vue phonologique, le consensus s’établit sur la «prononciation spéciale du « r» chez les Mossi, ainsi que la confusion d/r comme déboisement pour «reboisement» et ou degarder pour «regarder». Ouoba (1990 : 77).

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En moore, /d/ et /r/ sont des variantes libres en position initiale. C’est ce qui donne lieu à la réalisation du mot « dégarder » en lieu et place de « regarder ». Il serait tout à fait naturel pour le mooréphone non scolarisés de dire « rimanche » à la place de « dimanche » par exemple. À l’image du français populaire de la Côte d’ivoire, le français basilectal est en pleine expansion au Burkina Faso. Le mode d’acquisition sans coût de ce français constitue l’un des atouts majeurs de l’expansion de ce parler en construction.

Bien que l’on arrive à dissocier les trois variétés de français auxquelles nous venons de faire allusion, il se pose quand même le phénomène de continuum linguistique69 entre ces trois variétés de français. Ce qui renvoie au problème de

frontière linguistique proprement dite entre elles. La preuve en est que tous les locuteurs du français acrolectal peuvent comprendre les deux autres variétés de français. Inversement, ceux qui parlent le français basilectal arrivent aussi à se faire comprendre par locuteurs du français mésolectal ou acrolectal.