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Quelques faits d’appropriation et d’utilisation du français en milieu scolaire au Burkina

CHAPITRE II : CHAMP DE L’ETUDE ET PRESENTATION DES CONCEPTS DE BASE

FRANÇAIS DANS LE SYSTEME EDUCATIF

3.0 Quelques lois et décrets en faveur des langues au Burkina

3.2.1. Quelques faits d’appropriation et d’utilisation du français en milieu scolaire au Burkina

« L’appropriation d’une langue par un individu ou un groupe donné ne se fait pas uniquement à partir de la manipulation des signes linguistiques de la langue. Elle est également psycho-sociolinguistique. Ce type d’appropriation, peut être appréhendé à partir de la manière dont le groupe ou l’individu se représente son nouveau système de communication ; à savoir la valeur symbolique qu’a pour le groupe par exemple l’expression "commer" pour commerçant. Comment le groupe définit-il sa nouvelle manière de parler par rapport au parler standard ? Nous entrons dans le domaine de l’enquête épilinguistique ». A. Napon (1999).

Avant de présenter quelques faits d’appropriation du français chez les jeunes lettrés du Burkina, notamment chez les étudiants et chez les élèves-maîtres, nous présenterons quelques généralités de différenciation linguistique entre le français burkinabè et le français standard. Cette différenciation indique qu’il existe bien une forme d’appropriation de la langue française par les Burkinabè (instruits et non instruits en français). Il s’agit donc de présenter en amont, quelques exemples d’emploi d’un

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français endogène parlé au Burkina Faso. Selon Coulibaly (1994)103 Cette variété de français endogène résulte d'une hybridation linguistique.

Exemples de différences linguistiques104

Français burkinabé Français standard

C'est comment? Comment ça va? On dit quoi ? Quoi de neuf ?

Ça fait deux jours Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu (même après deux semaines ou un mois)

Tu vois çà? Tu comprends?

En tout cas... Oui, ce que tu viens de dire est vrai et il n'y a rien d'autre à ajouter tellement c'est vrai Ça c'est deux cents deux

cents Ça c'est deux cents francs

Un jeton Une pièce de monnaie de valeur anonyme. Ça donne / ça donne pas Ça fonctionne / ça ne fonctionne pas

C'est gâté Ça ne marche plus, c'est en panne, c'est cassé Mordre le carreau Mordre la poussière

Becqueter Crier dessus, injurier Passer son temps à planer Rôder dans les rues à mobylette Ou bien ? N'est-ce pas?

Ça va un peu Ça va, mais je n'ai pas d'argent Une sucrerie Un soda (Coca-Cola, Fanta) Un poulet-bicyclette Une cuisse de poulet Une pochette Un mouchoir Hier nuit La nuit dernière Ça ne me dit rien Ça m'est égal Y a la place Assied toi Un bâton Une cigarette C'est caillou C'est difficile

Laver une pellicule Faire développer un film

103

Bakary Coulibaly, (1994), « Interférences et français populaire du Burkina », Langue française, volume 104, numéro 1, p.64-69.

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Javer/ s'ambiancer Faire la fête

Un circulaire Un téléphone portable Une go/ une bouille Une fille

Avoir un deuxième

bureau Avoir une maîtresse Tu fréquentes où? Où vas-tu à l'école?

Demander la route Demander l'autorisation de pouvoir partir/ sortir du village Un titanic Un taxi public

Avoir l'œuf colonial Ventripotent Jusqu'à fatigué Trop

Le goudron Une route bitumée C'est quoi même? Qu'est-ce qu'il y a?

La descente La fin de la journée de travail Piéter Aller à pied

Goder Boire Y a pas le feu Il n'y a pas de problème

Si l’école a pour vocation l’enseignement du français standard selon la norme, cela n’empêche que les jeunes lettrés du Burkina, notamment les jeunes lycéens, les étudiants et les élèves-maîtres utilisent dans leur jargon une forme de français qui leur est propre : l’argot. Cependant, les procédés sont généraux. Ils utilisent différents procédés de dérivation, de troncation, de mots voyageurs et des emprunts dans certaines circonstances lorsqu’ils s’expriment en français. Ces pratiques linguistiques se font bien entendre en dehors des classes. En nous appuyant sur les recherches d’Abou Napon (1999) sur "Quelques faits d’appropriation du français à l’école secondaire à

Ouagadougou", nous rappellerons comment les jeunes lettrés du Burkina s’approprient

la langue française en adaptant cette langue à leurs réalités sociolinguistiques et culturelles. D’après les résultats de la recherche de Napon (1999) :

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- les glissements de sens sont utilisés à 15,15 % par les locuteurs.

Exemples : chaussettes pour "préservatifs" et balle perdue pour "prostituée". - les emprunts sont utilisés à 12,12 % par les locuteurs.

Exemples : teedo pour "fesses" et ka meleba pour "coureur de jupon". - la troncation est utilisée à 11,36 %.

Exemples : carto pour "cartable" et conso pour "consommation d’alcool". - les mots voyageurs sont utilisés à 10,90 % (mots aux origines non identifiées). Exemples : bodjo pour "fesses de femme" et guese pour "affaire".

- la formation des verbes à partir de noms est utilisée à 10,6 %.

Exemples : marabouter pour "consulter un marabout" et grioter pour "chanter les louanges de quelqu’un".

- la métaphore est utilisée à 8,33 % par les locuteurs

Exemples : France au revoir pour "véhicule d’occasion venant de France" et mange mil pour "fille qui fait beaucoup dépenser"

- la siglaison est utilisée à 7,27 % par les locuteurs.

Exemples : P.F. pour "porc au four" et P.M. pour "petit marché" - les calques sont utilisés à 3,03 %

Exemples : vendre de l’eau, pour "souffrir" et il n’y pas le feu à la case, pour "il faut être serein".

Pour mesurer le degré d’appropriation de ces différents procédés, Napon (1999) a retenu les critères suivants : « la capacité de l’élève à identifier ledit procédé et à donner le sens exact du mot dans lequel le procédé est utilisé ». Il ressort de son investigation les résultats suivants :

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pour la dérivation suffixale : Pourcentage d’identification105

Hommes Femmes

Pétrolard "tricheur" 92 % 100 %

Pinard "homme" 64 % 68 %

Tablard "vendeur de cigarettes" 100 % 88 %

Placeur "escroc" 80 % 80 %

Bourreur "menteur" 84 % 84 %

Scienceur "chercheur" 76 % 72 %

Carrieriste "studieux" 80 % 92 %

Forceur "mauvais dragueur" 100 % 80 %

Mouillard "celui qui a peur des filles" 92 % 80 %

Froussard106 "peureux" 88 % 88 %

pour l’emprunt au dioula Pourcentage d’identification

Hommes Femmes

dogo "petit frère" 96 % 92 %

mogo "(une) personne" 95 % 72 %

wari "argent" 100 % 100 %

koro "grand frère" 96 % 88 %

nan songo "argent pour les condiments" 96 % 84 %

pour l’emprunt au moore Pourcentage d’identification

Hommes Femmes

benga "haricot" 100 % 100 %

ligdi "argent" 100 % 100 %

logo "argent" 80 % 80 %

teedo "fesses" 92 % 88 %

zoom-koom "eau sucrée à base de farine de

petit mil" 100 % 100 %

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pour la troncation Pourcentage d’identification

Hommes Femmes commer "commerçant" 76 % 72 % bécane "motobécane" 100 % 100 % bago "bagages" 80 % 80 % mécano "mécanicien" 100 % 100 % phone "téléphone" 100 % 100 % compo "composition" 100 % 100 % conso "consommation" 88 % 88 % prési "président" 88 % 88 % pec "pécule" 100 % 100 % carto "cartable" 100 % 100 %

pour les mots voyageurs pour les mots voyageurs

Hommes Femmes yota "argent" 100 % 100 % coco "escroc" 100 % 100 % togo "argent" 100 % 100 % wack "gris-gris" 100 % 100 % fal "cigarette" 100 % 90 % badou "manger" 100 % 88 % pia "argent" 95 % 90 % guaper "droguer" 88 % 75 % bodjo "fessier" 100 % 100 % guese "argent" 100 % 100 %

Napon (1999) souligne que quatre raisons essentielles ont été évoquées par ses enquêtés (50 informateurs) pour justifier l’utilisation de l’argot à l’école. Les raisons avancées sont les suivantes :

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Les raisons avancées Hommes Femmes

1. Le désir de s’amuser 100 % 100 % 2. L’effet de mode 100 % 100 % 3. Établir une connivence avec les autres 100 % 100 % 4. Établir une différenciation sociale 90 % 88 %

L’abréviation constitue aussi une forme d’appropriation de la langue française à travers l’écriture. Phénomène très en vogue en ce moment en milieu estudiantin au Burkina, Napon

« note que les étudiants et les scolaires en général sont en train de créer une norme implicite qui remet en cause l’idée d’une norme unique. Cette situation génère aujourd’hui au Burkina Faso une évidente insécurité linguistique. En effet, les abréviations proposées par les étudiants génèrent des difficultés d’ordre scolaire qui à la longue risquent de compromettre la réussite des apprentissages à l’école »107.

Ces abréviations sont très utilisées dans le contexte scolaire et dans d’autres milieux. On observe aussi ce phénomène dans les réseaux de communication avec les téléphones portables par l’entremise des sms (short message system). Les données sur les abréviations des étudiants Burkinabè mises en annexe (p. 330-332) montrent l’importance de l’appropriation du français à l’écrit par les jeunes lettrés du Burkina.

Après avoir fait l’inventaire des faits d’appropriation et d’utilisation du français chez les jeunes lycéens et les étudiants, nous allons compléter cette investigation à partir des exemples contenus dans notre corpus oral enregistré auprès des élèves-maîtres. On observe dans ce corpus, les mêmes procédés d’appropriation que nous venons de présenter.

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Ci-dessous, nous présentons quelques séquences de faits d’appropriation du français qui ont retenu notre attention. Le support sonore de cette thèse permet d’écouter ces séquences.

- Dérivation par addition de suffixe

Exemple : zournalement pour" à longueur de journée". Enregistrement : BOBO-

2c-G, piste 18, p. 206.

- Glissement de sens

Exemple : Etudier aller loin pour "faire de longues études ". Enregistrement : GAOUA-1a-F, piste 12, p.191.

- Siglaison

Exemples : LOC pour "Lycée Ouézzin Coulibaly". Enregistrement : OUAHI-1b-G,

piste 16, p. 204.

-L’emprunt

Exemples : ya kulli ? pour "c’est cool" ? Enregistrement : LOUMBI-L 4-G, piste

22, p. 209 et sodaaga pour "soldat " (moore). Enregistrement : LOUMBI-L2-G, piste 24,

p. 211.

Au vu de ce relevé, deux formes d’appropriation du français peuvent être distinguées chez les jeunes lettrés. Il s’agit d’une part, de l’appropriation du français normé, forme de français parlée en classe et dans certaines circonstances et d’autre part, de l’appropriation du français non standard. Cette forme de français non standard porte les marques de l’argot et des substrats des langues africaines à l’oral et l’usage des abréviations à l’écrit. Ce qui conforte le point de vue de Manessy et Wald (1984) qui estimaient que : « le français en Afrique serait devenu un français africain »108.

108 G. Manessy & wald (1984), le français en Afrique noire tel qu’on le parle et tel qu’on le dit,

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Après avoir fait l’état des lieux sur le contexte sociolinguistique de l’étude en examinant successivement le contexte général, le champ spécifique de la recherche et la situation des langues nationales et du français dans le système éducatif, il importe de voir comment les élèves-maîtres représentent leur profil langagier, identitaire et culturel en français et dans leur langue maternelle dans cet environnement que nous venons de décrire. La troisième partie qui va suivre est consacrée à cela. Il s’agit des résultats de l’enquête de terrain.