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la présence de la représentation dans le texte : utilité ou complexité

B) Une lecture difficile et un public restreint : quelle réception pour le texte ?

2. la présence de la représentation dans le texte : utilité ou complexité

a) étude des signes de la représentation dans les textes de

théâtre

Pour Anne Ubersfeld, le texte de théâtre est un des deux tenants de la représentation. Alors peut-être possède-t-il les prémices de cette dernière ? Le texte de théâtre possède-t-il des marques de la représentation qui perturberaient la lecture ? Pour répondre à cette interrogation, il semble cohérent d’examiner les signes de représentations dans un échantillon de livres de théâtre qui nous semble assez représentatif de l’offre actuelle : un ouvrage des éditions Quartett, un ouvrage de L’Arche éditeur, un ouvrage de Gallimard et un des Solitaires Intempestifs.

Riding Hood des éditions Quartett comprend très peu de codes du théâtre, et tout aussi peu de signes d’une représentation passée ou future. Il est cependant

116BANOS, Pierre, L’Édition théâtrale aujourd’hui : enjeux artistiques, politiques et économiques. Doctorat de théâtre de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2008. P. 388

indiqué avant le texte que la pièce a été écrite pour une compagnie, en vue d’une représentation. Il s’agit d’une coédition avec deux compagnies pour le titre de Capitale Européenne de la Culture. Il n’est pas donné le nom des personnages mais le nom des acteurs, de la metteuse en scène et du créateur de la musique et de la vidéo le sont. Il n’y a pas de didascalies à l’exception de phrases qui semblent correspondre à des titres de chapitres (situées après une page ou une demi-page blanche) mais peuvent, par leur contenu, laisser penser qu’il s’agit de didascalies de par leur typographie en italique, le fait que leur présence ne soit pas systématique et les indications des lieux qu’elles apportent : « sévices à la station service » (p. 29) ; « Au péage » (p. 55) ; « Motel » (P. 37)… On ne trouve aucune indications de mise en scène, de lumière, de position ou de tons pour les acteurs. Par conséquent, rien n’indique, à l’exception du paragraphe précédemment évoqué, la mise en scène réalisée. Cela est étonnant au premier abord. Mais deux hypothèses s’offrent ensuite à nous. L’auteur peut avoir fait ici office de metteur en scène, et il ne lui était donc pas nécessaire d’indiquer dans le texte les consignes données à l’oral aux comédiens lors de répétitions. Le dramaturge peut également considérer le texte et la représentation comme deux arts différents, dont l’un ne relève pas de ses compétences, et ainsi concevoir le texte en vue d’une publication et non en y ajoutant des éléments qui pourraient le faire devenir un script pour la mise en scène. Si le texte semble ici avoir été commandé pour la scène, cela ne signifie pas pour autant que l’auteur n’ait voulu laisser la main au metteur en scène pour diriger les comédiens et réfléchir à la mise en scène et construire le texte pour la publication. Ces hypothèses semblent être recevables au vu de la date de publication, 2014, soit après la mise en scène pour laquelle le texte a été créé puisque le titre était présenté pour le titre de Capitale Européenne de la Culture en 2013. Le dramaturge semble être en faveur d’un texte de théâtre littéraire, sans refuser de le voir mis en scène.

L’ouvrage des Solitaires Intempestifs, Clôture de l’amour, a été également créé pour la scène. Or, cela n’est indiqué que dans la quatrième de couverture. Le reste de l’œuvre ne contient pas d’indications scéniques, de distributions ou autres éléments dédiés au spectacle. Un texte créé pour un spectacle donne-t-il donc

systématiquement lieu à un ouvrage publié postérieurement à la représentation ? Les dramaturges considérant peut-être que la mise en scène à réaliser est évidente et ne nécessite pas de précisions particulières ? Parce que la représentation ayant eu lieu, le texte n’est publié que pour sa qualité littéraire, sans souci de la scène ?

Lars Norén dans Poussière aux éditions de L’Arche fait davantage de place à la représentation. Un paragraphe en italique précède le texte. Il explique la position des personnages et leurs mouvements. Le mélange entre spectacle et littérature y est présent, l’auteur parle du « public » , terme qui renvoie à la représentation mais explique la position des « personnages » et non des comédiens, ce qui renvoie à la littérature. Les didascalies indiquent les temps de silence, les tons, les actions, etc. Cela peut rendre la lecture confuse : sont-elles là car elles sont le seul moyen d’indiquer ce genre de choses dans un texte de théâtre ou comme indications aux comédiens et aux metteurs en scène ? La quatrième de couverture en donne une explication : le texte est une commande de la comédie-française, mais le dramaturge en est le metteur en scène. Par conséquent, c’est un texte créé pour la scène mais on n’y trouve pas ou peu d’indications scéniques, peut-être parce que l’auteur n’a pas à se méfier de l’interprétation d’un metteur en scène. Les didascalies peuvent être un moyen mnémotechnique mais sont plus probablement destinés aux lecteurs, qui n’ont pas accès à ces indications via la représentation. C’est donc un dramaturge pour qui texte et représentation sont du théâtre. Peut-être les considèrent-il comme complémentaires ? Peut-être le texte a-t-il été retranscrit postérieurement à la mise en scène, dans la volonté de l’éditer, de le figer et d’en faire un objet indépendant ?

Nos débuts dans la vie publié par Gallimard est peut-être le plus classique de notre sélection. Le nom des personnages apparait avant chaque réplique. La liste est présente au début de l’ouvrage. Les didascalies indiquent le ton employé, la position des personnages, leurs mouvements, et les objets présents. Elles sont peu nombreuses mais sont le signe d’une probable représentation de la pièce. En

effet, elles indiquent des volontés de l’auteur en terme de mise en scène : « Il reste immobile » (p. 9) ; « Peu à peu, la lumière » (p. 10), « Dans un coin du plateau, une loge de théâtre » (p. 10). Le terme « plateau » montre que la didascalie n’est pas là uniquement pour expliciter le texte mais bien pour donner des indications scéniques. Volonté de l’auteur de ne pas laisser son texte lui échapper ou réelle intention de représentation ? Dans tous les cas, cela demande aux lecteurs une grande imagination. Il ne peut pas inventer les détails par lui- même mais doit réussir à imaginer ce qui est indiqué par les didascalies, au risque sinon de ne pas, ou mal, comprendre la pièce.

b) constats

Par conséquent, on retrouve deux sortes de textes de théâtre. Les pièces dans lesquelles sont prévues les indications pour la mise en scène. L’auteur cherche alors à contrôler les deux pans de l’action théâtrale. Ainsi que les pièces sans aucune indication scénique. Cela confirme un point déjà abordé : le théâtre est autant scénique que littéraire. Au choix de l’auteur d’en faire une œuvre littéraire, un script, ou les deux. Il est donc possible de se sentir mal à l’aise face à la lecture d’un texte de théâtre qui comporterait un trop grand nombre de signes de la représentation, quand d’autres textes sont eux prévus pour être lus. Difficile alors pour certains lecteurs de choisir un livre en librairie. On peut rapidement se sentir dépassé devant la particularité d’un texte de théâtre.

Les signes de représentation ne semblent pas gêner la lecture comme nous pouvions le penser. D’autres éléments le peuvent comme la modernité de certains textes, l’absence des codes habituels ou l’absence de repères. Par exemple, dans Poussière, les personnes ne sont pas citées nominativement mais par des lettres. Cela est cohérent avec le texte, dans lequel la discussion est niée, chaque personnage se parlant davantage à lui-même qu’aux autres ou discutant par deux mais à travers des malentendus. Il n’est alors pas nécessaire de reconnaitre le personnage qui s’exprime. Cela est néanmoins déconcertant. Il faut

tout de même comprendre qui parle pour comprendre le sens de ses propos par rapport à sa réplique précédente. De même dans Riding Hood, le fait qu’aucun personnage ne soit mentionné empêche le lecteur de savoir qui s’exprime, ce qui ne facilite guère la compréhension du texte, alors que la représentation permettrait de connaître au moins le nombre de locuteurs.