qui avaient brûlé leurs propres biens avant de partir à la guerre, afin de n’être pas tentés de
fuir le combat pour rentrer vivants. Cet exemple, qui privilégie le récit, cède ensuite la place
au discours dans lequel, par le biais de l’emploi de la deuxième personne du pluriel et des
déictiques, le prêtre s’adresse directement à une jeune femme imaginaire, en lui présentant
deux possibilités d’action (jeter au feu les lettres et les cadeaux d’un amant, avertir ses
parents) pour éviter le péché de luxure. Sans transition, il change de destinataire, ce n’est plus
à une jeune fille mais à un homme qu’il s’adresse, tenté par le profit d’un office ou d’un
bénéfice. Il revient ensuite à son idée première (il faut se détacher de ce qui nous lie au péché)
et rappelle que si les conditions ne sont pas remplies, c’est l’échec, pour conclure sur trois
adjectifs qui offrent une gradation (de la fausseté au caractère inopérant) : « votre conversion
est simulée, inutile, infructueuse ». La démarche, on le voit, repose sur un rythme assez vif,
cumulant les exemples appartenant à des domaines variés, parfois sans transition, sans perdre
de temps, sans laisser l’esprit de l’auditeur en repos.
Le souci permanent d’être bien compris de l’auditoire amène les pasteurs, Pierre Du
Moulin, Drelincourt et Ferry, à ne jamais citer en latin. Toutes leurs citations sont en français,
dans la traduction de la Bible de Genève. Quant à Lejeune et Bossuet qui citent la Vulgate
(mais aussi des textes patristiques en latin), ils traduisent presque systématiquement les
citations qu’ils convoquent pour les besoins de leur argumentation. Quand le passage est long,
ils en proposent une paraphrase ou un résumé, en maintenant la situation d’énonciation. Être
simple et clair : tous les prédicateurs visent cet objectif et le revendiquent, comme le montre
un exemple pris chez Bossuet. Voulant faire prendre conscience à son auditoire privilégié – il
prêche à Saint-Germain, devant la Cour – de la fragilité de sa situation, il ajoute, après avoir
eu recours à l’image traditionnelle de l’édifice renversé : « je veux dire simplement et sans
figure que les malheurs nous assaillent et nous pénètrent par trop d’endroits, pour pouvoir être
532 Jean Lejeune, Sermon VIII. « Des marques & proprietez de la vraye Penitence », Missionnaire, t. I, p. 176-177.
prévus et arrêtés de toutes parts
533. » La remarque de Bossuet se présente sans détour mais
n’échappe pourtant pas à l’image (celle du combat inégal), signe sans doute de la complexité
d’une rhétorique qui ne peut complètement s’élaborer selon les critères qu’elle se fixe.
Qu’elle soit protestante ou catholique, provinciale ou urbaine, missionnaire ou stationnaire, la
prédication des auteurs de notre corpus se veut à la portée de son auditoire, du moins
affiche-t-elle cette volonté. Mais celle-ci s’accorde assez difficilement avec d’autres exigences qui
tiennent au milieu social et intellectuel auquel appartiennent les prédicateurs qui s’adressent à
des auditeurs issus, pour beaucoup, du même milieu et qui tiennent, également, aux exigences
du discours prononcé comme nous le verrons plus loin.
La prédication n’est pas seulement constituée de sermons. Son message s’exprime dans
d’autres supports, notamment l’image et particulièrement le tableau. Si le recours au support
iconographique peut sembler classique dans la sphère catholique, il est moins attendu chez les
réformés mais n’est pas complètement délaissé.
III.Les images : enjeu de prédication et objet de dissension
Les images participent également de la prédication. On présente souvent le catholicisme
comme une religion de l’image, s’appuyant sur les tableaux, et le protestantisme comme une
religion de la parole. Jérôme Cottin s’est élevé contre cette dichotomie caricaturale
534qui
nierait tout aspect visuel voire même toute imagination à la religion protestante. Le choix de
proposer un corpus pictural en parallèle avec un ensemble de sermons nous engage à
examiner cette question. En quoi les tableaux participent-ils en effet de la prédication ?
Comment les a-t-on considérés au XVII
esiècle ? Que nous donnent-ils à voir ? À quels
enjeux, iconographiques, théologiques répondent-ils ? Comprendre l’utilisation d’un discours
emblématique, symbolique, de la vanité s’inscrit aussi dans une perspective plus large,
renvoyant au rapport qu’entretient l’institution ecclésiastique avec l’image. Le visuel, la
représentation ont une place essentielle dans l’expression de la vanité, mais relèvent d’une
utilisation complexe à ceux qui les manipulent.
533 Bossuet, « Sermon sur l’enfant prodigue », Carême de Saint-Germain, O.O., t. V, p. 79.
534
A. La théorie tridentine des images
La 25
esession du concile de Trente, en 1563, aborde la question globale de l’image et
fournit des prescriptions. Notons que le contexte de violences iconoclastes, perpétrées en
France notamment, explique la rédaction du décret
535.
De plus, qu’on doit avoir, & conserver, principalement dans les Eglises, les Images de JESUS-CHRIST, de la Vierge Mere de Dieu, & des autres Saints ; & qu’il leur faut rendre l’honneur, & la venération qui leur est deûë : Non que l’on croye qu’il y ait en elles quelque divinité, ou quelque vertu pour laquelle on leur doiverendre ce culte, ou qu’il faille leur demander quelque chose, ou arrester en elles sa confiance, comme faisoient autrefois les Payens qui mettoient leur esperance dans les Idoles : Mais parce que l’honneur qu’on leur rend, est réferé aux originaux qu’elles representent ; de maniére que, par le moyen des Images,que nous baisons, & devant lesquelles nous nous découvrons la teste, & nous nous prosternons, nous adorons JESUS-CHRIST, & rendons nos respects aux Saints, dont elles portent la ressemblance, ainsi qu’il a esté définy & prononcé par les Décrets des Conciles, & particuliérement du second Concile de Nicée, contre ceux qui attaquoient les Images536.
Le texte marque bien la différence entre la vénération des images et l’adoration qui ne
doit être rendue qu’à Jésus-Christ. Images et idoles sont différenciées. Il faut rappeler que le
deuxième concile de Nicée, en 787, avait statué sur les images à l’occasion du contexte
iconoclaste en Orient : il avait déclaré les images religieuses légitimes et utiles pour la
dévotion et la prédication. Cette déclaration est réaffirmée dans le décret « Sur l’invocation, la
vénération et les reliques des saints, et les images saintes » de cette 25
esession, qui ne dit
donc rien de nouveau à ce sujet. Cependant le décret formule des interdictions nouvelles,
comme celle de représenter des scènes « fausses » ou de verser dans la sensualité :
Le saint concile défend que l’on place dans les églises aucune image qui s’inspire d’un dogme erroné et qui puisse égarer les simples, il veut qu’on évite toute impureté, qu’on ne donne pas aux images des attraits provoquants[sic]. Pour assurer le respect de ces décisions, le saint concile défend de placer en aucun lieu, et même dans les églises qui ne sont pas assujetties à la visite de l’ordinaire, aucune image insolite, à moins que l’évêque ne l’ait approuvée537.
Superstition, fausse doctrine et sensualité sont réprouvées au nom de la lutte contre
l’idolâtrie. Si la fausse doctrine peut être assez clairement identifiable, il n’en va pas de même
du danger de la sensualité, comme nous l’enseignent les figurations d’extase
538. Après le
535 Sur l’iconoclasme au XVIe siècle, voir Olivier Christin, Une Révolution symbolique : l’iconoclasme huguenot
et la reconstruction catholique, Paris, Minuit, 1991. Pour une histoire de l’iconoclasme replacée dans le contexte
plus large des guerres de Religion, voir Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles
de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990, 2 vol.
536 Le saint Concile de Trente œcuménique et general, op. cit., p. 384.
537 Cité par René Taveneaux, Le Catholicisme dans la France classique, op. cit., p. 448.
538
En effet, l’exemple de la majestueuse sculpture La transverbération de sainte Thérèse (1647-1652) du Bernin est significatif : la représentation de Thérèse et notamment de sa physionomie, tête rejetée en arrière, bouche entr’ouverte apparaît comme particulièrement sensuelle ; ce que note Louis Réau dans Iconographie de l’art