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La formule est convenue, mais il s’agit aussi de marquer nettement la différence avec l’usage romain, comme il le souligne dans un autre sermon :

Au lieu de l’Ave Maria, que les Predicateurs de la Communion de Rome disent à l’entrée de leurs Sermons, ceus de l’Eglise ancienne imploroient comme nous faisons la grace et l’assistance du Saint Esprit ; Et de là vient cet excellent hymne, Vien Esprit Createur303.

L’inscription dans la tradition de « l’Eglise ancienne » légitime la pratique réformée

tandis qu’elle discrédite celle des catholiques. Le sermon protestant se distingue aussi du

sermon catholique par un certain nombre de traits dominants, mais qui ne relèvent pas de la

structure, et sur lesquels nous reviendrons par la suite : le rejet de l’inventio rhétorique et des

références à des auteurs profanes, la paraphrase des Écritures, une explication le plus souvent

littérale du texte (mais il arrive que le pasteur propose une explication imagée qu’il a besoin,

par ailleurs, de justifier), l’accumulation des citations bibliques, enfin l’explication mot à mot

du texte qui fournit le plan de l’exposition, encore que cette méthode ne soit pas systématique.

Un autre aspect apparaît comme discriminant : la longueur, élément sur lequel nous

reviendrons dans la dernière partie de notre travail.

300 Paul Ferry, « Le Fidele mort & vivant », Quatre sermons, p. 9.

301

Paul Ferry, « Le Mariage du Fidèle », Quatre sermons, p. 67.

302 Charles Drelincourt, « Le Renouvellement du Monde », R3, p. 5.

303 Charles Drelincourt, Le Pasteur fidele, ou Sermon sur les Actes des Apôtres, chap. 20. vers. 28., Prononcé en

L’exorde, que nous venons d’évoquer par sa clôture, constitue un moment-clé du

sermon, en tant qu’ouverture du propos. Comment les prédicateurs commencent-ils leurs

sermons ? Comment captent-ils l’attention ? Si, d’après le théoricien Samuel Chappuzeau

(1625-1701)

304

, l’exorde doit être court et en rapport avec le sujet traité – cette indication

étant souvent rappelée par les traités sur la prédication – la pratique diffère entre protestants et

catholiques. Dans les sermons protestants, l’exorde est généralement assez long, ce qui tient à

la volonté des pasteurs de contextualiser et de mettre en rapport différents passages des

Écritures pour bien justifier le choix de leur texte. Ainsi, le sermon de Charles Drelincourt,

prêché sur les versets 13 et 14 du psaume 40, commence par un parallèle entre les maladies et

les maux contemporains (les Espagnols viennent de prendre la ville de Corbie). L’effet est le

même : on en éprouve une forte douleur au point d’en être aveuglé et de délaisser les causes et

les remèdes. Le pasteur poursuit alors sur un autre parallèle entre l’auditoire et les « petits

enfans » visant à montrer encore une fois que dans la douleur, la raison est malheureusement

mise à distance. Pourtant, les prophètes – Charles Drelincourt convoque successivement

Michée, Jérémie et Amos — ont enseigné, il y a longtemps déjà, qu’il fallait savoir écouter

les avertissements de Dieu et savoir, par la pénitence, se réconcilier avec lui. À ce stade du

sermon, les versets du psaume (dont le lecteur peut prendre connaissance sur la page de garde

du sermon), « Donne nous ton secours pour sortir de détresse : Car le secours de l’homme est

vanité. / Nous ferons proüesse en Dieu, & il foulera nos ennemis », n’ont toujours pas été

cités. Ils ne le seront que quinze pages après le début du sermon, juste avant l’annonce du

plan. Entre temps, outre les prophètes évoqués, le pasteur a cité ou renvoyé à la Genèse, à

l’Apocalypse, à Esaïe, Samuel, Osée, Luc, à l’épître aux Philippiens, à la première épître de

Pierre, au deuxième livre des Rois, à Joël, à Ezéchiel, à Jonas. Le cas de ce sermon pour un

jour de jeûne n’est pas exceptionnel (notamment dans la prédication de Drelincourt). L’exorde

a en effet une fonction instructive où la multiplication des références bibliques vise aussi à

montrer à l’auditeur la cohérence du texte biblique par le réseau de concordances qu’il établit.

Il ne doit en aucun cas susciter la complaisance, ce que souligne Pierre Du Moulin en prenant

l’exemple qui fait autorité en la matière :

Ces paroles de Iesus Christ que nous vous avons leuës, sont le commencement de la premiere predication que Iesus Christ a faite à ses disciples. Or la coustume des orateurs est d’avoir des exordes attrayans &

304

agreables pour s’insinuer doucement dans les esprits des auditeurs. Iesus Christ n’a pas fait ainsi. Car voici un exorde par lequel il semble qu’il vueille chasser ses auditeurs, & les degouster de sa doctrine305.

Il arrive que Paul Ferry commence par une référence à l’Antiquité ; par exemple, dans

l’exorde du « Sermon sur la mort du Roy Louis XIII », s’appuyant sur Plutarque, il rappelle,

pour capter l’attention et introduire son propos, la manière dont Aratos annonce la destruction

de Megalopolis

306

. Mais, le plus souvent, c’est par une remarque d’ordre général, s’appuyant

sur de nombreuses citations bibliques, que l’exorde commence. Méthode qui n’est pas sans

inconvénient car elle tend à faire oublier (pour le lecteur du moins) le ou les verset(s)

support(s) du sermon. Aussi, une fois amené dans le propos, le texte est incessamment repris

pour être toujours porté à l’attention de l’auditoire.

En matière d’exorde, les traités catholiques ne signalent pas de règle particulière.

Bossuet, dans le « Sermon sur la pénitence » du Carême des Carmélites, commence de

manière plutôt singulière en proposant une sorte d’étude de cas, où il envisage la situation

d’un homme qui a entrepris une démarche de pénitence : « Examinons, je vous prie,

attentivement ce que peut désirer un homme que le remords de sa conscience presse de

retourner à la droite voie

307

. » Cet homme qu’il met en scène est le fil directeur de l’exorde et

sert l’annonce du plan. L’entrée en matière est particulièrement dynamique, mais c’est un

exemple parmi d’autres qui ne permet pas de tirer une conclusion sur la façon dont Bossuet

construit ses exordes. Le théoricien Bretteville, de manière assez provocatrice, nie pour sa

part, toute utilité à cette partie du discours, affirmant même son absence dans les sermons des

premiers Pères de l’Église. Ceux-ci se contentaient en effet de lire un passage des Écritures

« & c’étoit en quoy consistoit toute la force de leur eloquence, à laquelle rien ne pouvoit

resister

308

». Il se plaint d’ailleurs de la disparition de ces pratiques primitives : « Les beaux

Exordes sont trop à la mode ; & tandis que le bel Esprit regnera dans les Sermons, on n’en

reviendra jamais aisément

309

», déplorant la suprématie du beau sur l’utile. Le théologien

protestant Hyperius

310

avait développé la même idée au XVI

e

siècle. Conformément à la thèse

qu’il expose dans son ouvrage – thèse selon laquelle le discours est tout aussi convaincant

305 Pierre Du Moulin, s9, D9, p. 158.

306 Voir infra, n. 1152.

307 Bossuet, « Sermon sur la pénitence », Carême des Carmélites, O.O., t. III, p. 597.

308 Abbé de Bretteville, L’Éloquence de la Chaire et du Barreau, op. cit., p. 117.

309 Ibid., p. 118-119.

310 Hyperius [Andreas Gerhard] est un théologien flamand né à Ypres en 1511 qui a étudié à Paris, et séjourné en Angleterre de 1536 à 1540. Il meurt en 1564. Il est l’auteur d’un traité de prédication : Enseignement à bien

former les sainctes predications et sermons ès Eglises du Seigneur : Contenant vraye methode d’interpreter et appliquer populairement les sainctes Escritures par lieux communs, ..., Genève, Jean Crespin, 1564. Sur

sans éloquence, quand on dit les choses avec bonté et sincérité –, l’exorde n’a pas besoin

d’être très recherché. Le début du sermon – il cite différents exemples d’exordes de Jean

Chrysostome – accrochera naturellement l’auditeur, qui, d’ailleurs, rentre dans le temple

impatient d’écouter les vérités de Dieu

311

.

C. Des prédicateurs théoriciens

Les prédicateurs de notre corpus n’ont pas écrit de traité d’homilétique, mais ils ont

rédigé des propos, voire des textes, qui théorisent la prédication. Quand on compare leurs

propos, on s’aperçoit que tous prônent la simplicité, une grande humilité, qu’ils insistent sur

les devoirs des auditeurs et qu’ils ne donnent pas de méthode structurelle. Les propos sur la

prédication ne concernent bien souvent que l’elocutio, l’éloquence naturelle étant

revendiquée.

1. Jean Lejeune

L’oratorien rédige en tête de son Missionnaire de l’Oratoire, un « Advis », texte

prescriptif qui s’adresse successivement à deux publics distincts : d’abord aux jeunes

missionnaires puis aux jeunes curés. Ce livre, qui peut s’apparenter à un petit traité de

prédication, sans se présenter comme tel néanmoins, s’adresse à un public inexpérimenté, qui

a besoin de repères et de références, et dont la formation n’est peut-être pas encore suffisante,

malgré les efforts entrepris dans ce sens par différents ordres ou congrégations. Ce petit texte

a peut-être contribué au succès de l’ouvrage, attesté par ses rééditions successives

312

. Sans

structure précise, il se présente simplement comme une succession de paragraphes aux sujets

variés. Il contient aussi bien des conseils pratiques, concrets, parfois de simple bon sens :

Si quelque particulier parle mal de vous, ou de vos Sermons gardés-vous bien d’en rien dire en Chaire.1° Cela l’aigriroit, & il en diroit possible encore plus : au lieu qu’avec le temps il pourra estre touché de vos Sermons, & se repentir. 2° Fort peu de personnes sçavent le mal qu’il dit de vous : mais si vous en parlés en Chaire, vous le faites sçavoir à toute la Ville313.

311 Andreas Hyperius, ibid., p. 62-70.

312 Cinthia Meli indique que Le Missionnaire de l’Oratoire « a été réimprimé à huit reprises (à Toulouse, chez Jean Boude, en 1663, 1667, 1676 et 1688, à Paris, chez C. Coignard en 1663 et F. Léonard en 1670 et 1671, à Rouen, chez Lallemand, en 1667) » (« Vers une littérature sermonnaire : les recueils de sermons en France au XVIIe siècle », art. cit., p. 112). Auguste-Marie-Pierre Ingold mentionne une édition supplémentaire en 1664 à Paris chez J. Henault (Essai de bibliographie oratorienne, Genève, Slatkine [Paris], [diffusion Champion], 1972, chap. XXVI « Le P. Lejeune », p. 77-78).

313

Il fournit également des rappels statutaires ou institutionnels, comme la soumission à