du tableau. Ils viennent témoigner d’une rupture (irruption de la dimension temporelle) ;
peut-être figurent-ils la conséquence du désordre dans la corbeille. Le verre symbolise la fragilité,
les débris de verre expriment la caducité. Dans le tableau de Baugin, c’est la sobriété et le
choix des éléments figurés (vin et oublies
262pouvant rappeler, même dans un contexte
profane, l’Eucharistie) qui invitent à lire le tableau comme une Vanité. Enfin, outre les objets,
les Vanités présentent aussi parfois des inscriptions. En tant que discours explicite, elles
258 Michel de Montaigne, Journal du voyage, op. cit., p. 1131.
259 C’est le XVIIIe siècle qui révolutionne les arts de la table, d’une part en inaugurant la salle à manger, et d’autre part en consacrant l’individualisation des couverts, qui sont utilisés désormais non seulement pour servir mais aussi pour manger.
260 « À partir du XVIe siècle, dans toute l’Europe, le verre de Venise ou son succédané détrône la coupe d’argent chez les plus riches », Martin de Framond, « À la table d’un marchand bourgeois du Puy », Le Boire et le
manger au XVIe siècle, Saint-Etienne, P.U.S.E., 2004, p. 143. Le poète Remi Belleau (1528 ?-1577) évoque ainsi
ce verre luxueux : « Cristal enté mignardement / Sur un pied qui fait justement / La base d’une colonnette / Où règne pour le chapiteau / À feuillage un triple rouleau, / Le sûr appui de la cuvette », Rémi Belleau, « La coupe de cristal », Anthologie poétique française XVIe siècle, introduction et notices par Maurice Allem, Paris,
Garnier-Flammarion, 1965, p. 23.
261 Charles Sterling qualifie ce tableau d’« archaïque », au sens où il renvoie à l’humilité et au dénuement des premières natures mortes. La Nature morte de l’Antiquité au XXe siècle, op. cit., p. 74.
262 Furetière explique que les oublies sont des pâtisseries rondes, dont l’étymologie vient du latin médiéval
oblata « offrande », qui désignait une hostie non consacrée. Dans La Main d’oublies, op. cit. p. 94, l’auteure,
Sophie Nauleau précise : « De plus, le Livre des métiers de Paris raconte qu’au Moyen Âge les faiseurs d’oublies, dits oubloiers, excellaient dans la fabrication des hosties et des gaufres fines qui, encore chaudes et décorées d’images ou d’inscriptions pieuses, embaumaient les parvis au sortir de la messe.» À noter que le mot anglais « wafer » désigne aussi bien la gaufrette que l’hostie. Ajoutons enfin la remarque de Paul Claudel sur les natures mortes hollandaises du XVIIe siècle, que nous trouvons pertinente ici : « Que voyons-nous en effet sur ces toiles […] ? Presque toujours, et parfois exclusivement, du pain, du vin et un poisson, c’est-à-dire le matériel du repas eucharistique. » (L’œil écoute, op. cit., p. 47).
viennent confirmer l’aspect moralisateur du tableau
263. Pour mieux comprendre le rôle
qu’elles jouent dans ce genre de tableau, et pour mettre en évidence les liens entre texte et
image, on peut classer ces inscriptions en deux catégories. La première regroupe les
inscriptions qui n’ont pas de lien nécessaire avec l’objet qui constitue leur support : un
phylactère (motif hérité de la peinture chrétienne médiévale), un propos gravé sur une pierre,
une devise écrite sur une feuille. Ce sont des inscriptions en latin
264. La deuxième catégorie
regroupe les énoncés qui appartiennent en propre aux objets sur lesquels ils sont représentés
comme un livre ouvert, une partition. C’est ce qu’on voit dans le tableau de Simon Renard de
Saint-André : sur la table, négligemment posée, une partition de musique qui reproduit un
morceau de Roland de Lassus sur un poème d’amour de Ronsard. Dans La Grande Vanité de
Sébastien Stoskopff, quelques vers se lisent sur l’ardoise au premier plan : « Kunst, Reichtum,
Macht und Kühnheit stirbet / Die Welt und all ihr thun verdirbet / Ein Ewiges kommt nach
diser / Zeit Ihr Thoren, flieht die Eitelkeit ! 1641 » ce qui peut se traduire par « Art, richesse,
puissance, courage meurent / Le monde et toutes ses œuvres se gâtent / L’éternité vient après
ce temps / Ô fous, fuyez la vanité ! 1641
265. » Ce type d’inscription ne saurait être assimilé au
premier. En effet, le latin est abandonné au profit des langues vernaculaires – l’allemand dans
le cas de La Grande Vanité, le français dans la Vanité de Simon Renard de Saint-André, et le
message est parfois profane : c’est le cas du poème d’amour. Ces textes, ou ce à quoi ils
renvoient, sont eux-mêmes considérés comme des objets de vanité. Interpréter ce type de
tableau ne nous semble ni réducteur, ni aberrant dans la mesure où cette démarche ne vise
aucunement l’exclusion d’une analyse esthétique.
Diversité et variété sont les caractéristiques de la Vanité. Figurant des saints ou des
objets, un grand nombre de tableaux religieux et profanes du XVII
esiècle, dont nous n’avons
retenu qu’une faible part, représentative néanmoins, témoigne de l’intérêt et du goût de
l’époque pour un message (et sa représentation) qui invite le fidèle, qu’il soit catholique ou
263 Voir à ce sujet Miche Butor, Les Mots dans la peinture, Genève, A. Skira, 1969 ; Claude Gandelman, Le
Regard dans le texte. Image et écriture du Quattrocento au XXe siècle, Méridiens-Klincksieck, 1986, et Daniel
Bergez, Littérature et peinture, op. cit., p. 140-148.
264 Dans le tableau de Pereda intitulé Vanité (ou Le Songe), le phylactère indique : Aeterne pungit, cito volat et
occidit (En français : « il pique éternellement, il vole vite et tue ». On peut penser qu’il s’agit du temps). Il arrive
que l’on trouve aussi la devise antique mors omnia aequat ou encore, bien sûr, le verset de l’Ecclésiaste qui donne son nom au tableau : vanitas vanitatum et omnia vanitas (Qo 1, 2). Ce sont des messages clairs et explicites, qui s’adressent directement au spectateur. Un tableau d’Evert Collier (1640-1710) présente les deux inscriptions fondamentales de la Vanité (et du sermon) : memento mori et vanitas vanitatum.
265 Michèle-Caroline Heck, Sébastien Stoskopff 1597-1657, op. cit., p. 180. La date correspond à celle du retour de Stoskopff à Strasbourg après un assez long séjour à Paris et de nombreux voyages.