• Aucun résultat trouvé

MICROSTRUCTURALE DU BLANC DE PLOMB DES ŒUVRES PEINTES

IV- 2.A Préambule : la liasse Binant

Binant était un des marchands de couleurs les plus renommés de Paris au XIXème s. (Ravaud, 2014). L’entreprise de la famille Binant, dont on trouve trace à partir de 1823 dans le registre commercial de la ville était spécialisée non seulement dans la fabrication de pigments mais également de toiles pré-enduites au blanc de plomb (Roth-Meyer, 2004). En 1860, Louis-Alfred Binant acquiert un immeuble de 1700 m² au 70 de la rue Rochechouart, dans laquelle des toiles de très grandes dimensions sont préparées, avant d’être découpées puis vendues aux peintres.

La liasse Binant est un livret composé de 57 échantillons, dont la majorité est préparée au blanc de plomb : 41 toiles destinées à la peinture à l’huile, 7 à d’autres techniques de peinture ou de dessin, 9 à la peinture décorative. Ces échantillons sont reliés dans un livret à couverture de cuir portant le nom et l’adresse du fabricant (Fig. IV.16). Chacun d’entre eux, de dimension de 5 x 13,5 cm, porte une étiquette indiquant son appellation commerciale, la qualité de la toile, le nombre de couches de peinture et la couleur de la préparation. Le carnet est séparé en deux parties principales : Toiles préparées pour la peinture à l’huile, fusain,

pastel, gouache et aquarelle et Toiles préparées pour la peinture décorative. Le but de notre

étude était de tenter d’établir des pistes de connexion entre le vocabulaire apparaissant sur les étiquettes et la composition des matériaux employés sur les toiles.

165

Figure IV. 16 : La liasse Binant : Couverture et un des échantillons : Toile fine moyenne, 1 couche.

L’étude réalisée au C2RMF s’est fondée sur une combinaison de techniques non-invasives : microscopie confocale numérique équipée de capacités d’imagerie 3D, radiographie, XRF et DRX, microscope électronique à balayage avec spectroscopie de rayons X à dispersion d’énergie (MEB-EDX), chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC/MS). Nous ne présenterons ici qu’une partie de l’ensemble des résultats obtenus, dans le but de mettre en lumière quelques pistes de réflexion utiles pour la suite de notre travail.

IV-2.A.1 Toiles préparées pour la peinture à l’huile

Les toiles préparées pour la peinture à l’huile représentent la plus grande partie du carnet. La diffraction des rayons X révèle que le pigment principalement utilisé dans la liasse Binant est le blanc de plomb. Des charges minérales ont également parfois été détectées : calcite CaCO3 et baryte BaSO4.

Plusieurs des toiles du carnet sont recouvertes, comme l’indique leur appellation, de deux couches de peinture. Afin d’examiner la différence pouvant exister entre ces deux couches, des micro-prélèvements ont été réalisés, puis analysés par MEB-EDX.

Pour les toiles préparées avec une seule couche, de qualité ordinaire, la calcite a été détectée en quantités significatives (entre 6 et 26 w%, quantification par pointé EDX), tandis qu’elle est absente des toiles de qualité demi-fine, composées de blanc de plomb pur. En revanche, pour les toiles demi-fines préparées à deux couches, la calcite est présente, mais uniquement dans les couches inférieures (Fig. IV.17). On voit ici que l’utilisation de la charge

166

calcite semble être synonyme d’une qualité inférieure, ce qui est en accord avec les considérations historiques détaillées dans le premier chapitre de notre étude.

Figure IV. 17 : Image MEB de la couche de peinture de la « toile demi-fine, deux couches, ton gris ». Si les deux couches sont à base de blanc de plomb, seule la couche inférieure (1)

contient de la calcite (grains noirs).

IV-2.A.2 Toiles préparées pour techniques spéciales et pour la peinture décorative

La même toile de lin semble avoir été utilisée pour les toiles préparées pour techniques spéciales (fusain, pastel, gouache, aquarelle). La toile pour fusain est recouverte d’une fine couche (environ 37 µm) de blanc de plomb pur, broyé très finement et de manière homogène. En revanche, si ce pigment a également été utilisé pour la toile pour aquarelle (couche d’environ 33 µm), son broyage est bien plus grossier. Un additif coloré contenant du fer et du manganèse (probablement de la terre d’ombre) a été ajouté au blanc de plomb utilisé dans la

toile pour gouache. Du quartz a été détecté en charge de la couche de blanc de plomb (55 µm

d’épaisseur) des toiles pour pastel: le matériau a-t-il été ajouté afin de rendre la couche de peinture plus rugueuse, pour faciliter l’abrasion des pointes de pastels ? Enfin, les deux additifs principaux du blanc de plomb, calcite et baryte, sont présents dans la fine et unique couche (26 µm) appliquée sur la toile pour fixés.

Les toiles préparées pour la peinture décorative présentent elles aussi des variations. La toile plafond coton est composée d’une épaisse couche (100 µm) de blanc de plomb pur

167

très finement broyé (particules de 6 µm), tandis que les toiles plafond fil grain moyen et

plafond bâtiment sont chargées de calcite. La toile gros grain, ton pierre était particulièrement

intéressante du fait de l’inscription qui l’accompagnait : préparée à l’italienne. Alors qu’on pouvait s’attendre à l’utilisation d’un gesso (CaSO4.2H2O), la toile a en réalité été préparée par une couche basée majoritairement sur la calcite (80 w%) et le blanc de plomb (20 w%)

On constate donc que selon l’utilisation à laquelle la toile est destinée, elle est recouverte d’une matière picturale où le pigment blanc de plomb se retrouve sous différentes formes correspondantes à différentes qualités : pur ou chargé, broyé plus ou moins finement.

En plus d’avoir fourni de nouvelles informations sur les toiles préparées utilisées à la fin du XIXème s., notre étude a également mis en lumière qu’une terminologie spécifique était utilisée par les fabricants, vendeurs de pigments et par les artistes, selon la qualité du pigment considéré. La liasse Binant prouve que cette qualité peut être étroitement liée à l’emploi qui va être fait de la toile par le peintre. Les premiers résultats demeurent cependant préliminaires: une analyse structurale est nécessaire pour affiner notre compréhension des qualités de blanc de plomb.