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CHAPITRE 1 : SEXUALITE ET SOCIETE, TRAITEMENTS SOCIAL ET JUDICIAIRE

IV. Du rôle du professionnel à la place centrale de la PPSMJ

IV.3. Quand la PPSMJ transcende les espaces professionnels : émergence de l’empowerment et dispositif socio-

IV.3.1 Du dispositif socio-sanitaire

Le terme « dispositif » a été ici utilisé à plusieurs reprises, il est donc nécessaire de définir le champ épistémologique dans lequel nous l’employons. D’après les écrits foucaldiens, le dispositif se décrit selon trois points :

- « il s’agit d’un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu’elle soit discursive ou non : discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, propositions philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s’établit entre ces éléments.

48 - Le dispositif a toujours une fonction stratégique concrète et s’inscrit toujours dans une relation de pouvoir.

- Comme tel, il résulte du croisement des relations de pouvoir et de savoir. »74

Si la notion de dispositif nous a interpellé durant cette recherche, c’est précisément parce qu’elle fait appel à l’ensemble des éléments formant l’accompagnement psycho-pénal de la PPSMJ : des lois, des acteurs, des lieux mais aussi des savoirs et des discours. Si une interface santé – justice doit exister, la cohérence des interventions passe par une identification d’un dispositif socio-sanitaire permettant les échanges mais également la complémentarité des pratiques. « Parler de dispositif permet donc de faire coexister au sein de l’argumentation des entités traditionnellement considérées comme inconciliables. » (Peeters, Charlier, 1999). Le dispositif permet donc de ne pas se limiter à une interface, nécessaire mais insuffisante. Si des échanges peuvent et doivent avoir lieu entre professionnels, leurs pratiques respectives doivent aussi être pensées dans une direction commune, celle des besoins de la PPSMJ. Si les récentes lois concernant l’accompagnement psycho-pénal des auteurs de violence sexuelle insiste sur la pluridisciplinarité des approches, s’inscrire dans un dispositif suppose de connaitre les pratiques de chacun. Sans cela, nous pouvons envisager la difficulté pour la PPSMJ d’identifier l’unité de la prise en charge. Cette difficulté est d’autant plus insistante qu’il apparait aujourd’hui que la PPMSJ se retrouve au centre du dispositif socio-sanitaire. « En considérant le dispositif thérapeutique comme un processus de médiation à travers lequel l’objet même de l‘activité thérapeutique se constitue au plan politique, on peut dès lors analyser sous un autre angle la nature des transformations qui se sont opérées dans ce champ au cours des deux dernières décennies. Cette perspective nous permet dès lors d’aborder le thème de la responsabilisation accrue en regard des individus qui bénéficient ou qui participent aux programmes thérapeutiques dispensés dans le cadre de l’intervention pénale »75 (Quirion, 2006).

Ce que Quirion observe comme processus de responsabilisation, nous l’avons l’évoqué sous le terme d’empowerment. En milieu pénitentiaire, en milieu ouvert comme en milieu fermé, l’empowerment vise à « développer la prise d’initiatives des détenus, pour renforcer leur autonomie, leur pouvoir d’agir, de faire des choix, d’adopter des stratégies de changement,

74

Agamben, G. (2006). Qu’est-ce qu’un dispositif ?. Paris : Rivages poche

75

Si Quirion use du terme dispositif thérapeutique, il ne renvoie pas au même usage que le terme thérapeutique employé dans un registre psychologique en France ;

49 d’acquérir et revendiquer un contrôle de leur propre destinée »76. C’est donc à une réelle relecture de leur vie, en termes d’investissement personnel fait de choix et de trajectoires propres, que sont invitées aujourd’hui les PPSMJ.

IV.3.2. Emergence de l’empowerment

En effet, si le concept d’empowerment s’inscrit dans un processus de développement social, nous pouvons le transposer au développement individuel ici recherché dans le processus de changement attendu chez la PPSMJ.

A l’origine, le terme d’empowerment est particulièrement utilisé pour qualifier les mouvements contestataires initiés par des « communautés marginalisées comme les Noirs américains, les femmes, les gays ou les personnes handicapées » (Calvès, 2009). Le concept d’empowerment « renvoie à des principes, telles que la capacité des individus et des collectivités à agir pour assurer leur bien-être ou leur droit de participer aux décisions les concernant » (Calvès, 2009).

Aujourd’hui, le recours au terme d’empowerment est souvent lié au contexte socio- économique et renvoie plus facilement à une réflexion sur la façon dont ces groupes défavorisés peuvent participer au développement économique de leur pays. La réciprocité des actions a donc disparu du concept. Or c’est cette réciprocité qui permet de distinguer l’empowerment comme un processus émergeant d’une interaction entre la personne visée et l’espace dans lequel elle s’inscrit.

Prenant l’exemple des ghettos américains, Dane (2007) observe que « l’empowerment implique non seulement des pratiques tendant à augmenter les capacités d’initiative et d’organisation des habitants, mais aussi des stratégies pour accroître leurs pouvoirs à travers des réalisations de nature diverse et des mouvements de pression, créant parfois des rapports de force pour atteindre un but précis. » Il s’agit donc d’impliquer un sujet ou groupe de sujets identifiés comme défavorisés sur le plan social pour le réinscrire, de par ses propres actes et en relation avec les attentes formulées à son encontre dans le champ social. Ainsi, si l’on s’intéresse aux infracteurs, il est indéniable que leur place dans la société renvoie à ces mêmes populations dont le concept d’empowerment est venu qualifier la remise en question et la démarche active d’insertion.

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Ferron, C. (2011). L’empowerment : Comment cette notion fondamentale de promotion et d’éducation pour la santé peut-elle s’appliquer dans le contexte du milieu pénitentiaire ?. Journées de la prévention. Paris, 19 et 20 mai

50 Les programmes, pénitentiaires et thérapeutiques, que nous allons observer dans cette recherche reposent sur cette philosophie de l’invitation au changement avec comme finalité, une réinsertion par l’absence de récidive d’une part et une reconnaissance et considération de ses positions subjectives. Ils sont tous deux issus de la littérature anglo-saxonne concernant la prise en charge des auteurs de violence sexuelle. Il n’est pas étonnant de voir des pratiques inspirées de ces données émerger aujourd’hui puisque, comme nous l’avons vu, les évolutions des pratiques tendent vers des prises en charge de plus en plus spécialisées, redéfinissant les rôles des protagonistes, professionnels et PPSMJ. L’organisation française des prises en charge suppose un regard sur les effets de chaque pratique, pénitentiaire ou thérapeutique, le processus d’empowerment ne pouvant qu’être appréhendé sur un niveau global de visibilité du changement.

Intérêts et nécessité d’une évaluation

Les programmes observés, pour mettre en évidence leurs effets, incluent un protocole d’évaluation. Peu souvent utilisé en France, l’évaluation des pratiques, dans les domaines judiciaire comme thérapeutique, permet de visualiser les changements opérés et de les mettre en lien avec les effets attendus. L’analyse des pratiques est souvent perçue comme un regard critique porté sur les actes du professionnel alors qu’il s’agit d’un regard sur des processus en jeu. Formaliser une évaluation nécessite de déconstruire précisément les objectifs et moyens employés. Il s’agit également de décliner un certain nombre d’indicateurs que l’évaluateur sera en mesure d’observer pour apprécier les changements. Ceux-ci peuvent en effet s’apprécier de différentes façon : en questionnant directement le sujet, en comparant sa position finale à sa position initiale quant à certains items précis, ou encore en comparant le niveau atteint à celui qui est attendu de lui (Gérin, Dazord, Sali, 1991). L’influence des pratiques internationales n’est pas sans effet sur la prise de conscience d’une évaluation structurée. En identifiant des objectifs précis, ces pratiques ont permis de mettre en place des protocoles d’évaluation visant à éclairer le professionnel sur l’efficience de sa pratique (cf. chapitre 2).

L’évaluation nécessite donc de prendre connaissance des modalités de construction de la pratique pour pouvoir observer ce qui s’y joue d’attendu, mais laisser également une place à ce qui peut se produire d’inattendu. Nous le verrons, une pratique, aussi formalisée soit-elle, est toujours influencée par ceux qui l’agissent, professionnels comme usagers, ainsi que par l’espace et le temps dans lesquels elle se déroule.

51 En mesurant les effets attendus ou inattendus des pratiques, nous pourrons définir dans quelle mesure un nouveau dispositif socio-sanitaire a pu voir le jour en France, inspiré des pratiques étrangères, mais adapté à la configuration spécifique du système pénal. Pour cela, une analyse des cohérences intra- et inter-cadres sera nécessaire afin de s’assurer qu’une interface est réalisable entre les deux sphères santé et justice ; de même, il s’agira d’observer en quoi ces pratiques peuvent être complémentaires et non source de confusion ou de divergence, empêchant ainsi la PPSMJ de s’approprier un parcours de peine. Un dispositif socio-sanitaire nécessite en effet une appréhension globale de ses organisations pour faire émerger une cohérence générale.

Conclusion

La sexualité et la violence sexuelle cristallisent et véhiculent un certain nombre de représentations sociales importantes influençant le rapport qu’une société entretient avec les comportements sexuels. L’évolution de la législation montre combien les attentes des citoyens sont importantes lorsqu’il s’agit de prévenir ou de punir une infraction sexuelle.

Tandis que la sexualité - bien que toujours sous-tendue par un regard moralisateur - se parle de plus en plus, l’auteur de violences sexuelles occupe toujours une place particulière tant du point de vue du citoyen que du législateur. Une évolution est tout de même visible. Plutôt que de penser la mise au ban de l’infracteur sexuel, les lois prévoient désormais un nombre de professionnels conséquents pour favoriser la réinsertion.

A condition que ces derniers puissent produire respectivement des effets distincts et complémentaires dans un cadre socio-sanitaire cohérent, c’est aujourd’hui une véritable recherche d’autonomisation et de responsabilisation (notion d’empowerment) qui émerge.

Synthèse : Chapitre 1

L’évolution des politiques pénales ainsi que des appréhensions sociales de la violence sexuelle démontre une transformation des pratiques pénitentiaires et thérapeutiques. D’une justice fondée sur une vengeance sociale, l’accompagnement socio-sanitaire s’inscrit dans une dynamique d’autonomisation de la PPSMJ. Loin de ne considérer que l’acte commis et sa valeur transgressive ou infractionnelle quant à la société, il s’agit dorénavant d’estimer et de mettre en exergue les capacités du sujet à se remettre en question pour s’inscrire dans la collectivité. Pour ce faire, les professionnels du soin et du champ pénitentiaire se sont construit des domaines d’interventions spécifiques et complémentaires si l’on considère la réinsertion comme la finalité de leur intervention.

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Chapitre 2 : Influences internationales et adaptations