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CHAPITRE 1 : SEXUALITE ET SOCIETE, TRAITEMENTS SOCIAL ET JUDICIAIRE

II. Variation historique du traitement socio-pénal de l’infracteur

II.5. De la fonction judiciaire aux modèles de justice

Différentes formes de justice se distinguent en effet les unes des autres et désignent différemment des acteurs et interventions spécifiques au-delà du sens exprimé par la peine. Pour chaque modèle de justice, l’infracteur comme la victime sont définis dans des rôles particuliers, assignés en fonction de ce que la justice va vouloir exprimer autour d’un acte commis. Se mettent alors en œuvre des modalités d’intervention différenciées.

23 II.5.1. La justice rétributive : loi du Talion et vengeance sociale

« Afin de proclamer la Justice en ce pays, de régler les disputes et réparer les torts », Hammourabi, roi de Babylone (18e siècle av JC) fit rédiger un ensemble de règles régissant les mesures punitives en fonction de l’infraction commise sur le principe de la loi du Talion explicitée dans le Nouveau Testament par l’expression « œil pour œil et dent pour dent ». Ainsi, il y est explicitement mentionné « Si un homme a crevé l’œil d’un awêlum, on lui crèvera un œil ; s’il a brisé un os d’un awêlum, on lui brisera un os », où l’awêlum désigne l’homme ou la femme libre, c'est-à-dire membre d’une élite.

Ce principe de réciprocité des violences subies est progressivement abandonné au profit des sanctions financières. Toutefois, il est encore particulièrement influant sur la représentation qu’à la société en ce qui concerne la sanction pénale. Le modèle rétributif vient incarner le désir de vengeance, loin d’un quelconque caractère réhabilitatif puisqu’il se concentre sur la punition de l’auteur. « Les intérêts du délinquant et de la victime sont secondaires au bénéfice des impératifs sécuritaires de la société » (Coco, Corneille, 2009). Partant de ce principe, l’infraction s’envisage comme une rupture du lien social, un non respect des conventions régissant les relations interpersonnelles. Il ne s’agit alors pas de venger la victime qui n’apparait que dans un second plan, mais de faire infliger à l’infracteur la même souffrance que ce que la société a pu vivre par son agression.

Coco et Corneille précisent que l’intervention psychodynamique peut trouver un sens dans ce modèle pénologique, mais dans une dimension purement personnelle pour le sujet infracteur puisque définitivement non centrale dans la conception du modèle pénologique : « Au vu de ces éléments pénologiques, les interventions psychologiques de types psychanalytique, psychodynamique et systémique n’étaient pas incompatibles avec le modèle de justice rétributive car, comme ce dernier se désintéressait de la relation psychothérapeutique, il en préservait l’intimité. »

L’assimilation de la punition corporelle à la torture puis la place de plus en plus importante accordée à la victime ont progressivement amené la formulation d’un modèle réhabilitatif qui considère le passage à l’acte non plus comme une agression visant la société mais comme le signe d’une pathologie à l’œuvre chez son auteur.

24 II.5.2. Justice réhabilitative : de l’idéal à la désillusion

Si l’Eglise a rapidement envisagé la peine dans une logique expiatoire et repentante, les institutions d’Etat « endossent à leur tour cet objectif de réforme du délinquant »43 à partir du XIXe siècle. La prison dépasse son statut de lieu de passage, plus ou moins long en fonction de la peine prononcée, pour devenir un lieu de transformation du sujet.

Alors que la justice rétributive se centre sur l’infraction, la justice réhabilitative place tous ses objectifs autour de la personne de l’agresseur en tant que son geste est appréhendé comme le signe d’un dysfonctionnement qu’il s’agit de corriger. D’un point de vue thérapeutique, ce modèle pénologique a rencontré un fort succès auprès des praticiens cognitivo- comportementaux puisque la cible de l’intervention y était explicitement édictée (Coco, Corneille).

Les politiques réhabilitatives ont connu un essor particulier au lendemain de la seconde guerre mondiale, la réforme Amor étant, en France, l’exemple de son influence (Cf. infra). Les prises en charge se multiplient et la prison devient un lieu d’expérimentation de programmes spécifiquement construits et élaborés pour le délinquant.

Ce modèle réhabilitatif, placé en idéal, connaitra un certain déclin après la publication des travaux de Martinson (1974, cf. infra) montrant l’efficacité toute relative des mesures prises aux Etats-Unis. La critique acerbe de cet idéal réhabilitatif qui suivra la publication de Martinson favorisera la naissance d’une « justice actuarielle » basée sur une connaissance statistique et objective du risque de violence. Un nouvel élan réhabilitatif apparait alors, agrémenté de nouveaux outils objectifs et visant une démarche scientifique. « Cette sortie de crise, dès le tournant des années 1990, permet dès lors d’asseoir avec une nouvelle légitimité l’intervention thérapeutique au sein des institutions pénales » (Quirion, op. cit.). Il convient toutefois de mettre en perspective cette renaissance avec le contexte socio-pénal influencé par la pensée actuarielle et qui vient redéfinir des logiques en termes d’offre de soins et de prise en charge pénitentiaires.

Les deux pratiques émergentes observées dans cette recherche apparaissent comme le produit de la rencontre entre une recherche de réadaptation du sujet délinquant et une volonté de protection de la société. Ces questionnements seront largement débattus et complétés dans une partie spécifique traitant de l’émergence de la logique actuarielle et de son influence sur les modes de prise en charge au niveau international.

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Quirion, B. (2006). Traiter les délinquant ou contrôler les conduites : le dispositif thérapeutique à l’ère de la nouvelle pénologie. Criminologie. Vol.39. numéro 2, p.137-164

25 II.5.3. Justice restaurative : une juste équation ?

Un nouveau modèle pénologique prend forme depuis la fin du XXe siècle, celui de la justice restaurative, aussi nommée justice réparatrice (Cario, 2007). Dans cette conception de la justice, « la fonction principale de la réaction sociale n’est ni de punir, n’y de rééduquer, ni de traiter mais de promouvoir la réparation des torts causés par le délit » (Déclaration de Louvain sur la pertinence de promouvoir l’approche réparatrice pour contrer la criminalité juvénile)44. La justice restaurative ne perçoit donc pas le crime comme une attaque de la société ou une défaillance de la part de l’auteur de l’acte mais comme un conflit entre l’auteur, la victime et la société dans laquelle ils sont tous deux inscrits (Zehr, 1990). Le lien social représente le nouage central qui implique de restaurer un dialogue entre les parties, par l’intermédiaire des médiations pénales par exemple, définies comme « un processus réunissant deux parties qui, avec l’aide d’un tiers neutre, essayent de trouver une solution au litige qui les oppose ». La société se pose donc garante d’un juste échange entre deux parties jusque-là en conflit, autour de l’infraction ou du crime. « Infracteur, victime, proches, membres des communautés concernées sont invités à envisager ensemble, au sein du système de justice pénale, les conséquences du crime éprouvé et de trouver ensemble les solutions, équitables pour tous, pour sortir du conflit. » (Cario, 2007)

Si les précédents modèles pénologiques se concentraient sur la réparation d’un outrage ou la mise en œuvre de moyens conséquents pour réhabiliter le détenu, la justice restaurative entend donner au criminel la charge d’évoluer par lui-même : « il s’agit moins d’oublier l’acte que de le dépasser et de participer à un projet planificateur où le désir de prouver quelque chose est plus important que de payer sa dette. […] Réparer, c’est bien se situer comme auteur, acteur et sujet de son acte. (Commission du droit du Canada, 1999 – cité par Demet, 2000) » (Coco, Corneille, 2009).

La recherche d’un dialogue réciproque entre l’auteur, la victime et la société se fonde sur des modalités de régulation des conflits traditionnelles, désireuses de trouver un juste équilibre dans les rôles de chacun et de montrer de l’intérêt positif pour chacun des protagonistes. Ainsi, la victime se sait entendue dans sa souffrance, tandis que le criminel se voit encouragé à accepter et prendre part à sa sanction.

Les différents modèles de justice accordent donc plus ou moins de place à l’infracteur et à la victime. Notre recherche se centrant sur les prises en charge de l’auteur, nous devons penser

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Strimelle, V. (2012). La justice restaurative : une innovation du pénal ?. Champ pénal, Séminaires Innovations Pénales

26 le sens accordé au parcours judiciaire du condamné. Ici encore, se dessine une chronologie d’évènements. En effet, progressivement, ce sont de multiples interlocuteurs qui viennent constituer un véritable dispositif d’accompagnement socio-judiciaire.