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CHAPITRE 1 : SEXUALITE ET SOCIETE, TRAITEMENTS SOCIAL ET JUDICIAIRE

III. 2.1 1986 : Première greffe du soin psychique dans et hors les murs

III.5. Interface santé / justice : construction d’un dispositif

III.5.2. La loi comme « méta-cadre »

Pour envisager l’efficacité d’un tel dispositif, la loi se constitue comme un « méta-cadre » dans lequel « le soin et la surveillance sont des partenaires indissociables »69. Plus que la surveillance et le contrôle, c’est un véritable travail pédagogique qui est aujourd’hui envisagé conjointement au travail thérapeutique. Généralement, en l’absence de trouble psychique ou psychiatrique, « ce qui justifie la prise en charge de ce type de sujets, c’est […] tout le trouble répété ou potentiellement répété à l’ordre social qu’ils représentent »70. Santé et justice vont donc travailler sur une même pathologie du lien social au risque d’introduire une confusion dans l’esprit du justiciable. La question sous-jacente aux deux pratiques est celle du passage à l’acte et de ses origines tant dans le comportement du justiciable que dans sa psyché. On ne peut soigner un acte déjà posé mais il est possible de rétablir un équilibre psychique qui ne se montrera pas si vulnérable que précédemment.

L’interface entre des champs de compétences ne peut être efficiente que si chacune des pratiques s’envisage à la fois indépendamment, mais également en lien l’une avec l’autre. Chacune possède son propre territoire à explorer mais certaines zones sont communes. L’identification de pratiques particulières et la distinction entre le soin et l’éducatif sont donc nécessaires pour favoriser l’émergence d’une appropriation de son parcours pénal par la personne condamnée. « La différence garantit plus d’efficacité que la transparence » (Baron- Laforêt, 2008).

L’articulation entre pratiques sanitaires et pratiques pénitentiaires, centrées respectivement sur la santé mentale et la prévention de la récidive, vise un objectif commun mais dédoublé : la meilleure « santé » mentale du sujet pour prévenir la constitution d’une nouvelle victime. Le sujet se dédouble alors en un sujet de la clinique, à l’équilibre psychique singulier, et un citoyen inscrit dans une communauté dont il doit respecter les règles et les devoirs. Intervenir sur l’une ou l’autre des dimensions du sujet laisse irrémédiablement des traces sur son autre dimension. Le méta-cadre constitué par la loi se doit donc d’être à la fois une instance décisionnaire, en tant qu’il oblige le sujet à se remettre en question sur les deux champs délimités pré-cités, mais, il se doit également d’être une instance régulatrice, analysant les évolutions du même sujet dans ce parcours dédoublé. Un lien doit donc être particulièrement

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Ciavaldini, A. (2012). Prise en charge des délinquants sexuels. Yakapa.be

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43 surveillé et une mise en commun des acquis doit pouvoir être vérifié. Ce peut, par exemple, être le cas de l’intermédiaire des commissions pluridisciplinaires uniques favorisant l’échange autour d’un même détenu en milieu carcéral. Si un tel dispositif est prévu, la difficulté de son application, au-delà des limites matérielles en termes de temps et de disponibilité de chacun, réside dans les limites déontologiques mais aussi personnelles que se posent les professionnels lorsqu’ils travaillent auprès d’une population de délinquants sexuels.

Le secret professionnel biaise régulièrement les possibilités offertes par ces tentatives d’articulation. « Apprendre à travailler avec ce nouveau paradigme secret et partage : garantir un secret professionnel mais poser un cadre aux échanges, entre l’étanchéité et la transparence qui n’est qu’une illusion, génératrice de confusion, d’annulation des pratiques … » (Baron- Laforêt, op. cit.).

Pour autant, la garantie de confidentialité est également la pièce maitresse grâce à laquelle un sujet sera en capacité de s’exprimer. Sans cela, la relation entre la PPSMJ et le professionnel ne sera jamais qu’une rencontre dénuée d’intérêt. En clarifiant ce point, en posant les objectifs de l’intervention proposée, cette relation forcée prendra un sens pour la PPSMJ qui saura alors s’en saisir personnellement, plutôt que de consentir « au processus proposé de façon passive sans avoir pour autant saisi le contenu de la mesure de soins » (Baron-Laforêt, 2007). Le processus d’empowerment débute alors dès l’identification des instances contenues dans ce méta-cadre que constitue la loi.

La phase pré-sentencielle est à ce titre particulièrement délicate. Les difficultés de la rencontre entre l’infracteur et le professionnel se répètent à mesure que se multiplient les intervenants : avocats, experts, juges, etc. sont autant d’interlocuteurs à qui il faut répéter son histoire intime sans réellement connaitre les enjeux de sa divulgation. Afin de s’assurer que la période sentencielle, temps particulier de la prise en charge, ne soit pas marquée des mêmes fragilités, il convient alors de considérer l’indépendance des cadres d’intervention (SPIP, soin, JAP) tout en prenant en compte leur fonction « d’intercontenance » (Ciavaldini, 2003). En facilitant la confidentialité des pratiques tout en offrant des « porosités » contrôlées, les cadres d’intervention pourront permettre l’élaboration d’un « langage commun permettant l’échange avec ses règles connues de tous et élaborées en commun dans le respect des missions et des règles de déontologies de chaque champ professionnel » (Ciavaldini, 2009). L’interface santé – justice nécessite donc un échange codifié entre professionnels pour assurer une cohérence des prises en charge.

44 Les professionnels se doivent donc de proposer un espace suffisamment sécure pour que le sujet puisse l’identifier comme lieu de dépôt des affects. Deux types d’identifications sont alors possibles : identification aux équipes (soignantes, CPIP), mais également identification à l’ensemble du dispositif. L’interdisciplinarité permettra un second étayage pour le sujet, à condition d’une « liaison réelle et effective entre ces partenaires » (Ciavaldini, 2009).

Cet étayage psychique suppose néanmoins que les professionnels se montrent suffisamment empathiques avec le sujet ce qui peut s’avérer parfois difficile en raison des représentations véhiculées par la violence sexuelle.

III.5.3. Particularité de la violence sexuelle : résistance morale et supports spécifiques