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CHAPITRE 1 : SEXUALITE ET SOCIETE, TRAITEMENTS SOCIAL ET JUDICIAIRE

II. Variation historique du traitement socio-pénal de l’infracteur

II.4. Peine et société

Au XVIIIe siècle, Bentham affirme que « le but essentiel et immédiat de la punition est de contrôler l’action. Cette action est ou bien celle de l’infracteur, ou bien celle des autres. Elle contrôle celle de l’infracteur en exerçant une influence ou bien sur sa volonté, auquel cas on dit qu’elle agit en réformant, ou bien sur son pouvoir physique, auquel cas on dit qu’elle agit en empêchant de nuire. Elle ne peut influencer celle des autres qu’en agissant sur leurs volontés, auquel cas on dit qu’elle agit en faisant un exemple. »37 Cette hypothèse renvoie à la capacité de rationalisation du criminel et peut être plus approfondie en déconstruisant quatre fonctions de la sanction (Van de Kerchove, 2005), cette fois à partir des effets produits sur la société constituée de potentiels infracteurs, dans une logique individuelle de la peine en termes durkheimien. Comment l’individu peut-il être marqué par la peine qu’un autre que lui reçoit, comment le groupe social est-il influencé par des comportements individuels ?

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Bentham, J. (1781). An introduction to the principles of morals and legislation. Available : http://www.utilitarianism.com/jeremy-bentham/index.html

20 II.4.1. Une prévention par la crainte inspirée

C’est dans la peur qu’elle inspire qu’il faut rechercher la fonction de prévention de la sanction. L’expérience de la sanction, lorsque celle-ci prend la forme d’une peine judiciaire, produirait un effet dissuasif spécifique faisant craindre les effets d’une récidive. Si par principe la sanction peut dissuader la commission d’une infraction, au même titre que la culpabilité qu’elle engendrerait, plusieurs exemples viennent mettre en doute ce principe. La peine capitale, controversée, illustre parfaitement la complexité de l’effet dissuasif de la peine. A défaut de pouvoir contrôler les effets de la peine de mort sur les sujets tentés par le crime, les données de la littérature varient et ne s’accordent sur aucune conclusion définitive. A titre d’exemple, Amnesty International a démontré que dans l’état américain du Delaware, le taux d’homicides a été le plus élevé après 1961, période où la peine de mort était de nouveau appliquée après trois années de suspension.

De plus, « la menace de la peine n’apparaît efficace, en principe, que pour les catégories de personne pour lesquelles elle n’est pas utile »38. Ceux pour qui l’attirance pour la déviance est faible sont donc les personnes les plus à même de se détourner de la délinquance. Les personnes fondamentalement attirées par le crime trouveraient plus facilement des moyens de contourner la loi sans être inquiétées.

A titre d’exemple, l’enfermement des mineurs est passé de 1905 délinquants enfermés en 1994 à 4542 en 2001 ; pendant que les chiffres de la délinquance démontraient une hausse de la délinquance des jeunes. Les deux chiffres ont augmenté en parallèle, alors que théoriquement, la fonction préventive de la sanction laissait présager une première augmentation des enfermements suivie par une baisse de la délinquance, résultant de la crainte inspirée par le risque de l’enfermement. Il semblerait donc qu’une politique répressive n’est pas l’effet escompté en matière de prévention de la récidive39.

II.4.2. Réparation et rédemption

La fonction de réparation de la peine emprunte à la notion chrétienne de rédemption. Il s’agissait alors pour le pécheur de se racheter40 une place dans la société. Cette conception de la dette constituée lors de l’infraction se retrouve aujourd’hui dans le langage commun : « il a payé sa dette à la société ». Une lecture contemporaine de cette dette envisage les réparations pouvant être apportées à la victime. Les indemnisations pécuniaires constituent une part

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Kellens, G. (1982). La mesure de la peine. Liège, collection scientifique de la faculté de droit de Liège

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Vindevogel, F. (2007). La remise en questions des politiques pénales ultra-répressives. Revue française d’études américaines. 3(N°113). 92-107

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21 importante du dossier pénal. En effet, prouver que l’on verse chaque mois une somme, même symbolique, aux parties civiles constitue une preuve d’une volonté de réinsertion sociale et de considération d’autrui. La place de plus en plus conséquente accordée aux victimes durant le procès, l’instruction et le temps de la peine, démontre la volonté de prendre en considération la souffrance de la victime. Ainsi, l’importance de cette indemnisation est primordiale lors des délibérations de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ; la fonction symbolique de rachat et de réparation paraissant un vecteur important de la décision41.

II.4.3. Rétribution par la punition

Par la fonction rétributive de la peine, l’auteur doit connaître les mêmes douleurs que celles qu’il a pu infliger à sa victime, dans une logique décrite par la loi du Talion (1750 av JC). Afin de réguler les désirs de justice privée, la loi du Talion permet de considérer une juste peine basée sur la réciprocité. La logique rétributive s’inscrit dans un mouvement en arrière, son origine étymologique, du latin retribuere, signifie d’ailleurs rendre en retour : « celui qui est puni […] n’a que ce qu’il mérite, et son sort est tout à fait proportionné à sa conduite » (Kant).

Selon cette acception, la place qu’occupe aujourd’hui la prison est héritée de la Révolution française. Pour Foucault (1975), si la peine a cessé d’être centrée sur le supplice physique vers le milieu du XIXème siècle, la prison « n’a jamais fonctionné sans un certain supplément punitif qui concerne bien le corps lui-même : rationnement alimentaire, privation sexuelle, coups, cachot. […] La prison dans ses dispositifs les plus explicites a toujours ménagé une certaine souffrance corporelle. »42 D’ailleurs, jusque 1850, et malgré l’abolition officielle de la torture dès 1788, la prison était critiquée pour ne pas être suffisamment punitive, ou violente à l’égard des condamnés. Les prisonniers, nourris et logés, ne souffraient pas autant que les pauvres ou les ouvriers.

Ces critiques sont toujours présentes aujourd’hui : les prisons modernes sont elles aussi critiquées pour le confort supposé qu’elles proposent aux détenus (chambres individuelles, télévision, etc). Il semblerait que le caractère rétributif de la peine véhicule la représentation d’un nécessaire châtiment corporel, héritier des pratiques moyenâgeuses, véritable « prise de corps » (Foucault, 1975) du détenu.

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Hirschelmann, A. (dir.) (2012). Evaluation transversale de la dangerosité. Recherche réalisée avec le soutien de la Mission de Recherche Droit et Justice

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22 II.4.4. La reconnaissance du juste

En condamnant les écarts aux normes, la peine vient aussi conforter les positionnements individuels de ceux qui adhèrent à ces normes. Elle ne vise donc pas uniquement le délinquant mais elle conforte aussi les convictions des « honnêtes gens » (Durkheim, 1893). Plusieurs exemples contemporains illustrent les écarts pouvant exister entre la peine telle qu’elle est prononcée par le législateur et telle qu’elle est perçue par la société.

L’arrestation de Kim Dotcom, créateur d’un site internet ayant permis le téléchargement illégal de contenu numérique, a ainsi cristallisé différents avis tranchés sur le sens que la peine pouvait prendre en fonction du positionnement de la société par rapport au délit ou crime perpétré. Se sont alors échangés sur les réseaux sociaux des montages numériques sur lesquels étaient comparés les cinquante années de prison encourues par Kim Dotcom et la condamnation d’un autre individu à 20 années d’emprisonnement pour viol.

Si la démonstration n’a aucun sens juridique ou scientifique, elle démontre que, dans le cas d’une condamnation contraire aux valeurs véhiculées par la société - ici, le téléchargement de contenu numérique via internet - la peine perd sa fonction socio-pédagogique. A contrario, cette fonction est particulièrement visible dans le cas d’une condamnation forte d’une personne accusée de crime sexuel, en particulier lorsque les victimes sont des enfants. Ici, l’adéquation entre la peine et les valeurs négatives rattachées au crime conforte la norme sociale. C’est aussi dans ce cadre que l’expression « condamné pour l’exemple » prend son sens, les faits venant incarner le caractère consensuel de la représentation sociale de leur caractère infractionnel.

Les différents sens et fonctions de la peine orientent alors les pratiques pénales jusqu’à constituer des modèles de justice. Ceux-ci instaurent une orientation aux peines prononcées en fonction de leur conception du crime, du criminel et de la victime.