• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : SEXUALITE ET SOCIETE, TRAITEMENTS SOCIAL ET JUDICIAIRE

III. Entre contrôle social et recours au soin : quel modèle de justice en France ?

Si des modèles de justice peuvent être théorisés sur le plan pénologique, la réalité des pratiques oblige à penser des croisements de regards. L’évolution des représentations sociales, des attentes sociétales, la succession de différents gouvernements, participent à l’instauration d’une justice hybride, tantôt axée sur une approche répressive de l’acte infractionnel, tantôt centrée sur un accompagnement social de son auteur. En France, le projet de loi dit « Taubira » concernant la mise en place de nouvelles mesures visant la réinsertion de l’infracteur a ainsi entraîné une fronde de la part des détracteurs de ce projet perçu comme « permissif ».

Entre rétribution et réhabilitation, la justice française a, depuis la fin de la seconde guerre mondiale en ce qui concerne l’accompagnement pénal des condamnés, placé le soin, somatique comme psychologique ou psychiatrique, à la place de partenaires de la justice entendue au sens strict. Cette dualité d’intervenants peut alors se conceptualiser comme complémentaire, s’ils visent un objectif commun, celui de la réinsertion, mais elle peut aussi être entendue comme antagoniste lorsque les interventions des professionnels ne répondent pas aux mêmes objectifs pénologiques. Un retour par l’histoire de cette rencontre santé / justice doit permettre de modéliser aujourd’hui un véritable dispositif socio-sanitaire45, incarné théoriquement par une interface santé-justice permettant la réalisation d’un objectif commun. Pour cette recherche, ce dispositif sera alors analysé par le biais d’une expérimentation de deux prises en charge spécifiques aux champs de la justice et de la santé.

III.1. Santé et Justice : une rencontre nécessaire mais impossible ?

En fonction des évolutions scientifiques ou sociales, les logiques pénales sont passées d’une « volonté de punir » vers ce qui se nomme aujourd’hui un processus d’« empowerment » où le justiciable est placé au centre d’un dispositif complexe (Cf. infra.)

L’appareil de justice s’est progressivement détourné d’une répression stricte du criminel pour orienter son intervention vers le redressement, la réinsertion, voire la normalisation. Celle-ci

45

27 procède d’une mise en avant des propres capacités du sujet à se saisir des moyens que la société lui offre. Cette logique d’empowerment se distingue alors des observations foucaldiennes axées sur une intervention d’un tiers extérieur sur le condamné : « A partir du moment où effectivement il (le juge) va faire porter son jugement, c’est-à-dire sa décision de punition, non pas tellement sur le sujet juridique d’une infraction définie comme telle par la loi, mais sur un individu qui est porteur de tous ces traits de caractère, à partir du moment où il va avoir affaire à ce doublet éthico-moral du sujet juridique, le juge en punissant, ne punira pas l’infraction. Il pourra se donner le luxe, l’élégance ou l’excuse d’imposer à un individu une série de mesures correctives, de mesures de réadaptation, de mesures de réinsertion. Le vilain métier de punir se trouve retourné dans le beau métier de guérir » (Foucault, 1999). L’empowerment ajoute à ces pratiques imposées au sujet la notion d’inscription du sujet dans cette démarche réinsertive. Si des lois viennent prévoir les modalités d’application de la peine, il revient à l’infracteur de s’approprier les outils mis à sa disposition par le dispositif socio- sanitaire (cf. infra).

Celui-ci implique une complémentarité des pratiques pénitentiaires et thérapeutiques afin que le sujet puisse se penser dans un parcours de peine cohérent.

III.1.1.Naissance des Comités de Probation et d’Assistance aux Libérés

L’année 1958 voit, en France, l’apparition d’un trio d’acteurs et de mesures incarnant un nouveau souffle à la justice pénale puisqu’elle marque la constitution de la probation par l’intermédiaire du Juge de l’application des peines (JAP), du sursis avec mise à l’épreuve (SME) et du Comité de probation et d’assistance aux libérés (CPAL). Officialisé par l’ordonnance du 23 décembre 1958, ces trois institutions représentent une nouvelle logique pénitentiaire puisque, avec le SME, le détenu peut être condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis mais doit, pour éviter l’incarcération, respecter un certain nombre d’obligations, telle que l’exercice d’une activité professionnelle, ou l’interdiction de fréquenter certains lieux comme les débits de boisson ou les écoles, en fonction du type d’infraction commis. Une confiance contenue est donc mise en place par le législateur ; s’il accepte le maintien en liberté de l’infracteur, le juge prend tout de même la précaution de lui imposer certains garde-fous. Il revient alors au sujet de s’emparer de ces éléments pour vivre une peine responsable dont il est l’acteur principal.

La mission de surveillance du bon déroulement de la peine est confiée au JAP ; pour cela il dirige le CPAL constitué initialement d’éducateurs, d’assistants sociaux ou de bénévoles. Leurs missions principales consistent à vérifier que les obligations imposées aux condamnés

28 soient bien respectées, et que les conditions de vie matérielle soient suffisantes pour le condamné et son éventuelle famille. Les remises en question des conditions de détention, notamment relayées par Foucault dans les années 1970, et les évolutions des politiques pénales entraînent une évolution du travail des CPAL qui s’oriente alors vers une prise en charge dénuée de dynamique moralisatrice.

Dépassant le seul rôle de contrôle judiciaire, les agents de probation, par l’intermédiaire du travail d’intérêt général (1983) vont participer à un véritable accompagnement socio-éducatif à visée réinsertive. Les éducateurs voient leur statut disparaître au profit de celui de Conseiller d’Insertion et de Probation (CIP), signe d’une orientation vers un véritable travail de probation et d’une mise à distance du travail social.

III.1.2. Des CPAL aux SPIP : au plus près de l’infracteur

Les comités de probation prennent progressivement de l’importance et leur direction implique une structuration complexe. En effet, les différentes lois venant préciser les missions de l’administration pénitentiaire prévoient un doublement des effectifs de travailleurs sociaux au sein des CPAL. Ainsi, les Services Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ont alors été créés en 199946 pour favoriser le processus réinsertif en unifiant les différents services jusqu’ici préexistants, ceci dans chaque département.

« Ses missions sont redéfinies :

- Réaliser des enquêtes préalables à la comparution devant une juridiction.

- Mettre en œuvre et suivre le respect des obligations décidées par le juge mandant à l’égard des personnes placées sous main de justice.

- Favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées. - Rechercher les moyens d’individualiser et d’aménager les peines - Prévenir les effets désocialisants de l’incarcération

- Maintenir les liens familiaux des personnes détenues - Assurer l’aide aux sortants de prison. » (Perrier, 2007)

Au plus près de l’exécution de la peine, la mission du CIP évolue avec les changements d‘orientations pénales et il est naturel aujourd’hui de constater une influence plus ou moins importante de certains principes prônés par la justice réparatrice, en milieu fermé comme en milieu ouvert.

46

29 Le CIP accompagne en effet le délinquant ou criminel afin que celui-ci devienne véritablement « sujet dans sa peine », acteur et auteur d’un parcours d’exécution de peine qu’il construit en se saisissant activement de ce que le SPIP, pour partie, pourra lui proposer. Cette conception d’une responsabilisation du sujet s’est d’abord développée dans le champ de l’exécution des peines en milieu ouvert, puis petit à petit en milieu carcéral.

Il est fréquemment proposé au justiciable des mesures, des programmes auxquels il doit consentir, adhérer. Le sujet doit s’engager à respecter des conditions, des objectifs dans le déroulement de la peine. L’époque n’est plus à une réhabilitation par laquelle l’Etat offre aux détenus un véritable kit de réinsertion, il faut maintenant prouver sa volonté de changement, son caractère volontaire dans la direction et la responsabilité de sa propre peine. « On assisterait à "une montée en puissance du discours de responsabilité" (Kaminski, 2007) du justiciable au sein du système pénal, laissant apparaître un "nouveau sujet de droit" (Kaminski, 2006) que "la (peine) fait fonctionner lui-même, il faut qu’il devienne le gestionnaire de sa propre punition" (Foucault, 1993) » (Moulin, Palaric & al., 2012). La responsabilisation est désormais au cœur de la peine, plus que la réhabilitation elle-même. Il s’agit de se montrer « capable et dévoué » à se rendre actif dans sa démarche de réinsertion et non plus seulement « coupable et avoué » (Kaminski, 2006).

Par ailleurs, on assiste à un intérêt marqué pour les peines alternatives à l’emprisonnement, (bien que leur utilisation marque un certain recul depuis 2001)47. Le Placement sous surveillance électronique en est l’une des modalités, tout comme les chantiers extérieurs, les travaux d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve ou le régime de semi-liberté48 qui permet un travail malgré l’incarcération de nuit.

Plus récemment, en 2013, une nouvelle réforme pénale est envisagée, « la loi de lutte contre la récidive ». Elle prévoit des condamnations à des peines sans prison mais avec certaines obligations afin de créer une « contrainte pénale permettant le contrôle du condamné sans incarcération »49. La réforme prévoit également, outre la suppression des peines planchers, la mise en place d’un suivi spécifique au temps de la sortie de l’incarcération afin d’éviter « les sorties sèches […] sans accompagnement, ni suivi, ni surveillance »50. Si la volonté d’assurer la « sécurité des concitoyens » n’est pas remise en cause, les moyens pour y parvenir sont, pour le moment, jugés insuffisants. En effet, il est prévu la création de 300 postes de

47

La documentation française. Dossier : Conditions de détention et réinsertion : les défis des prisons françaises.

Consultable ici : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000081-conditions-de-detention-et-

reinsertion-les-defis-des-prisons-francaises

48

Portelli, S. (2010). Les alternatives à la prison. Pouvoirs. 135. 15-28

49

Interview de François Hollande, Le Monde, 23 août 2013

50

30 Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP – Nouvelle dénomination des CIP). Si ce nombre peut paraitre trop peu élevé à certains, faisant craindre une annonce sans effet possible pour cause de manque de moyens, la loi de lutte contre la récidive confirme la place centrale des CPIP dans le suivi et le contrôle des justiciables. Au-delà du strict contrôle, c’est toute une pédagogie centrée sur la prévention de la récidive qui se dégage.

III.1.3. Prévention de la récidive : point central de la probation

Depuis 2009, en effet, une mission est venue prendre une place centrale au sein des SPIP. Suivant les recommandations du conseil de l’Europe, le régime d’exécution des peines privatives de liberté se définit autour d’un axe particulier jusqu’ici indifférencié des pratiques du SPIP : « la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime, avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue, afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». En liant la responsabilisation et la prévention de la récidive, cette définition lie CPIP et probationnaires dans une dynamique commune où le premier propose au second des moyens, des outils pour parvenir à une réinsertion réussie et à un évitement de la récidive qui signerait un échec du retour en société mais aussi la constitution d’une nouvelle victime.

Un nouvel outil émerge alors aujourd’hui, basé sur une approche éducative : le Groupe de Parole de Prévention de la Récidive (GPPR). Cet outil se retrouve au cœur des pratiques des CPIP, en tant que programme structuré autour de notions que l’infracteur doit apprendre à reconsidérer (estime de soi, empathie pour la victime, etc.)51.

C’est un processus d’empowerment où le justiciable est placé au centre d’un dispositif complexe qui se met à l’œuvre : « un processus d’action sociale par lequel les personnes, les communautés et les organisations acquièrent la maîtrise de leurs vies en changeant leur environnement social et politique pour accroître l’équité et améliorer la qualité de la vie » (Wallerstein, 1992). Plutôt que d’imposer un changement, celui-ci devient nécessaire aux yeux du sujet qui prend activement part à la prise en charge, tant thérapeutique que pénitentiaire. Il ne vit alors plus la peine comme une punition mais comme un moyen par lequel il pourra évoluer.

L’empowerment suppose une complémentarité des acteurs ; ainsi, afin de s’approcher au plus près des besoins de l’infracteur et apporter un nouveau regard sur le délinquant, le savoir psy

51

31 va être mobilisé autour de deux axes principaux, complémentaires des approches pénitentiaires : la promotion de la santé du détenu, au fur et à mesure que les droits des détenus apparaissent, et la prise en charge des troubles mentaux pouvant influer sur le passage à l’acte.

III.2. Introduction de la psychiatrie dans l’enceinte pénitentiaire

La période particulière de l’après-guerre favorise l’émergence d’un nouveau regard sur le condamné. Se mettent en place des mesures de réinsertion particulières auxquelles la considération de la santé du détenu, tant somatique que psychique, participe.