• Aucun résultat trouvé

3. Comme nous allons le voir, ces quatre Organisations ont des compétences dans le domaine de la sécurité sociale. Elles les ont utilisées de manière judicieuse1.

2.1 La compétence de l’OIT

4. Il m’apparaît normal de commencer par l’Organisation internationale du Travail.

En effet, c’est l’OIT qui a principalement diffusé le modèle de l’assurance sociale, grande création allemande de la fin du XIXe siècle2

1 Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 123 sv. – Guy PERRIN : Les fondements du droit international de la sécurité sociale, pp. 479 sv.

. Ensuite, au milieu du XXe siècle,

2 Jean-Jacques DUPEYROUX / Michel BORGETTO / Robert LAFORE : Droit de la sécurité sociale, pp. 26 sv. – Guy PERRIN : L’assurance sociale – ses particularités – son rôle dans le passé, le présent et l’avenir. In : Beiträge zu Geschichte und aktueller Situation der Sozialversicherung. Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Sozialrecht.

Duncker & Humblot. Berlin 1983, pp. 29 sv. – Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 27 sv.

l’OIT participe de manière décisive à la création même de la sécurité sociale (Recommandations OIT Nos 67 et 69, 1944 ; Convention OIT N° 102, 1952)3. Puis elle guide le développement de cette institution, mettant en place progressivement un système normatif à plusieurs étages, complété par une série d’instruments, par exemple destinés aux personnes vivant avec un handicap4.

5. Sur quelle base l’OIT a-t-elle pu adopter ces normes ? C’est la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, adoptée en 1919 et révisée en 1946, qui lui permet d’agir. Les perspectives ou finalités sont indiquées par le Préambule (lien entre la paix et la justice sociale ; urgence d’améliorer les conditions de travail ; lutte contre le chômage ; protection contre les maladies et les accidents ; octroi de pensions de vieillesse et d’invalidité ; défense des intérêts des travailleurs occupés à l’étranger), ainsi que par la Déclaration de Philadelphie annexée ( la pauvreté représente un danger pour la prospérité de tous ; la lutte contre le besoin est à mener sur le plan national et international ; les aspects humains et sociaux ont la primauté sur les considérations économiques ; l’universalité pour les soins médicaux ; la garantie d’un revenu de base à tous ceux qui en ont besoin). L’art. 1 de la Constitution donne ainsi mandat à l’OIT de réaliser le programme résultant tant du Préambule que de la Déclaration de Philadelphie. Concrètement, l’Organisation internationale du Travail est dotée d’une compétence sociale générale, elle a vocation à protéger l’ensemble de la population5.

6. Pour le domaine de l’harmonisation, entendue comme rapprochement des systèmes de sécurité sociale, l’OIT est l’Organisation leader. Son rôle est irremplaçable et elle fournit le premier cadre de références.

2.2 La compétence de l’ONU

7. L’Organisation des Nations Unies doit aussi être prise en considération. La promotion des droits de l’être humain et le progrès social font partie de ses finalités.

Dans ses textes de principes (Déclaration universelle des droits de l’homme ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Convention internationale relative aux droits de l’enfant, Conventions internationales sur l’élimination de toutes les discriminations raciales et à l’égard des femmes), le droit à la sécurité sociale est reconnu comme un droit de l’être humain. L’ONU a aussi contribué à l’émergence d’un nouveau regard sur les personnes vivant avec un handicap6

3 Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, pp. 236 sv., 500 sv.

, avec

4 Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, pp. 563 sv. – Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 207 sv., 218 sv.

5 Hector BARTOLOMEI DE LA CRUZ / Alain EUZEBY : L’Organisation internationale du Travail, pp. 9 sv. – Jean-Michel BONVIN : L’Organisation internationale du Travail, pp. 15 sv.

– Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, pp. 86 sv. – Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 126-129, 156-157.

6 Katarzyna MICHALAK : La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées : le premier instrument juridiquement contraignant du XXIe siècle ayant trait aux droits de l’être humain. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 39-2007, pp. 43 sv.

une combinaison judicieuse de protection et de soutien de leur autonomie, de leur pleine participation à la société. Un autre dossier prioritaire est l’élimination de la pauvreté et la garantie à chaque habitant de la Planète d’un socle de protection sociale7.

8. Sur quelle base l’ONU a-t-elle pu adopter ces normes ? C’est la Charte des Nations Unies, adoptée en 1945, qui lui permet d’agir. Le Préambule se réfère à la nécessité d’écarter le fléau de la guerre, à la promotion des droits de l’être humain et au progrès social. L’art. 1 de la Charte indique la coopération internationale, la résolution des problèmes sociaux et économiques, le respect des droits de l’être humain sans distinctions (discriminations). Le chapitre IX de la Charte est consacré à la coopération économique et sociale internationale. Comme l’OIT, les Nations Unies disposent d’une compétence sociale générale, avec également vocation à protéger l’ensemble de la population8.

9. Les Nations Unies sont leader dans le domaine des textes de principes, c’est-à-dire ceux qui reconnaissent à chacun le droit à la sécurité sociale.

2.3 La compétence du Conseil de l’Europe

10. Le Conseil de l’Europe représente la Grande Europe : 47 Etats membres, du Portugal et de l’Irlande à la Russie. Comme l’OIT, il guide le développement des systèmes de sécurité sociale, avec également un système normatif à étages complété par une série d’instruments plus spécifiques (p. ex. aux soins de santé, au chômage, à l’exclusion). Comme l’ONU, il a pour finalité la reconnaissance du droit à la sécurité sociale. A l’exemple des deux Organisations mondiales, il œuvre aussi dans le domaine de la coordination9.

11. Sur quelle base le Conseil de l’Europe a-t-il pu agir ? C’est en vertu du Statut du Conseil de l’Europe, adopté en 1949. Les finalités sont indiquées par le Préambule et l’art. 1 : démocratie et droits de l’être humain, progrès économique et social.

L’Organisation de la Grande Europe bénéficie aussi d’une compétence sociale générale, avec vocation à protéger l’ensemble de la population10.

7 Jean-Jacques DUPEYROUX : Le droit à la sécurité sociale dans les déclarations et pactes internationaux, pp. 365 sv. – Guy PERRIN : Les fondements du droit international de la sécurité sociale, pp. 479 sv. – Pierre-Yves GREBER : Le 60e anniversaire des Nations Unies et la sécurité sociale, pp. 71 sv.

8 Guy PERRIN : Les fondements du droit international de la sécurité sociale, pp. 479 sv.

9 S. Günter NAGEL : Réflexions à propos d’un modèle social européen révisé sur la base de la CEDH, pp. 17 sv. – S. Günter NAGEL / Christian THALAMY : Le droit international de la sécurité sociale, pp. 17 sv. – Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, pp. 593 sv. – Pierre-Yves GREBER : Conseil de l’Europe : 60 années pour la sécurité sociale, pp. 9 sv.

10 Références indiquées à la note précédente et : Jean-Louis BURBAN : Le Conseil de l’Europe, pp. 3 sv., 18 sv. – Pierre DUCLOS : Le Conseil de l’Europe. Presses universitaires de France.

Paris 1970.

12. Dans le domaine de l’harmonisation (rapprochement des systèmes), le Conseil de l’Europe occupe en importance la deuxième place après l’OIT et pour les grands textes de principes, la deuxième derrière l’ONU.

2.4 La compétence de l’Union Européenne

13. L’Union Européenne occupe une place importante essentiellement dans deux domaines : l’égalité entre femmes et hommes, la coordination des systèmes de sécurité sociale. Son intervention est plus réduite, ce qui ne veut pas dire sans intérêt, en ce qui concerne les textes de principes et le rapprochement des politiques et des systèmes.

Mais sa situation est paradoxale : là où elle peut agir, ses moyens d’action (règlements, directives ; jurisprudence de la Cour) sont beaucoup plus puissants que ceux des trois Organisations internationales précitées (conventions ouvertes à la ratification des Etats, certains mécanismes de contrôle). Cependant l’Union est bridée par les principes d’attribution et de subsidiarité, par la description de ses compétences11.

14. Sur quelle base l’Union peut-elle intervenir ? C’est actuellement en vertu du Traité sur l’Union Européenne (TUE) et du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Les buts comprennent la libre circulation des personnes, la promotion d’une « économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social » (art. 3 § 3 TUE), la lutte contre l’exclusion sociale et les discriminations, l’égalité entre femmes et hommes (art. 3 TUE). Mais il s’agit de buts et non de compétences12. L’Union ne peut agir que si et dans la mesure où elle en a reçu la compétence (principe d’attribution, art. 5 § 1 TUE) ; elle doit respecter le principe de subsidiarité (art. 5 § 3 TUE). L’Union Européenne dispose de deux compétences « fortes » : pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, élément essentiel pour la libre circulation (art. 48 TFUE) ; pour imposer l’égalité entre travailleuses et travailleurs, avec une application aux régimes professionnels de sécurité sociale (art. 157 TFUE). Pour agir en « politique sociale », sur les contenus des politiques et des systèmes, la compétence est partagée entre l’Union et les Etats (art. 4 § 2, b, TFUE), avec un rappel très clair du principe de subsidiarité : priorité aux Etats, d’ailleurs seuls compétents pour définir les éléments fondamentaux de leurs systèmes (art. 153 TFUE). Dans l’Europe des Vingt-sept, la répartition des actions est donc beaucoup plus complexe et l’Union Européenne ne dispose pas d’une compétence sociale générale13.

11 Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 134 sv. – Bettina KAHIL-WOLFF / Pierre-Yves GREBER : Sécurité sociale, aspects de droit national, international et européen, pp. 223 sv. – Pierre RODIERE : Traité de droit social de l’Union européenne, pp. 25 sv. – Jean-Michel SERVAIS : Droit social de l’Union européenne, pp. 38 sv.

12 En d’autres termes, à ce stade les acteurs ne sont pas encore définis : les institutions de l’Union Européenne, les Etats membres ? Tous ensemble ?

13 Voir la note 11.

15. Nonobstant ces limites, l’Union est leader dans deux domaines en sécurité sociale : l’égalité entre femmes et hommes, la coordination des systèmes. Elle a en outre développé un concept intéressant et utile, celui de la convergence14.

2.5 Première conclusion

16. Les développements précédants montrent que si l’on étudie le domaine de la sécurité sociale, il faut effectivement prendre en considération :

Les Nations Unies ;

L’Organisation internationale du Travail ;

Le Conseil de l’Europe ;

L’Union Européenne.

17. Les trois premières Organisations internationales disposent d’une compétence sociale générale ; l’UE bénéficie de certaines compétences définies dans le domaine social. Pourquoi cette différence, à première vue étonnante ? Elle s’explique par les moyens d’actions, les obligations : l’ONU, l’OIT et le Conseil de l’Europe peuvent au maximum adopter des instruments de type conventionnel, seuls les Etats qui les ont ratifiés sont liés sur le plan juridique et ils peuvent choisir de ratifier ou non ; l’UE a la capacité d’adopter des règlements (véritables lois européennes) et des directives (qui obligent les Etats à atteindre les buts fixés), le tout éclairé par la jurisprudence de la Cour. Ainsi, au moment d’attribuer une compétence à une Organisation internationale, les Etats sont enclins à lui accorder un champ large d’interventions possibles, ils verront en effet ultérieurement par quels instruments ils sont d’accord d’être liés. Au contraire, chaque compétence de l’Union est discutée très précisément.

18. L’ONU, l’OIT et le Conseil de l’Europe ont, en sécurité sociale, des activités qui se complètent judicieusement. L’Union a sa propre approche, mais qui n’est pas en contradiction avec les premières. Ainsi, le cadre institutionnel exposé est cohérent.

Documents relatifs