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4. UNE SYNTHESE DES GRANDS CHANGEMENTS EN COURS

4.4 L’évolution économique

51. Au titre des besoins de protection, les difficultés rencontrées par les jeunes, l’accroissement des travaux précaires et les problèmes posés par le chômage ont été rappelés42. Il convient d’évoquer ici la situation générale, les changements dans les entreprises, la compétitivité de l’économie, une série de crises.

4.4.1 L’évolution générale

52. Sur la base d’une analyse du Bureau international du Travail43

• Avancée de l’économie privée et recul de l’Etat, accompagnés d’une remise en question de l’Etat-providence ;

, les tendances suivantes peuvent être relevées :

• Avancée très importante de la mondialisation de l’économie : commerce mondial des biens et services, flux internationaux de capitaux, investissements à l’étranger, interconnexion des marchés financiers, montée des entreprises multinationales ;

• Perte pour les Etats de leurs instruments classiques de politique nationale, déréglementation financière, dépendance des Etats à l’égard des marchés financiers mondiaux ;

• Accroissement des inégalités entre les Etats et à l’intérieur de ceux-ci, apparition de nouvelles formes de pauvreté dans les pays industrialisés, exclusions sociales ;

• Existence de dizaines de millions de personnes déplacées, dont certaines clandestines ;

• Facilité pour les entreprises de changer de pays si cela correspond à leurs intérêts ;

• Difficulté pour les Etats d’avoir une politique sociale et économique autonome.

53. Ce diagnostic a été posé par le BIT en 1994 ; il reste tout à fait valable. Un élément est à ajouter : la montée rapide des pays émergents, avec le groupe souvent nommé <BRICS>, pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. En 2010, la Chine est devenue la 2e puissance économique mondiale et l’Inde la 4e.

54. Hedva SARFATI et Guiliano BONOLI relèvent une limitation de la marge de manœuvre des Etats, compte tenu des tendances relevées, lors de la réforme de leurs systèmes de sécurité sociale44. Ces auteurs concluent que les responsables politiques auront comme défi majeur l’adaptation des systèmes de protection au contexte socio-économique et que la situation de l’emploi aura une importance primordiale45

41 Pierre-Yves GREBER : Droit international et européen de la sécurité sociale, pp. 83 sv.

.

42 Voir ci-dessus les Nos 39-43.

43 OIT – CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (81e session – 1994) : Des valeurs à défendre, des changements à entreprendre. La justice sociale dans une économie qui se mondialise. Bureau international du Travail. Genève 1994.

44 Hedva SARFATI / Giuliano BONOLI : Introduction. In : Mutations du travail et protection sociale dans une perspective internationale, p. 5.

45 Hedva SARFATI / Giuliano BONOLI : Conclusions. In : Mutations du travail et protection sociale dans une perspective internationale, p. 617.

4.4.2 Les changements dans les entreprises

55. Le premier mot-clé est ici celui de la flexibilité46. Les activités qui ne correspondent pas directement au but d’une entreprise sont externalisées (p. ex.

entretien des bâtiments, restaurant). Le recours à des sous-traitants est accru. Une partie des salariés est engagée à court terme (contrats de durée déterminée), pour une mission ; celle-ci accomplie, il leur appartient de donner une autre suite à leur carrière. Seuls les travailleurs qui ont une grande valeur ajoutée pour l’entreprise vont conserver un bon statut sur le plan de la sécurité de l’emploi et de la rémunération. Ceci du moins jusqu’à une éventuelle fusion ou un rachat, synonymes de licenciements (à tous les niveaux hiérarchiques). La flexibilité s’exerce aussi sur le lieu de travail, sa durée, les salaires dont l’écart a fortement augmenté ces dernières années.

56. Le second mot-clé est celui du rendement. Certes, de tout temps les entreprises ont dû être performantes, c’est pour elles une question de survie. Mais la pression des actionnaires est plus grande, celle des directions sur les collaborateurs également. Les performances sont mesurées à intervalles rapides et les écarts vite sanctionnés. Toute réduction des coûts, notamment du travail, est constamment recherchée.

57. Cette évolution, dictée par une concurrence internationale forte, peut exercer une influence négative sur la sécurité sociale. Directement sur les régimes professionnels, qui peuvent pâtir de la recherche systématique de réduction des coûts ; les employeurs pourraient être tentés de limiter la protection, avec d’autant moins de risques pour eux si la situation de l’emploi est défavorable pour les travailleurs. Cela dépend d’un choix stratégique : vision à court terme et profits maximaux ou vision à long terme, l’entreprise et son personnel gardant de la valeur. Indirectement sur les régimes publics, les associations patronales appelant à leur réduction pour des motifs financiers.

4.4.3 Sécurité sociale et compétitivité de l’économie

58. La sécurité sociale nécessite des prélèvements importants sur la richesse créée dans un pays : en Europe, plus d’un quart du produit national des Etats est redistribué par son intermédiaire. Il va de soi que ces prélèvements restent dans le circuit économique, permettant notamment à leurs bénéficiaires de se loger, de se nourrir, de se déplacer, etc. Les institutions sociales paient à leurs collaborateurs des salaires, soumis aux impôts, elles consomment elles-mêmes.

46 Lucia GERMANI : Travail flexible et protection du travailleur. Analyse en droit du travail et conséquences pour le droit de la sécurité sociale. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 24-2000, pp. 61 sv. – Robert WALKER / Denise GOODWIN / Emma CORNWELL : Work Patterns in Europe and Related Social Security Issues : Coping with the Myth of Flexibility. In : Changing Work Patterns and Social Security. EISS Yearbook 1999.

Kluwer Law International. London / Den Haag /Boston 2000, pp. 6 sv.

59. Winfried SCHMÄHL souligne aussi la contribution importante des caisses de sécurité sociale à la paix sociale ; celle-ci réduit la fréquence des grèves, améliore la disponibilité des travailleurs, favorise la stabilité politique et la paix intérieure, éléments favorables aux investissements47.

60. Le Bureau international du Travail fait une série de rappels importants, qu’il conviendrait de garder à l’esprit dans les débats actuels :

• L’assurance-maternité et les allocations pour enfants protègent la santé et le cadre de vie des intéressés, or c’est la relève qui se prépare ;

• Les systèmes de soins permettent de maintenir les travailleurs en bonne santé et de soigner ceux qui sont malades. Les pays en développement en fournissent malheureusement la preuve contraire : une santé médiocre de la population entraîne un faible niveau de productivité ;

• Les indemnités de maladie contribuent au rétablissement des travailleurs malades : au lieu de devoir poursuivre leur travail malgré leur état et de propager leur maladie, ils peuvent se soigner ;

• Les régimes d’assurance-accidents jouent un rôle important de prévention en plus de leurs prestations de soins et de garantie de revenus ;

• Les prestations de chômage soutiennent le revenu et les régimes compétents agissent dans les domaines de la formation et de l’emploi (réinsertion) ;

• Les régimes de pensions permettent la transition de la vie active vers celle de retraités.

61. Le BIT conclut que : « L’existence d’un bon régime d’assurance-chômage crée un sentiment de sécurité parmi la main-d’œuvre qui peut faciliter dans une large mesure des changements structurels et des innovations technologiques que les travailleurs pourraient sans cela considérer comme une grande menace pour leur subsistance (…) La sécurité sociale contribue à créer un état d’esprit plus favorable non seulement aux changements structurels et technologiques mais aussi aux défis de la mondialisation et à ses avantages potentiels du point de vue de l’efficience et de la productivité. »48

4.4.4 Une série de crises

62. Les années 2000 sont marquées par une série de crises financières : faillites ou sauvetages par les contribuables d’établissements bancaires, augmentation importante des déficits et des dettes publics, spéculations contre les monnaies, crise de l’euro.

63. Serge HALIMI résume la situation comme suit : « La crise de la dette qui balaie certains pays européens prend une tournure inédite : née du choix des Etats d’emprunter pour sauver les banques, elle place des pouvoirs publics exsangues sous la tutelle

47 Winfried SCHMÄHL : Protection sociale et compétitivité de l’économie, In : AISS : La sécurité sociale demain, permanence et changements, pp. 23 sv. (27-28).

48 BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL : Sécurité sociale : un nouveau consensus, pp. 51-52.

d’institutions soustraites au suffrage universel. Le destin des peuples de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande49 ne se forge plus dans les Parlements, mais dans les bureaux de la Banque centrale50, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international. »51

64. Ainsi, beaucoup s’interrogent. Est-ce une mauvaise série noire, qui devrait laisser place au retour de la croissance et de la stabilité ? Est-ce la fin du néolibéralisme, lancé dès le début des années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni (gouvernements Reagan et Thatcher), repris et développé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Union Européenne ? Rappelons que ce courant était censé débarrasser les Etats de régulations déclarées inutiles et d’entraves au bon fonctionnement des marchés ; il devait apporter une croissance économique, bénéficiant aux politiques sociales et de l’environnement.

65. En fait, les crises financières qui se succèdent dans les années 2000 ont un effet très négatif sur les systèmes de sécurité sociale et les politiques publiques en général : réduction des prestations de santé, de chômage, d’invalidité et de retraites, baisse de l’emploi dans le secteur public, remise en cause de règles protectrices du droit du travail, privatisations de services publics52. Simultanément le chômage augmente, les jeunes ont plus de peine à décrocher un emploi qui sera souvent précaire.

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