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POTENTIEL DE SÉDIMENTATION SUR LES FRAYÈRES

6.1 Nettoyage du substrat par les géniteurs

Plusieurs auteurs s'accordent sur le fait que le touladi est un salmonidé qui ne réalise généralement aucun nettoyage du substrat, ce qui implique que cette espèce rechercherait des sites de fraie dépourvus de toute accumulation de particules fines. Cependant, quelques mentions de nettoyage du substrat répertoriées par Martin et Olver (1980) ainsi que certaines mentions plus récentes laissent supposer qu'il n'en serait pas toujours ainsi.

Par exemple, dans le cas du lac des Baies en Ontario, les plongeurs ont remarqué que les sites utilisés par les géniteurs avaient une apparence visiblement plus propre que les sites adjacents non utilisés ("the areas within which the lake trout had spawned were usually obvious to the diver because of the cleaner appear ence of the substrate"...."the spots where the lake trout had spawned were clearly visible, and were characterized by circular areas of clean-swept substrate", Tarandus Associates 1988, pp. 9 et 35). Le nettoyage du substrat était à ce point apparent que la firme Tarandus Associates a décidé d'utiliser ce critère pour déterminer la superficie réelle des frayères utilisées par le touladi.

Cependant, compte tenu du fait que les géniteurs n'ont pas été directement observés lors de cette étude, il est possible que le nettoyage du substrat soit accidentel et qu'il résulte plutôt du comportement de cours effectué par un grand nombre de géniteurs concentrés au même endroit, cette hypothèse ayant déjà été suggérée par DeRoche (1969).

Dans les lacs Whitepine, Michaud et Marina (Ontario), un comportement associé à du nettoyage du substrat a été directement observé chez les géniteurs, ces derniers creusant même des dépressions par endroits à travers les cailloux (Liimatainen et al., 1987).

Sur la frayère de Stony Island dans le lac Ontario, des plongeurs ont directement observé un comportement pouvant être associé à du nettoyage du substrat (Marsden et Krueger, 1991). Ces auteurs ont cependant proposé une hypothèse alternative intéressante pour expliquer ce comportement : les géniteurs pourraient détecter l'accumulation de sédiments

fins dans les interstices du substrat en effectuant de puissants mouvements de la nageoire caudale tout juste au-dessus des surfaces enrochées. Ainsi, lorsque des sédiments fins sont présents, un "nuage" serait soulevé. Ce comportement serait répété d'un endroit à l'autre, jusqu'à trouver une surface enrochée perméable (Marsden et Krueger, 1991). Le nettoyage du substrat chez le touladi pourrait aussi être un comportement relictuel hérité des espèces de salmonidés qui enterrent leurs oeufs dans le gravier (Marsden et Krueger,

1991).

Chez les populations d'omble chevalier ayant un comportement reproducteur similaire à celui du touladi, au moins un cas de nettoyage du substrat a été directement observé. Il s'agit du lac Thingvallavatn (Islande) où l'omble chevalier fraie au-dessus d'un substrat composé de roches et de blocs d'origine volcanique. Dans ce plan d'eau, les femelles nettoient le limon qui recouvre le substrat rocheux avant de déposer leurs oeufs. Les femelles poussent ensuite les oeufs qui se sont déposés sur les roches à travers les interstices (Sandlund et al., 1992). Il est à noter que le comportement reproducteur de cette population d'omble chevalier est particulier sous plusieurs aspects, puisqu'il s'agit de la seule population lacustre chez laquelle l'utilisation de frayères situées à proximité de sources souterraines est bien documenté (Sandlund et al, 1992). De plus, il convient de préciser que ces observations ont été effectuées pendant le jour puisque certaines sous-populations du lac Thingvallavatn fraient dès les mois de juillet-août alors que les journées sont très longues dans les régions nordiques.

Ainsi, d'après les cas décrits précédemment, le touladi pourrait être en mesure de nettoyer, que ce soit de façon volontaire ou non, une fine couche de limon s'accumulant sur le substrat d'une éventuelle frayère aménagée en profondeur, lorsque le taux de sédimentation est faible. Cependant, lorsque le taux de sédimentation est plus élevé, il apparaît improbable que le touladi soit en mesure de dégager les interstices du substrat (Royce, 1951). Dans de tels cas, l'autonettoyage du substrat apparaît donc comme un prérequis.

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6.2 Cas de sédimentation sur des frayères artificielles

Dans la plupart des lacs où des frayères à touladi ont été aménagées, il est difficile de juger si la sédimentation peut constituer un problème sérieux puisque les observations disponibles dans la littérature ont généralement été réalisées dans l'année suivant l'aménagement. Au lac Green, Hacker (1957) mentionne que les courants étaient apparamment assez puissants pour maintenir le substrat propre sur la frayère artificielle, en dépit du fait qu'elle ait été aménagée à environ 20 m de profondeur. Par ailleurs, durant l'automne suivant les travaux d'aménagement au lac Mountain, Haxton (1991) a observé qu'une fine couche de limon recouvrait déjà la frayère artificielle, ce qui était apparemment attribuable au fait que des sédiments avaient été soulevés lors du dépôt des moellons par les aménagistes. Au lac des Baies, les observations de Tarandus Associates (1988) laissent supposer que la sédimentation y est généralisée, tant sur les frayères naturelles qu'artificielles, sans toutefois être importante. Enfin, dans le cas des lacs Etchemin et aux Sables, la sédimentation sur les frayères aménagées a été effective dès la première année (Picard et al. 1991; Scrosati, 1994).

Dans le lac Kushog (Ontario), une frayère traditionnelle peu exposée à l'action des vagues (Ox Narrows) a été améliorée par l'ajout de substrat propice en 1984; sept ans plus tard, 90 % du substrat sur cette frayère était fortement sédimentée, à l'exception du substrat de plus petite taille situé le long du rivage, là où la majorité des oeufs ont d'ailleurs été observés (MacDonald, 1991). Enfin, dans les Grands Lacs, les observations de Jude et al. (1981) laissent présager que la reproduction sur les structures artificielles récemment construites serait réalisée avec plus de succès que sur les structures plus anciennes, ce qui peut possiblement être relié à l'accumulation de sédiments fins depuis leur construction.

Il est difficile de préciser jusqu'à quel point une frayère doit être dégradée par l'accumulation de sédiments fins avant de cesser d'être utilisée par les géniteurs. Par exemple, en Ontario, l'inventaire de plusieurs frayères à touladi par le centre Leslie M.

Frost suggère qu'il existe peu ou pas de relation entre le nombre d'oeufs déposés par m2

et la condition du site (MacDonald et Kerrigan, 1990). Cela rejoint des observations de

Gunn (1995) et McAughey et Gunn (1995) qui mentionnent que les géniteurs ont continué à utiliser des frayères traditionnelles expérimentalement recouvertes de moellons de différentes tailles, sauf dans les cas extrêmes où le site était recouvert d'une toile de plastique. Ainsi, il apparaît difficile de briser rattachement des géniteurs à un site de fraie, même lorsque celui-ci est modifié ou dégradé.

6.3 Conditions nécessaires à l'autonettoyage du substrat

Les principaux facteurs qui contribuent directement ou indirectement à l'érosion des berges sont les suivants (Denis et al., 1991) :

l'action des vagues générées par le vent,

la composition géologique, la pente et la hauteur de la berge, l'action des glaces flottantes,

les courants littoraux,

la pression d'eau intersticielle,

les variations quotidiennes et saisonnières de température dans le sol.

L'action des vagues, la composition géologique et la pente sont les facteurs les plus prépondérants dans le déclenchement de l'érosion. Ces trois facteurs sont habituellement utilisés en combinaison pour identifier les berges sensibles à l'érosion.

L'énergie de la vague est fonction des vents, de la topographie environnante, de la profondeur d'eau et de la longueur de la course de vent (« fetch ») (Cogéo Consultants, 1993). Les vagues de moins de 0,3 m sont normalement considérées comme des vagues de « beau temps » et assurent souvent un apport de matériel plutôt qu'une érosion, en autant que la pente le permette (Les Consultants RSA, 1991). Ainsi, lors des études d'avant-projet réalisées dans le Haut-Saint-Maurice, il a été déterminé que les vagues requises pour produire un début d'érosion devaient avoir un minimum de 0,3 m de hauteur et agir pendant au moins une heure (Cogéo Consultants, 1993). Les longueurs de « fetch » requises pour produire de telles vagues dans les réservoirs projetés

(Rapides-39

des-Coeurs et Rapides-de-la-Chaudière) ont été calculées d'après un modèle mathéma-tique. Elles varient de 0,7 km pour les secteurs exposés aux vents d'ouest à 3,0 km pour les secteurs exposés aux vents d'est (Cogéo Consultants, 1993). De telles conditions pourraient s'appliquer aux réservoirs à touladi du complexe Manouane (Haute-Mauricie), mais elles ne sont pas représentatives pour d'autres régions puisqu'elles dépendent des conditions de vent régionales.

Par ailleurs, d'après le graphique des pentes d'équilibre présenté par Les Consultants RSA (1991), le sable est généralement instable à des pentes supérieures à 20 %. Cela permettrait d'expliquer pourquoi les frayères à touladi sont fréquemment situées sur de telles pentes, puisque le sable et les particules fines y sont plus susceptibles d'être déplacés par les forces érosives.

Ainsi, on peut spéculer que l'autonettoyage du substrat des frayères à touladi pourrait être effectif lorsqu'elles rencontrent les conditions de pente (> 20 %) et d'exposition à l'action des vagues décrites précédemment. En effet, dans de telles conditions, une berge de sable est jugée moyennement sensible à l'érosion, alors que si la pente est supérieure à 30 %, la sensibilité à l'érosion est forte (Cogéo Consultants, 1993).

Dans le cas qui nous intéresse, soit l'utilisation par le touladi de frayères situées en eau plus profonde, il serait pertinent de connaître jusqu'à quelle profondeur l'autonettoyage du substrat peut être anticipé. De plus, si le niveau d'eau doit être abaissé afin d'assurer l'autonettoyage du substrat en zone plus profonde, il serait aussi pertinent de connaître pendant combien de temps l'exposition à l'action des vagues doit opérer afin que ce nettoyage soit effectif. Pour un réservoir donné, la première question peut être résolue en déterminant jusqu'à quelle profondeur on retrouve actuellement des surfaces enrochées propres de toute accumulation de sédiments fins, puis en tentant de reproduire les conditions d'exposition et de pente qu'on y retrouve sur le site envisagé pour l'aména-gement.

Par contre, en ce qui concerne la deuxième question, il semble qu'aucune réponse simple ne soit disponible. Par exemple, si le niveau d'eau est abaissé un à deux mois avant la période de reproduction, il n'est pas assuré que les conditions de vent durant cette période seront suffisantes pour produire des vagues propices à l'autonettoyage du substrat (P.

Bigras, Groupe HBA experts-conseils, comm. pers.). En effet, les conditions de vent rencontrées à la fin de l'été sont plus favorables à la production de vagues de « beau temps », ces dernières étant peu propices à un nettoyage efficace du substrat. De plus, il ne faut pas oublier qu'en abaissant le niveau d'eau pendant l'été, on contribue à la resuspension de sédiments fins dans le réservoir, ces derniers pouvant alors se redéposer sur les frayères qu'on désirait justement nettoyer (P. Bigras, Groupe HBA experts-conseils, comm. pers.). De la même façon, en rehaussant le niveau d'eau après la fraie pour reconstituer la réserve d'eau, on contribue à la resuspension de sédiments qui pourront alors se déposer sur les oeufs.

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7. PROPOSITIONS DE GESTION DES NIVEAUX D'EAU ET