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COMPORTEMENT DE RETOUR VERS DES FRAYÈRES SPÉCIFIQUES

5.1 Considérations théoriques

Encore aujourd'hui, il subsiste beaucoup de désaccord à savoir si les touladis retournent se reproduire sur leur frayère natale. Cependant, il paraît évident que des sites très spécifiques sont utilisés par les géniteurs et que certains de ces sites sont utilisés d'année en année (Gunn, 1995). Plusieurs auteurs ont toutefois démontré que les géniteurs se déplacent entre différentes frayères au cours d'une même nuit, d'une même saison ou de saisons consécutives (DeRoche, 1969; MacLean et al, 1981; Peck, 1986; Liimatainen et al, 1987; Gendron et Bélanger, 1992; McLeish et Haxton, 1993; Monroe et Hawkins, 1994). De plus, il a été démontré que les femelles voyagent davantage d'une frayère à l'autre que les mâles, ces derniers étant plus fréquemment recapturés à leur site de marquage (MacLean et al., 1981; Liimatainen et al, 1987; Monroe et Hawkins, 1994).

En fait, ces études suggèrent que le comportement du touladi se situe quelque part entre le retour exclusif vers une frayère spécifique et la sélection aléatoire du site de fraie (Monroe et Hawkins, 1994). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce comportement du touladi :

• Les géniteurs pourraient retourner vers un secteur particulier du lac, puis utiliser n'importe quel site potentiel de fraie se trouvant dans ce secteur (Monroe et Hawkins, 1994).

• Les géniteurs pourraient voyager d'une site potentiel à l'autre, à la recherche d'une frayère marquée avec des substances chemoattractives déposées par les alevins (Foster, 1985; MacLean et al, 1990) ou à la recherche de leur frayère natale (Monroe et Hawkins, 1994).

Les géniteurs pourraient aussi voyager d'un site potentiel à l'autre afin d'inspecter la qualité des sites, de façon à trouver une surface enrochée perméable où les interstices ne sont pas remplis de sédiments fins, ce qui suppose qu'ils seraient en

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mesure de détecter de telles accumulations de sédiments (Marsden et Krueger, 1991).

Comme les femelles se déplacent davantage que les mâles, il serait aussi possible qu'elles voyagent d'une frayère à l'autre afin de juger les groupes de mâles présents sur chaque site avant de fixer leur choix (MacLean et al, 1990).

• Enfin, les géniteurs pourraient se reproduire sur plusieurs frayères au cours d'une même saison, puisque le dépôt des gamètes n'est pas complété en un seul acte (Peck, 1986; MacLean et al, 1990; Monroe et Hawkins, 1994).

Chez les populations dulcicoles d'omble chevalier, la capacité des géniteurs de retourner vers une frayère spécifique au cours d'une même saison et d'année en année apparaît mieux documentée, en particulier dans les réservoirs Torrôn et Storsjoute (Suède), dans le lac Windermere (Angleterre) et dans le lac Floods (Maine) (Gillet, 1985; McCleave et al, 1977).

Si l'on admet que le comportement de retour vers des sites de fraie spécifiques puisse être effectif jusqu'à un certain point chez les touladis, on peut s'interroger sur les facteurs qui leur permettraient de retrouver ces sites d'année en année. Comme on l'a mentionné précédemment, des substances chemoattractives (phéromones) seraient déposées sur les frayères par les alevins (Foster, 1985). Toutefois, d'après Gunn (1995), bien que la présence de substances chemoattractives pourrait influencer la sélection précise du site de fraie à l'échelle locale, d'autres facteurs d'orientation interviennent probablement à l'échelle du plan d'eau, comme par exemple la topographie du lac, les contrastes d'éclairage, les repères visuels, etc. Cette dernière hypothèse a aussi été avancée dans le cas de l'omble chevalier (McCleave et al, 1977).

Par ailleurs, les touladis pourraient aussi retourner d'année en année vers des sites de fraie spécifiques simplement parce que les géniteurs expérimentés les connaissent (Gunn, 1995). Cela a été suggéré par des expériences de modification du substrat sur des

frayères traditionnelles en Ontario. En effet, les géniteurs ont continué à utiliser les frayères traditionnelles expérimentalement recouvertes de moellons de différentes tailles, sauf dans les cas extrêmes où le site était recouvert d'une toile de plastique (Gunn, 1995;

McAughey et Gunn, 1995). Ainsi, les géniteurs inexpérimentés pourraient être attirés sur des sites spécifiques par la présence de géniteurs expérimentés, ce qui implique que la présence de substances chemoattractives ne serait pas absolument requise. Dans le lac Whitepine, vingt nouveaux sites de fraie ont été utilisés par les géniteurs au cours de deux années d'expérimentation pendant lesquelles l'accès à trois frayères traditionnelles a été réduit jusqu'à 50 % par l'installation de toiles de plastique ou de clôtures (McAughey et Gunn, 1995). Ces nouveaux sites étaient similaires aux frayères traditionnelles en terme de substrat, de profondeur et de superficie; par contre, leur propreté et leur perméabilité apparaissaient moins propices dans plusieurs cas, ce qui laisse un doute quant au succès du recrutement sur ces nouvelles frayères (McAughey et Gunn, 1995).

5.2 Implications pratiques

En raison du fait que les touladis démontrent, jusqu'à un certain point, un comportement de retour vers des frayères spécifiques, la plupart des biologistes recommandent d'aménager les frayères artificielles à proximité de frayères reconnues, afin de s'assurer que des géniteurs expérimentés se déplaceront ou s'agrégeront aux environs du site aménagé, et d'ensemencer initialement les frayères artificielles avec des oeufs et/ou des alevins, afin d'imprégner le site de substances chemoattractives.

Cependant, comme la majorité des frayères artificielles ont été aménagées par le passé à proximité de frayères reconnues, il est difficile de déterminer s'il s'agit d'un prérequis absolu au succès des aménagements. Au lac Shirley (Ontario), des frayères artificielles ont été aménagées sur trois sites différents, en-dessous de la limite de marnage. Par contre, une seule de ces frayères a été utilisée par les géniteurs, présumément parce qu'elle avait été aménagée à proximité d'une frayère reconnue, au contraire des deux autres (Martin, 1955). On trouve un cas similaire au lac Etchemin, dans la région de Québec, où deux frayères ont été aménagées. Le premier aménagement a été réalisé sur

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une pointe de roches qui représentait supposément une frayère traditionnelle, alors que le second aménagement a été réalisé sur un îlot rocheux où des oeufs avaient déjà été trouvés par le MEF (Picard et al, 1991). Seul ce dernier aménagement a été utilisé par le touladi, présumément parce que les géniteurs fréquentaient déjà ce site, contrairement à l'autre site aménagé (G. Picard, comm. pers.). Par contre, au lac Elgin (Estrie), le suivi d'une frayère aménagée sur un site qui ne représentait pas vraiment une frayère traditionnelle à touladi a permis de constater que les géniteurs ont utilisé cet aménagement (P. Lévesque, comm. pers.). Pour leur part, les biologistes ontariens ayant expérimenté l'aménagement de fray ères à touladi s'entendent sur le fait que l'amélioration de sites existants est nettement préférable à la création de nouvelles frayères, certains aménagistes mentionnant même que la création de nouvelles frayères ne fonctionne pas (Haddow,

1992).

Dans le cas des substances chemoattractives, on a déjà mentionné que leur présence ne constituerait pas un prérequis absolu à l'utilisation d'une frayère. En effet, des populations sont parvenues à s'établir dans des lacs où le touladi était auparavant absent, alors que les géniteurs du lac Whitepine ont utilisé de nouveaux sites lorsque l'accès à des frayères traditionnelles a été expérimentalement bloqué, ce qui démontre qu'ils sont en mesure de trouver des sites propices à la fraie même si ces sites ne sont pas marqués (Fitzsimons, 1995a; McAughey et Gunn, 1995). Plusieurs études ont d'ailleurs démontré que des frayères artificielles aménagées à proximité de frayères reconnues ont été utilisées par les géniteurs, même si aucun ensemencement d'oeufs ou d'alevins n'y avait été effectué (Martin, 1955; Hacker, 1957; Tarandus Associates, 1988; Haxton, 1991, Scrosati, 1994; Marsden et al, 1995). Par ailleurs, d'après T. A. Edsall (comm. pers.), il serait possible d'établir des populations frayant sur des sites en profondeur par l'ensemencement d'oeufs et/ou d'alevins sur un substrat de « bonne qualité ». Cette approche aurait été appliquée avec succès sur des récifs ayant une profondeur minimale de 15 m à 20 m dans le lac Huron (T. A. Edsall, comm. pers.).

En conclusion, on ne peut pas affirmer, d'après les exemples disponibles, que la proximité d'une frayère reconnue et l'ensemencement d'oeufs et/ou d'alevins sont

des prérequis absolus au succès d'une frayère artificielle. Cependant, les chances de succès sont vraisemblablement améliorées par de telles pratiques d'aménagement. Le fait d'aménager les frayères artificielles à proximité de frayères existantes éviterait d'avoir à les ensemencer.

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