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La possibilité de partager une partie de ses usages sexuels d’Internet au sein du couple

Les propos tenus par les enquêtés concernant leurs premières explorations en ligne révélaient un schéma relativement courant, selon lequel des adolescentes (ou jeunes femmes) ont découvert la pornographie au sein de leur couple en en parlant avec leurs partenaires. Certaines ont ensuite embrayé sur un usage individuel de la pornographie, mais pas toutes.

Cependant, en parler à un moment donné dans son couple ne signifie pas pour autant, que l’on partage aussi ses usages individuels. Camille, 26 ans, a découvert la pornographie par le biais de son unique partenaire, avec qui elle est en couple depuis dix ans au moment de l’enquête, a pu discuter de pornographie avec son partenaire, au début de sa relation, mais n’en parle quasiment plus désormais. Chacun, dans son couple, sait que l’autre en regarde, mais sans partager le contenu de ce qu’ils regardent. Dans l’extrait d’entretien qui suit, Camille explique aussi que les quelques éléments qu’elle peut partager avec son copain à propos de ce qu’ils regardent mutuellement ne sont pas partageables hors de son couple (dans son milieu de travail par exemple, qu’elle décrit pourtant comme un lieu où on peut parler « de beaucoup de choses ») :

« Parfois, je sais qu’il me disait qu’il avait envie de se masturber, et que clairement, on avait la flemme de faire l’amour, et je lui disais d’y aller. Il est allé dans la salle de bains, il a pris un bain et il en a profité. Il a mis le

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casque avec une vidéo. Je savais qu’il se masturbait, mais je ne lui ai pas demandé ce que c’était. Pourtant, j’aurais pu, je pense, à ce moment-là. Mais je n’en avais que faire.

– Ce n’est pas forcément toujours évident d’avoir son copain qui se masturbe à côté. Ce sont des choses que tu as

construites aussi avec le féminisme, en te disant que finalement, le moyen de gérer le consentement, c’était peut- être aussi que l’autre partenaire ait son espace privé à côté ?

– Surtout que comme j’étais free-lance, j’ai toujours été chez moi. Donc je pouvais me masturber pendant la journée. Lui quand il venait, j’étais rarement absente. Je comprenais aussi que par la force des choses, il avait moins d’occasions que moi de se masturber s’il le voulait. […]

– Le fait de regarder du porno de ton côté ou que ton copain en regarde, tu as déjà pu parler à d’autres gens ? Ou

c’est quelque chose entre vous et c’est tout ?

– Non, je ne crois pas. Et puis avec les collègues, ça fait un an que je suis dans la boîte où je travaille, et je sais qu’on parle de beaucoup de choses, mais je ne sais pas si on va parler de ça spécifiquement. Et pourtant, on parle beaucoup de choses intimes, sexuelles. Mais peut-être pas de la consommation de porno. J’ai déjà parlé de ma consommation. Je pense que je l’ai évoquée en une phrase timide, en rigolant, et après j’ai changé de sujet. Enfin, rien de sérieux, même si tout le monde le prend bien. Ce n’était pas non plus en mode adolescent. Mais on ne va pas creuser le sujet, parce qu’on s’imagine la personne quand elle rentre chez elle, juste après. On se garde un peu des choses. » (Camille, 26 ans.)

Chez certains enquêtés, la pornographie peut cependant être partagée plus directement, car intégrée à la sexualité relationnelle. C’est par exemple le cas de Léa, 25 ans, issue d’une famille de classe populaire en milieu rural, et qui n’a regardé du porno qu’avec son copain (ce qu’elle raconte dans l’extrait ci-dessous) et avec ses amis pour regarder une « fille du coin33 » dont une vidéo tournait sur les sites de streaming.

« Et c’était quand la première fois que t’as vu les premiers trucs [porno] ?

– C’était avec mon copain. Je le connaissais, donc… J’avais 21 ou 22, c’était ma première longue relation. Je devais avoir 22 ans, je sais plus. C’est lui il m’a montré, il m’a dit : “Viens.” Il a lancé le truc quoi.

– Et du coup toi t’aimais bien ?

– Ça reste du porno quoi, c’est pas… Ça m’excite pas. – Ça t’est jamais arrivé de regarder genre toute seule ? – Non ». (Léa, 25 ans.)

Victor, 24 ans, issu de milieu populaire, explique comment le fait de regarder de la pornographie avec sa copine s’intègre occasionnellement à sa sexualité relationnelle, avec pour lui aussi une asymétrie entre sa consommation de pornographie (courante) et celle beaucoup plus rare de sa partenaire :

« Avec ta copine tu peux en parler du coup [parler du porno] ?

– Je peux parler de pornographie très librement oui, vraiment on peut parler de ça… […] On en parlait en parlant de sexe comme ça. Ou même, ça nous est arrivé d’en regarder tous les deux. Ça nous arrive même de temps en temps, ça nous est arrivé d’en regarder ouais. On est très ouverts là-dessus, ça nous arrive, voilà.

– Mais genre au moment d’avoir des rapports sexuels quoi, genre un peu avant ?

– Oui c’est ça. Pas juste comme ça en mangeant ! Non, vraiment comme préliminaire quoi, pour regarder, pour voir ce que ça… On avait dû en entendre parler je crois par quelqu’un qui nous avait dit : “Ouais, moi avec mon copain, on a mis un porno pendant qu’on le faisait…” […] Voilà que l’idée nous est venue, et puis on a essayé plusieurs fois, et en gros voilà.

– Et elle, elle en regardait de son côté avant ou pas ?

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Voir l’enquête de Yaëlle Amsellem-Mainguy et Sacha Voisin (à paraître 2019) « Les filles du coin. Enquête sur les sociabilités féminines en milieu rural ».

– Oui. Oui oui, elle en a regardé. Mais non, je dis ça, ça lui est arrivé, mais c’était pas son truc par contre. En fait je me trompe. Ça lui est arrivé, mais pas beaucoup, vraiment non, elle en a pas beaucoup regardé. ». (Victor, 24 ans.)

Signalons ici que les quelques entretiens mentionnant une pratique partagée de la pornographie, dans le cadre de la sexualité relationnelle, sont le fait de jeunes de classe populaire et que l’on ne trouve pas l’équivalent chez des jeunes de classe intermédiaire ou supérieure. Cela confirme le rôle que joue la socialisation à la sexualité, qui dépend de la socialisation de classe, dans les usages développés au sein des couples.

Enfin, au-delà de la seule pornographie, d’autres usages sexuels d’Internet peuvent parfois être partagés au sein du couple, même si cela ne paraît pas être quelque chose de courant au vu des entretiens menés. Par exemple, Sébastien, 21 ans, issu d’une famille de classe populaire d’une ville moyenne, décrit comment sa sexualité relationnelle s’est développée en lien avec des usages informatifs tels que la recherche de « la meilleure contraception » pour son couple (il faisait les recherches de son côté et en parlait ensuite avec sa partenaire), ou à propos de « techniques » à déployer dans sa sexualité (quel lubrifiant utiliser, quelle « bonne durée » pour un rapport sexuel, etc.). Ces usages donnent lieu, dans son couple, à des discussions et affectent directement leur sexualité. Sébastien explique par ailleurs avoir partagé certaines discussions (sur la contraception, les préliminaires) avec une de ses meilleures amies (en commun avec sa partenaire) – situation rare, car les échanges sur les usages sexuels d’Internet dépassent rarement le cadre le plus intime, ou alors seulement dans des cercles choisis, le plus souvent non mixtes.

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