• Aucun résultat trouvé

La possibilité de mettre en place des politiques d’édification du demos mondial pour

CHAPITRE 2 – La protection de l’État-providence et des moins bien nanti.e.s

2.2 La version sociologique de l’argument : les conséquences négatives de l’ouverture des

2.2.3 La possibilité de mettre en place des politiques d’édification du demos mondial pour

le phénomène migratoire

Afin de faciliter la mise en balance plus juste des intérêts en cause dans le phénomène migratoire, nous sommes d’avis, à l’instar de David Axelsen, Nils Holtug, Ayelet Shachar et Daniel Weinstock, que les États pourraient mettre en place des politiques d’édification du demos mondial93. Selon ces auteur.e.s, tout comme les États peuvent mettre en place des politiques

d’édification de la nation pour construire la confiance, la solidarité et la cohésion sociale au sein de leurs communautés politiques nationales respectives, il leur serait possible de mettre en place, de manière complémentaire, des politiques d’édification du demos mondial pour construire la confiance, la solidarité et la cohésion sociale au sein d’une communauté politique mondiale. Or, comme le soutient plus particulièrement Axelsen, les politiques d’édification de la nation actuellement en place dans les divers États du monde renforcent non seulement les nationalismes, mais aussi l’anti-cosmopolitisme, freinant ainsi le développement d’une solidarité sans frontières et, par extension, la réalisation de principes de justice distributive à l’échelle mondiale. Comme il le soutient, en parlant des politiques actuelles d’édification de la nation dans le monde : « These processes influence our relationship with non-compatriots significantly as well, however, and

92 Certain.e.s pourraient rétorquer que les États pourraient remplir leurs obligations de justice distributive

internationale sans augmenter leurs seuils d’immigration et en se limitant uniquement à des interventions humanitaires et à l’envoi d’aide au développement là où le besoin s’en fait sentir. C’est un argument important, mais nous y reviendrons plus en détails dans le chapitre 3, lors de l’évaluation de l’argument selon lequel l’aide internationale serait une meilleure option que l’ouverture des frontières.

93 Axelsen (2013, p. 451-472); Holtug (2018, p. 29-31); Shachar (2009, p. 150); Weinstock (2001, p. 53-66);

thus, they help form and fix the motivational limitations that constrain us in meeting redistributive obligations towards poor foreigners »94. C’est pourquoi, en se basant sur les

contributions de James Bohman, Cécile Laborde, Martha Nussbaum et Lea Ypi95, Axelsen

recommande plus concrètement deux types de politiques d’édification du demos mondial. D’une part, il recommande la mise en place de cours d’éducation civique cosmopolitique obligatoires dans les démocraties libérales occidentales, dans lesquels il serait question de l’histoire, de la culture, des accomplissements et des problèmes des divers pays du monde, de manière à familiariser les habitant.e.s des pays occidentaux avec la réalité des habitant.e.s des autres pays du monde et ainsi favoriser le développement d’un sentiment d’appartenance à une même communauté humaine mondiale. D’autre part, il recommande également l’établissement progressif d’une démocratie mondiale, dans laquelle la responsabilité politique des acteurs internationaux serait revue à la hausse et par le biais de laquelle les individus à travers le monde auraient véritablement la possibilité de délibérer et de contribuer à la prise de décision concernant les problèmes et les enjeux mondiaux, de manière à favoriser le développement de la volonté d’œuvrer pour le bien de l’humanité.

Bien qu’Axelsen parle ici de nos limites motivationnelles quant à la réalisation de principes de justice distributive à l’échelle mondiale et que, plus généralement, la construction d’une communauté politique mondiale soit une question qui dépasse le cadre de la question migratoire, la proposition d’Axelsen, Holtug, Shachar et Weinstock a néanmoins une implication importante permettant de répondre aux préoccupations des tenant.e.s de l’argument sociologique. Il faut se rappeler que les défenseur.e.s de l’argument sociologique soutiennent que les États sont libres de restreindre l’immigration afin de conserver le même degré de diversité culturelle, s’ils jugent qu’il leur serait trop coûteux de mettre en place des politiques d’édification de la nation plus inclusives et d’intégrer des nouveaux.elles arrivant.e.s culturellement diversifié.e.s. Or, la proposition d’Axelsen, Holtug, Shachar et Weinstock implique que les coûts du maintien de la confiance, de la solidarité et de la cohésion sociale nécessaires au soutien de l’État-providence et des institutions dans les démocraties libérales pourraient devenir moins importants pour celles-ci, si elles mettaient en place des politiques d’édification de la nation complémentaires, et non pas

94 Axelsen (2013, p. 451).

opposées, à des politiques d’édification du demos mondial. En effet, la mise en place de politiques d’édification du demos mondial permettrait la construction d’une confiance, d’une solidarité et d’une cohésion sociale sans frontières qui servirait de base facilitant leur construction au sein de communautés nationales culturellement diversifiées. Pour être un peu plus précis, étant donné que la mise en place de telles politiques engendreraient le développement d’un degré plus élevé de confiance, de solidarité et de cohésion sociale entre les individus à travers le monde, les migrant.e.s, qu’il.elle.s soient culturellement différent.e.s ou non des habitant.e.s de leur société d’accueil, risqueraient moins d’être reçu.e.s avec méfiance et de faire face à un manque de solidarité de la part de leurs futur.e.s nouveaux.elles compatriotes. Ainsi, comme le degré de confiance, de solidarité et de cohésion sociale au sein des démocraties libérales serait moins affecté par l’immigration, leurs politiques d’édification de la nation et d’intégration des immigrant.e.s deviendraient moins coûteuses pour leurs habitant.e.s et ces dernier.ère.s pourraient devenir graduellement moins réfractaires à une plus grande ouverture de leurs frontières.

Résumé de la deuxième section du chapitre 2 (2.2)

Dans la deuxième section de ce deuxième chapitre, nous avons vu trois choses. D’abord, nous avons vu que les présupposés empiriques de l’argument sociologique en faveur d’une restriction de l’immigration sont contestables. C’est que cet argument néglige l’importance de la mise en place de politiques inclusives d’édification de la nation et d’intégration des immigrant.e.s pour garantir le niveau de confiance, de solidarité et de cohésion sociale nécessaires au soutien de l’État-providence et des institutions dans les démocraties libérales. Cela nous a permis de conclure que la version la plus défendable de cet argument est celle selon laquelle les démocraties libérales qui ne sont pas déjà dotées de politiques inclusives d’édification de la nation et d’intégration des immigrant.e.s sont libres de restreindre l’immigration afin de conserver le même degré de diversité culturelle, si elles jugent qu’il leur serait trop coûteux de mettre en place de telles politiques dans un contexte d’augmentation de la diversité culturelle. Ensuite, nous avons vu que, comme cet argument repose lui aussi sur l’argument de la priorité pour les compatriotes, il est possible de remettre en question ses fondements normatifs en mettant l’accent sur les limites de la priorité que nous pouvons accorder de manière justifiable à nos compatriotes. Dans cette optique, nous avons encore une fois défendu la nécessité d’effectuer une mise en

balance plus juste des intérêts des habitant.e.s des pays riches et de ceux des migrant.e.s provenant de pays pauvres, impliquant une critique des préjugés à la base de la méfiance envers les migrant.e.s, une remise en question des privilèges socio-économiques liés à l'acquisition de la citoyenneté d'un pays riche à la naissance et une plus grande contribution des plus riches à la réduction des inégalités socio-économiques internationales, notamment par le biais d’une plus grande ouverture de leurs frontières aux migrant.e.s issu.e.s de pays pauvres. Enfin, nous avons vu qu’afin de faciliter la mise en balance plus juste des intérêts en cause dans le phénomène migratoire, les démocraties libérales pourraient mettre en place des politiques d’édification du demos mondial, complémentaires à des politiques inclusives d’édification de la nation, de manière à favoriser le développement d’une confiance, d’une solidarité et d’une cohésion sociale sans frontières et, par extension, de faciliter l’accueil et l’intégration des immigrant.e.s en leur sein.