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Le caractère non concluant des études empiriques sur l’impact de l’immigration sur la

CHAPITRE 2 – La protection de l’État-providence et des moins bien nanti.e.s

2.2 La version sociologique de l’argument : les conséquences négatives de l’ouverture des

2.2.1 Le caractère non concluant des études empiriques sur l’impact de l’immigration sur la

Tout comme avec l’argument économique, la première manière de critiquer cet argument sociologique est de remettre en question ses bases empiriques. Tel que le soulignent notamment Arash Abizadeh, Phillip Cole, Jürgen Habermas, Javier Hidalgo, Nils Holtug, Will Kymlicka, Patti Tamara Lenard, Andrew Mason, Ryan Pevnick et Christine Straehle, l’examen de la littérature empirique sur les effets de l’immigration sur la confiance, la solidarité et la cohésion sociale dans les démocraties libérales occidentales permet de critiquer les conclusions des études empiriques sur lesquelles se base les tenant.e.s de l’argument sociologique85. Pour être un peu

plus précis, la revue de cette littérature permet de constater que d’autres études contredisent celles qui sont à la base de cet argument, montrant ainsi que cette littérature est actuellement non

(2004); Pedersen et Bay (2006); Putnam (2007); Soroka, Johnston et Banting (2004); Soroka, Banting et Johnston (2006); Stolle, Soroka et Johnston (2008).

85 Abizadeh (2002, p. 500-504); Abizadeh (2006, p. 3-4); Cole (2000, p. 170-171); Habermas (1995); Hidalgo (2013,

p. 703-704); Holtug (2018, p. 29-31); Kymlicka (1998); Lenard et Straehle (2010, p. 294); Mason (2000, chapitre 5); Pevnick (2009, p. 148-149); Wellman et Cole (2011, p. 269-271).

concluante86. Cela dit, comme Arash Abizadeh, Phillip Cole, Javier Hidalgo, Patti Tamara

Lenard, David Miller et Ryan Pevnick l’affirment, deux facteurs expliquent principalement la divergence des conclusions des études empiriques sur cette question : le degré d’inclusivité des politiques d’édification de la nation (ou de nation-building) mises en place et le degré d’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s87. En effet, étant donné que la confiance, la solidarité

et la cohésion sociale au sein d’une communauté politique sont socialement construites par les politiques d’édification de la nation que cette communauté met en place, ces auteur.e.s soutiennent que plus ces politiques sont inclusives, plus le degré d’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s a tendance à être élevé et, par extension, plus le niveau de confiance, de solidarité et de cohésion sociale au sein de cette communauté a tendance à être élevé. Ainsi, alors que les études empiriques à l’appui de l’argument sociologique semblent montrer l’impact négatif de la diversité culturelle dans les États ayant des politiques d’édification de la nation peu inclusives et éprouvant de la difficulté avec l’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s, les études empiriques critiquant cet argument semblent plutôt montrer le peu d’impact négatif de la diversité culturelle dans les États ayant des politiques d’édification de la nation plus inclusives et réussissant à mieux intégrer les nouveaux.elles arrivant.e.s. Il faut souligner le fait que même David Miller, l’un des principaux défenseur.e.s de l’argument sociologique, reconnaît que le niveau de confiance, de solidarité et de cohésion sociale au sein des États qui sont déjà dotés de politiques d’édification de la nation inclusives est moins négativement affecté par l’augmentation de la diversité

86 Pour des études empiriques aux conclusions contraires à celles des études sur lesquelles se basent les tenant.e.s de

l’argument sociologique, voir notamment Banting (2000); Banting, Johnston, Kymlicka et Soroka (2006); Banting et Kymlicka (2004); Banting et Kymlicka (2006); Cook et Cooper (2003); Crepaz (2008); Habyarimana, Humphreys, Posner et Weinstein (2007); R. Hardin (1995); Kumlin et Rothstein (2007); Letki (2008); Rothstein (1998); Svallfors (1993); Svallfors (1997).

87 Abizadeh (2002, p. 500-504); Hidalgo (2013, p. 703-704); Lenard (2012, p. 176); Miller (2008a, p. 379-380);

Miller (2016b, p. 64-65, 108, 145); Pevnick (2009, p. 148-149, 152-153); Wellman et Cole (2011, p. 269-270). Nous tenons à ajouter que, même s’il.elle.s ne se prononcent pas explicitement sur la littérature empirique sur les effets de l’immigration sur la confiance, la solidarité et la cohésion sociale dans les démocraties libérales occidentales, Christian Nadeau et Léa Ypi soulignent également, dans leurs contributions respectives sur le débat autour de l’ouverture des frontières, que ce débat est inséparable de la question de l’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s (Nadeau, 2007; Ypi, 2008a).

culturelle88. En effet, comme il l’écrit à propos des conséquences négatives de l’augmentation de

la diversité culturelle sur la confiance, la solidarité et la cohésion sociale au sein d’une communauté politique :

These are by no means inevitable consequences of admitting immigrants with cultural backgrounds different from those of the majority, but they are possible [emphase originelle] consequences, and avoiding them may again prove to be somewhat costly, this time in the form of support for programs of language learning, citizenship education, and so forth. This is the point at which the state’s existing cultural character becomes important: a state that is already equipped with multicultural policies can more easily tackle these problems than one that is not89.

Cela étant dit, si Miller et les détracteur.rice.s de l’argument sociologique semblent s’entendre sur le caractère non concluant de la littérature empirique sur laquelle cet argument se base, ainsi que sur les deux facteurs qui expliquent la divergence des conclusions des études composant cette littérature, il.elle.s sont en désaccord sur les implications normatives de cette divergence. D’un côté, les critiques de cet argument soutiennent que les coûts de la mise en place de politiques d’édification de la nation plus inclusives et de l’intégration de nouveaux.elles arrivant.e.s culturellement diversifié.e.s ne sont pas suffisamment élevés pour justifier la nécessité de restrictions à l’immigration pour protéger le niveau de confiance, de solidarité et de cohésion sociale dans les pays relativement peu culturellement diversifiés. De l’autre côté, Miller affirme que ces pays sont au contraire libres de restreindre l’immigration afin de conserver le même degré de diversité culturelle, s’ils jugent qu’il leur serait trop coûteux de mettre en place des politiques d’édification de la nation plus inclusives et d’intégrer de nouveaux.elles arrivant.e.s culturellement diversifié.e.s. C’est pourquoi il s’empresse d’ajouter, juste après le dernier passage que nous venons de citer :

There is, however, no independent requirement that a state should embrace multiculturalism before deciding upon its admission policy. Democracies are entitled to decide how far they wish to protect their inherited national cultures and how far to encourage cultural diversity within their borders90.

88 Miller (2016b, p. 108). 89 Miller (2016b, p. 108). 90 Miller (2016b, p. 108).

Dans la prochaine sous-section, nous verrons que ce désaccord entre les tenant.e.s et les critiques de l’argument sociologique traduit encore une fois un désaccord plus fondamental concernant l’argument de la priorité pour les compatriotes.

2.2.2 Les limites de la priorité pour les compatriotes et une mise en balance