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La possibilité pour des communautés politiques aux frontières ouvertes de

CHAPITRE 3 – Le droit à l’autodétermination politique

3.2 Le contrôle du destin politique d’un peuple

3.2.1 La possibilité pour des communautés politiques aux frontières ouvertes de

La première réponse qu’il est possible de donner à cette version politique de l’argument démocratique est de remettre en question, comme le font entre autres Arash Abizadeh, Veit

Bader, Joseph Carens, Phillip Cole et Sarah Fine, l’idée selon laquelle l’autodétermination politique d’une communauté politique est indissociable de son droit d’exclure dans le domaine migratoire128. C’est que, tel que le rappellent ces auteur.e.s, à moins de considérer

l’autodétermination politique comme obéissant au principe du « tout ou rien », il est possible d’affirmer que les États de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, les communautés subnationales au sein d’États fédéraux ont à la fois des frontières ouvertes pour les personnes se trouvant au sein des frontières de leur organisation politique de niveau supérieur et la possibilité de s’autodéterminer politiquement.

Ici, Miller pourrait répliquer qu’au sein des États fédéraux comme au sein de l’Union européenne, les disparités socio-économiques et les mouvements migratoires entre les communautés politiques ne sont pas du tout du même ordre qu’au niveau international. Conséquemment, l’ouverture des frontières des pays riches mènerait rapidement à un afflux de migrant.e.s dans ces pays, ce qui limiterait excessivement, voire éliminerait, la possibilité de ces pays de s’autodéterminer politiquement.

À cela, il est possible de répondre de deux façons. En premier lieu, comme nous avons tâché de le souligner à plusieurs reprises, nous ne défendons pas l’ouverture complète des frontières, mais plutôt une ouverture significativement plus grande des frontières. Or, il est permis de penser que les communautés politiques seraient encore en mesure de s’autodéterminer politiquement dans un monde aux frontières considérablement plus ouvertes qu’elles ne le sont actuellement. En deuxième lieu, l’objection de Miller met indirectement en évidence le fait que, dans le contexte des inégalités internationales actuelles, le droit d’exclure de l’État dans le domaine migratoire protège non seulement des biens identitaires et liés à l’autodétermination politique, mais également des biens socio-économiques, de sorte qu’il a pour effet de renforcer des inégalités internationales déjà problématiques. Ainsi, comme l’autodétermination politique des peuples est compatible avec l’ouverture des frontières et que le droit d’exclure de l’État dans le domaine migratoire a pour effet de renforcer des inégalités internationales significatives, il est selon nous nécessaire d’ouvrir davantage les frontières afin de faire une mise en balance plus

128 Abizadeh (2008, p. 50); Bader (1997, p. 44-45); Bader (2005, p. 349); Carens (1987, p. 266-267); Carens (2013,

juste de l’intérêt qu’ont les habitant.e.s des pays riches de garder le contrôle absolu de leur destin politique et de l’intérêt qu’ont les migrant.e.s en provenance de pays pauvres d’avoir la possibilité d’améliorer leurs conditions socio-économiques en immigrant dans un pays riche.

Ici, Miller pourrait répondre de deux manières. Premièrement, il soutient que l’ouverture des frontières serait non seulement nuisible pour l’autodétermination politique des pays riches, mais également pour celle des pays pauvres et, plus généralement, pour l’avenir de l’humanité et de la planète. D’abord, Miller, tout comme Rawls, affirme que l’ouverture des frontières n’inciterait pas les pays pauvres déjà aux prises avec un problème de surpopulation à mettre en place les mesures difficiles nécessaires pour remédier à ce problème, étant donné que leur surplus de population pourrait plus facilement s’installer ailleurs129. Pour le philosophe britannique, cela

limiterait la capacité des pays riches de contrôler leur croissance démographique et les dépenses publiques qui y sont associées, tout en rendant plus difficile les déplacements en leur sein, l’accès à leurs espaces naturels, la protection de leurs habitats naturels et la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, et cela limiterait plus généralement notre capacité collective à freiner la croissance de la population mondiale, l’épuisement des ressources naturelles et le réchauffement climatique. Ensuite, Miller affirme que l’ouverture des frontières nuirait aussi à l’autodétermination politique et au développement socio-économique des pays pauvres parce que, comme les habitant.e.s les plus pauvres des pays pauvres ont rarement les capacités physiques et les ressources financières nécessaires pour pouvoir émigrer vers un pays riche et comme les professionnel.le.s des pays pauvres sont à la fois fortement en demande chez eux.elles et davantage disposé.e.s à émigrer vers un pays riche, cela accentuerait le problème actuel de la fuite des cerveaux des pays pauvres vers les pays riches130. Deuxièmement, Miller soutient, tout

comme Macedo et Rawls, que les inégalités internationales sont principalement le résultat de l’autodétermination politique des peuples et que, ce faisant, la mise en balance des intérêts en

129 Pour cet argument, voir plus particulièrement Miller (2005, p. 201-202); Miller (2016a, p. 27); Miller (2016b, p.

65-66); Rawls (1999, p. 8, 38-39). Cela dit, cet argument est aussi défendu par Christopher Wellman (Wellman et Cole, 2011, p. 110-111) et n’est pas sans rappeler le célèbre argument du lifeboat ethics de Garrett Hardin (Hardin, 1974).

130 Pour cet argument, voir plus particulièrement Miller (2005, p. 198-199); Miller (2016a, p. 22); Miller (2016b, p.

48, 53, 108-111). Parmi les études empiriques sur lesquelles se base Miller pour étayer ses dires, voir notamment Faini (2003); Faini (2005); Packer, Runnels et Labonté (2010).

cause que nous proposons manque en fait de justice envers les choix et les sacrifices des pays riches.

Pour répondre à ces deux objections, dans les sous-sections 3.2.2 et 3.2.3, nous verrons qu’il est à la fois possible de remettre en question les présupposés empiriques et normatifs à la base des arguments de la surpopulation et de la fuite des cerveaux, alors que, dans les sous- sections 3.2.4 à 3.2.6, nous défendrons la portée mondiale de l’égalité des chances et de l’égalité relationnelle, ainsi que la nécessité de justifier la coercition exercée sur les migrant.e.s par les lois migratoires des divers États du monde.

3.2.2 Le lien entre le développement socio-économique et la baisse du taux de