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L’exagération de la menace de l’immigration pour l’identité nationale

CHAPITRE 3 – Le droit à l’autodétermination politique

3.1. B La version de David Miller : le contrôle de l’évolution de l’identité nationale

3.1.3 L’exagération de la menace de l’immigration pour l’identité nationale

que représente l’immigration pour l’identité nationale des communautés politiques est quelque peu exagérée. Comme nous l’avons déjà indiqué précédemment, il faut se rappeler qu’ouvrir les frontières n’est pas la même chose que de les abolir et que l’ouverture des frontières n’implique pas nécessairement un monde aux frontières complètement ouvertes. Ainsi, même si nous sommes d’accord avec Miller pour dire qu’ouvrir totalement les frontières du jour au lendemain engendrerait probablement un afflux massif de migrant.e.s provenant de pays pauvres aux portes des pays riches, surchargeant ainsi leur capacité d’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s et les empêchant de garder le contrôle de l’évolution de leur identité nationale (sans parler du fait que cela déstabiliserait l’ordre public au sein de ces pays), nous sommes d’avis que les politiques d’édification de la nation et d’intégration des immigrant.e.s des pays riches seraient encore efficaces dans un monde aux frontières considérablement plus ouvertes qu’elles ne le sont actuellement.

121 Miller (2005, p. 201, 204); Miller (2008a, p. 388-389); Miller (2016b, p. 67). 122 Comme le montre ce passage :

So, although national values and national priorities can reasonably be invoked when deciding how many immigrants to take in over any given period of time, when it comes to selecting among the applicants, only ‘neutral’ criteria such as the particular skills a person has can legitimately be used (Miller, 2008a, p. 389).

Ici, Miller pourrait répondre que, dans le cas des communautés politiques dont l’identité nationale est fragile et en lutte pour sa survie (par exemple, comme au Québec), le nombre et la diversité des nouveaux.elles arrivant.e.s représentent déjà des sources d’inquiétudes pour les membres de ces communautés quant à l’avenir de leur identité nationale. Selon le philosophe britannique, la menace que représente l’immigration pour l’identité nationale de ces communautés est loin d’être exagérée et justifie non seulement de limiter le nombre de nouveaux.elles arrivant.e.s pouvant y être admis.e.s pour une période donnée, mais également de favoriser l’admission de migrant.e.s parlant déjà la langue qui y est utilisée.

À cela, il est possible de répondre que, bien que nous soyons d’accord avec Miller à propos du caractère non négligeable des difficultés que peut poser l’immigration d’un grand nombre de personnes culturellement diversifiées pour une communauté politique dont l’identité nationale est déjà en lutte pour sa survie, nous sommes d’avis que, comme le reconnaît Miller lui- même, ce genre de cas est exceptionnel. Ainsi, même si une telle communauté peut légitimement avoir besoin d’admettre moins de migrant.e.s pour une période donnée que la plupart des pays riches, de manière générale, nous sommes d’avis que la majorité des pays riches seraient en mesure d’admettre davantage de migrant.e.s qu’ils ne le font actuellement, sans pour autant mettre en danger l’avenir de leur identité nationale123.

Ici, Miller pourrait répondre que les pays sont généralement libres de restreindre l’immigration afin de conserver le même degré de diversité culturelle et, par extension, de maintenir le contrôle de l’évolution de leur identité nationale et un niveau adéquat de confiance, de solidarité et de cohésion sociale en leur sein. Pour être plus précis, le philosophe britannique affirme que les pays peuvent légitimement décider de restreindre l’immigration s’ils jugent qu’il leur serait trop coûteux de mettre en place des politiques d’édification de la nation et d’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s dans un contexte d’augmentation du nombre d’immigrant.e.s culturellement diversifié.e.s arrivant à leurs portes.

En guise de réponse, il est possible de soutenir, comme nous l’avons fait précédemment, que l’intérêt des habitant.e.s des pays riches de ne pas payer pour des politiques d’édification de

123 Pour une position similaire à la nôtre au sujet de ces cas exceptionnels, voir notamment Abizadeh (2008, p. 53);

la nation et d’intégration des nouveaux.elles arrivant.e.s qu’il.elle.s perçoivent comme trop coûteuses reçoit actuellement un poids démesuré par rapport à l’intérêt des migrant.e.s originaires de pays pauvres d’améliorer leurs conditions socio-économiques, de sorte qu’une mise en balance plus juste des intérêts en cause implique une plus grande ouverture des frontières.

En résumé, étant donné que la majorité des pays riches seraient vraisemblablement en mesure de garder le contrôle de l’évolution de leur identité nationale en admettant davantage de migrant.e.s qu’ils ne le font actuellement et qu’ils devraient de surcroît accorder plus de poids à l’intérêt que les migrant.e.s en provenance de pays pauvres ont d’améliorer leur niveau de vie, il est possible de remettre en question l’argument de Miller selon lequel le droit d’exclure de l’État dans le domaine migratoire est nécessaire au contrôle de l’évolution de l’identité nationale d’une communauté politique.

Résumé de la première section du chapitre 3 (3.1)

Dans la première section de ce troisième chapitre, nous avons vu que la version identitaire de l’argument démocratique exagère la menace de l’immigration pour l’identité nationale et néglige l’importance de l’intérêt des migrant.e.s en provenance de pays pauvres d’améliorer leurs conditions socio-économiques. D’abord, l’existence de communautés politiques ayant à la fois des identités culturelles distinctives et des frontières ouvertes, le caractère déterminant des politiques d’édification de la nation et d’intégration des immigrant.e.s pour le maintien de l’identité distinctive d’une communauté politique, et les différences importantes qui existent entre les communautés politiques et les clubs nous ont permis de remettre en question l’argument de Walzer selon lequel le maintien du caractère distinctif de l’identité des communautés de caractère est indissociable d’un droit d’exclure dans le domaine migratoire. Ensuite, étant donné que la majorité des pays riches ne luttent pas pour la survie de leur identité nationale, qu’ils seraient vraisemblablement en mesure de garder le contrôle de l’évolution de leur identité nationale en admettant davantage de migrant.e.s qu’ils ne le font actuellement et qu’ils devraient de surcroît accorder plus de poids à l’intérêt que les migrant.e.s en provenance de pays pauvres ont d’améliorer leur niveau de vie, il nous a été possible de remettre en question l’argument de Miller selon lequel le droit d’exclure de l’État dans le domaine migratoire est nécessaire au contrôle de l’évolution de l’identité nationale d’une communauté politique.