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La position subjective de l’enseignant

5. Le cadre théorique : présentation des concepts

5.2. Les concepts psychanalytiques convoqués dans ma recherche

5.2.4. La position subjective de l’enseignant

Une étude de Brossais, Savournin et Jourdan (2011) montre que la position subjective d’un enseignant dans sa classe devant ses élèves peut être organisée en fonction de trois outils d’analyse. Ces « analyseurs », outils propres à la didactique clinique car fondés sur une articulation théorique entre la didactique et la clinique psychanalytique lacanienne, sont : - « l’impossible à supporter » ;

- « le sujet supposé savoir » ou « la contingence » ; - « la conversion didactique ».

5.2.4.1. « L’impossible à supporter »

« L'impossible à supporter » se rapporte à des expériences traumatisantes vécues par le sujet et qui vont influencer sa manière de transmettre le savoir enseigné (Loizon, Margnes, Terrisse, 2008).

Les travaux de Buznic, Terrisse, Lestel (2008) mettent évidence l'importance des savoirs acquis par l'expérience. Si une expérience a été traumatisante, elle se ressent dans la façon dont le sujet enseignant va transmettre son savoir. L'expérience « traumatisante » devient un savoir incontournable et « l'impossible à supporter » se révèle au cours des séances d'enseignement.

Comme le résume Brossais (2011), « l’impossible à supporter » s’invite lorsque l’enseignant ne parvient pas à trouver un équilibre interne, à régler la bonne distance avec les élèves et finalement à soutenir sa place d’enseignant. Ainsi, enseigner ne peut se réduire à la transmission ou à l’appropriation de savoirs. Et Brossais d’ajouter que « l’enseignant en mettant à l’épreuve une image de maitrise qu’il ne peut assumer, se risque à une blessure narcissique ».

L’EMC n’est-elle pas une discipline qui, justement parce qu’elle expose le sujet à ses croyances et convictions personnelles, rend compliqué le réglage de la distance de l’enseignant avec ses élèves ? L’enseignant ne craint-il pas de s’exposer et ainsi de briser

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l’équilibre interne difficilement acquis ? Dans son refus de l’EMC, ne sent-il pas le danger à s’exposer et le risque d’une blessure narcissique ?

L’EMC, plus que tout autre discipline n’expose-t-elle pas l’enseignant à des « impossibles à supporter » ? Alors, en refusant l’EMC, l’enseignant ne s’évite-t-il pas de se confronter à un ou des « impossible à supporter » ? Le refus de l’EMC n’est-il pas le symptôme d’un « impossible à supporter » ?

5.2.4.2. « Le sujet supposé savoir » ou « la contingence »

Le concept de « sujet supposé savoir » a été proposé par Lacan (1966) pour caractériser la position symbolique de l’analyste par rapport à l’analysant, lors de la cure. Il a été transposé en didactique par Chevallard (1985), puis Blanchard-Laville (2001) qui parle alors de transfert didactique, pour situer l’enseignant dans sa position de sujet savant face aux élèves. La recherche et le maintien d’une telle position constituent un arrière-plan permanent de l’activité enseignante ; elle est le fondement de sa légitimité didactique et donc professionnelle.

L'enseignant a été recruté pour transmettre des savoirs ; il se doit d’être, de par son statut institutionnel, celui qui sait. La maitrise du savoir disciplinaire est un gage nécessaire de la capacité à transmettre des contenus d’enseignement aux élèves. Cependant, il peut ne pas être compétent dans tous les domaines, surtout au début de sa carrière. De plus, il peut être conscient qu’il ne sait pas tout mais également qu’il ne peut pas tout transmettre. En outre, il a face à lui des élèves qui sont tout autant de sujets singuliers avec leur désir, leur histoire personnelle, leurs intérêts propres et leurs relations avec les autres. L’enseignant doit donc se préoccuper sans cesse de sauvegarder sa position symbolique de « sujet supposé savoir » face aux élèves.!

Or, toute situation d’enseignement est contingente. Il est impossible pour l’enseignant, même chevronné, de prévoir toutes les réactions des élèves et toutes les réponses qui en découleront. Ainsi, lorsqu’il rentre dans la classe, il sait qu’une part de maitrise lui échappera inévitablement, qu’il devra se confronter au réel de la classe et s’en « arranger » comme il le peut.

Le concept de « contingence » correspond à cet écart entre ce que prévoit de transmettre l'enseignant et ce qu'il transmet réellement. L’enseignant ne peut s’y soustraire et doit « faire avec » car « la contingence » est un facteur inhérent, à l’acte d’enseigner.

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Le refus d’enseigner l’EMC ne pourrait-il pas résider alors dans le fait que les enseignants craignent d’être découverts par les élèves à transmettre des savoirs non incarnés, ce qui les mettrait alors dans la position délicate de « non toute-maitrise » évoquée par Brossais (2011) et leur ferait perdre la place de « sujet supposé savoir » ?

D’autre part, en EMC, où les enseignants sont amenés à s’exposer, à engager leur personne (sans toutefois faire état de toutes leurs croyances et convictions personnelles), « la contingence » n’est-elle pas un facteur déterminant dans leur embarras à enseigner cette discipline ? La prise en considération du risque que peut constituer cette contingence pour l’enseignant n’implique-t-elle pas une frilosité à enseigner l’EMC, cette discipline « impliquante » ? La contingence ne les fragilise-t-elle pas dans cet enseignement au point qu’ils refusent de s’y confronter ?

5.2.4.3. « La conversion didactique »

Le concept de « conversion didactique » est né du questionnement de Buznic, Terrisse et Lestel (2008) sur l’incidence des savoirs construits dans l’expérience personnelle de l’enseignant sur ses pratiques professionnelles. Une étude de cas menée auprès d’une enseignante débutante en EPS a montré combien son expérience personnelle avait de résonnance dans son enseignement ; un processus que Buznic a envisagé comme une transformation du contenu d’une expérience subjective en contenu d’enseignement, d’où le terme de conversion didactique.

Autrement dit, la conversion didactique désigne ce qui, de l’expérience personnelle de l’enseignant, passe dans ses contenus d’enseignement et oriente, organise, sa pratique professionnelle en classe.

Ce concept oblige à prendre en considération l’histoire de l’enseignant – personnelle, familiale, professionnelle, sociale ainsi que son rapport particulier aux savoirs enseignés – et à considérer que les choix des savoirs qu’il opère ne sont pas neutres mais liés à sa construction expérientielle.

Ce qui fait écrire à Blanchard-Laville (2001) que l’enseignant « est amené à mettre en scène son propre rapport au savoir », un savoir « fortement ancré dans [son] histoire personnelle […]. Ce n’est donc pas le savoir qui s’expose, c’est le sujet. »

Dès lors, ne peut-on pas penser que l’EMC expose doublement l’enseignant, à la fois comme dans tout autre discipline où il se montre à voir à travers le savoir qu’il transmet, mais

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également parce que cette discipline singulière, plus que tout autre, convoque son système de valeurs et l’oblige à se dévoiler ?

Ne pourrait-on pas penser que c’est dans cette « double exposition » que s’origine le refus ou la difficulté des enseignants à enseigner l’EMC ?

Il est intéressant de se demander si le Conseil supérieur des programmes s’est intéressé à ces questions et, dans une certaine mesure, s’en est saisi dans la réflexion préalable qui a été menée pour penser et construire le programme d’Enseignement Moral et Civique.