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L’implication du chercheur

6. La Méthodologie

6.5. L’implication du chercheur

Pour aborder la question de l’implication du chercheur, il convient de prendre en considération la notion de transfert et de contre-transfert.

Ces concepts sont issus de la cure où ils désignent l’ensemble des phénomènes qui constituent la relation du patient à l’analyste. Ils se définissent comme la nature de la relation affective qui existe dès que deux êtres humains sont en présence. L’un suppose à l’autre certaines qualités et lui accorde un « amour » pour cela.

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Le transfert correspond à l’idée que le patient suppose au psychanalyste du savoir sur

ce qui cause sa souffrance et du savoir sur la façon de le guérir. Cette supposition non fondée en réalité, engage le patient dans une demande fausse mais véritable où l’analyste joue un autre rôle que ce qu’il est en vérité.

Freud (1893-1895) n’a pas inventé cette notion mais il en a constaté, puis conceptualisé la nature et organisé le maniement. Considéré à l’origine comme un « simple » déplacement de l’affect d’une représentation à une autre, le rôle du transfert apparait comme majeur dans le cas Dora (1905) et sera repris par Freud en 1912.

Freud développe notamment l’idée selon laquelle ce transfert inévitable constitue le plus grand obstacle de la psychanalyse mais également son soutien le plus puissant.

Lacan (1961-1962), quant à lui, déduit le transfert de toute situation de parole, précisant qu’« à chaque fois qu’un sujet parle à un autre, d’une façon authentique et pleine, il y a au sens propre, transfert ». Il ajoute que la situation transférentielle est liée à toute rencontre dissymétrique dans laquelle un sujet attribue à un autre un savoir sur lui.

Dans le cadre de ma recherche basée sur trois entretiens, quel transfert peut-on attendre et souhaiter, ou redouter ? L’espace/temps est-il suffisant pour que le transfert ait lieu ? Qu’en est-il si, contrairement à ce que prétend Lacan, le transfert ne s’invite pas dans la relation ?

En ce qui concerne l’EMC, est-il souhaitable et/ou nécessaire que le transfert élèves (sujet supposé croire)/enseignant (sujet supposé savoir) soit plus opérant que dans d’autres disciplines ? L’EMC peut-il être refusé par l’enseignant parce que son exposition provoque trop de transfert ou de contre-transfert ?

Le contre-transfert désigne les réactions de l’analyste au transfert. Par extension, c’est

l’ensemble des réactions inconscientes (et leurs effets dans la réalité) qu'éprouve un sujet en réaction aux sentiments inconscients ressentis par un autre à son égard et à leurs manifestations effectives (concrétisations du transfert).

Bien que Freud (1910) soit à l’origine du concept, c’est en de très rares passages qu’il y fait allusion, le résumant à « l’influence du malade sur les sentiments inconscients du médecin ».

Dans le champ des sciences de l’éducation, Ben Slama (1989) dissocie l’idée d’implication qui, selon lui renvoie à la pensée psychologique, et celle de contre-transfert liée à la pensée psychanalytique.

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C’est également la position d’Ardoino (2000) lorsqu’il élucide les différentes significations de la notion d’implication en la distinguant de celle d’engagement et propose de réserver le terme de contre-transfert au champ de la psychanalyse.

Ainsi, si l’engagement met en relation l'individu avec ses actes, le contre-transfert comprend l’ensemble des productions psychiques inconscientes que va susciter le discours du sujet chez le chercheur. Le contre-transfert agit alors en fonction de la nature et de l’intensité du transfert qui lie les deux personnes, sujet et chercheur, mais aussi de l’histoire personnelle de chacun des deux.

Dès lors, le refus de l’EMC par un enseignant peut-il résider dans une forme de résistance inconsciente au contre-transfert vis-à-vis de ses élèves ?

Un enseignant peut-il enseigner l’EMC, cette discipline singulière qui engage le sujet, si la relation affective qu’il entretient avec ses élèves est défaillante ? La nature et l’intensité du transfert et du contre-transfert qui lient enseignant et élèves peuvent-elles influer sur la capacité de l’enseignant à enseigner l’EMC ? Peuvent-elles conduire jusqu’à un refus d’enseigner l’EMC ?

Dans le même sillon, Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel, Pechberty (2005) posent cette relation « impliquante » comme un essentiel dans l’approche clinique d’orientation psychanalytique.

Dans ce type de démarche, Costantini (2009) écrit que « le psychisme du chercheur est mis à l’épreuve à travers la confrontation de ses propres mécanismes psychiques conscients et inconscients qui se dévoilent en même temps que se forment les mises en sens, en lien avec ce qu’il perçoit des mécanismes conscients et inconscients chez autrui. »

Ainsi, « le chercheur ne peut pas s’abstraire de la relation aux objets qu’il étudie. […] Cette relation fait elle-même partie de la recherche. » Il travaille dans et sur la relation, dans un décalage et une distance rendus opératoires par le biais des dispositifs mis en place. Il s’inclut à l’objet d’étude en tant que :

9 personne portée par des valeurs ; 9 professionnel de terrain ;

9 chercheur.

L’implication du chercheur trouve écho dans la problématique de recherche mais également dans la posture qu’il adopte lors des entretiens et les analyses interprétatives des entretiens cliniques.

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C’est l’idée développée par Barus-Michel (1986) qui considère que pour atteindre « de l’autre », le chercheur « doit d’abord passer par lui-même ».

D’où l’importance du positionnement du chercheur clinicien qui exige une posture particulière et un réglage pensé de la distance entre les trois pôles du triangle qui ordonne la production de la parole : le chercheur, l'objet observé et le sujet.

Ce que Blanchard-Laville (1999) synthétise par cette formule : « C'est avec cette interaction permanente que le clinicien d'orientation psychanalytique doit compter. Ce lien entre les chercheurs et les sujets de leur recherche crée une tension féconde qu'il leur revient de soutenir. »

Dans le cadre de ma recherche, mon implication se lit également au travers de la collaboration que j’ai construite avec mon directeur de recherche. Au cours de cette année, nous avons établi un rythme de rencontres régulier pour échanger autour du cas Sofia – un rendez-vous avant et après chaque entretien pour le préparer puis l’analyser ensemble – et travailler sur l’écriture de ce mémoire. Nos discussions, riches et animées, ont le plus souvent porté sur les interprétations possibles des entretiens réalisés.

D’autre part, les différents cours auxquels il m’a été donné d’avoir accès dans le cadre de mon master 2 à Besançon ont éclairé mes propos tout au long de ce mémoire. Ils ont été pour beaucoup d’entre eux la base sur laquelle je me suis appuyée pour construire, notamment, la partie intitulée cadre théorique dans laquelle je m’efforce de présenter les concepts liés à ma recherche mais également la partie méthodologie.

Enfin, j’ai eu l’occasion de nourrir ma recherche grâce à plusieurs séminaires, inscrits ou non dans le master Recherche, et portant tout autant sur l’Enseignement Moral et Civique que sur la psychanalyse ou encore la relation entre l’enseignement et la psychanalyse.