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La population comme objet de la médecine sociale : la médicalisation de la

2.1. La médecine sociale comme mécanisme de contrôle social : les technologies de contrôle

2.1.4. La population comme objet de la médecine sociale : la médicalisation de la

Si, comme nous l’avons vu précédemment, la discipline se donne comme ce que Foucault va appeler une anatomopolitique des corps et s’appliquait essentiellement aux individus, la médecine sociale s’intéresse non plus aux individus, mais à la population désignant un ensemble d’êtres vivants et coexistants qui présentent des traits biologiques et pathologiques particuliers, et dont la vie même devient un objet de contrôle afin d’assurer une meilleure gestion de la force de travail. En réalité, la population apparait comme l’objet et la

81Ibid. 82

Michel Foucault, « L’œil du pouvoir », op.cit.

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Dans son livre Sécurité, Territoire, Population, Foucault envisage une analyse du milieu comme espace de régulation biopolitique en s’appuyant sur l’article de Canguilhem, «Le vivant et son milieu ». Si pour Canguilhem, le terme de milieu a à l’origine, une signification mécanique, chez Newton, il était conçu comme «fluide véhicule d’action à distance» entre deux corps. Foucault reprend à son compte cette idée, définissant le milieu comme « ce qui est nécessaire pour rendre compte de l’action nécessaire d’un corps sur un autre. C’est donc bien le support et l’élément de circulation d’une action». Le terme de milieu est introduit en biologie par Lamarck. Pour ce dernier, le milieu désigne l’ensemble des actions qui s’exercent du dehors sur un vivant. Notons que Lamarck ne parle jamais de « milieu », mais plutôt des « milieux » entendus comme « circonstances influentes ». Or, c’est en traçant un parallèle quasi parfait avec la conception lamarckienne du milieu que Foucault analyse la gestion sécuritaire des espaces, en insistant sur la circulation des fluides.

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cible de la médecine sociale, faisant ainsi apparaitre ce que Foucault appelle la « biopolitique de la population »85 :

La découverte de la population est, en même temps que la découverte de l’individu et du corps dressable, l’autre grand noyau technologique autour duquel les procédés politiques de l’Occident se sont transformés. On a inventé à ce moment-là ce que j’appellerai par opposition à l’anatomo-politique que j’ai mentionnée à l’instant, la bio-politique.86

On le voit bien, la vie des populations constituent la cible principale de cette biopolitique qui, rappelons-le, émerge à la suite de sa Conférence au Brésil sur la «Naissance de la médecine sociale ». Ce rappel n’est pas fortuit. Car, la médecine sociale procède de la biopolitique. Parce que le corps est une réalité biopolitique, il devient l’objet d’une médicalisation. Foucault va parler alors d’un « biopouvoir »87 qui est en réalité une forme d’expression associée à la médicalisation. Celle-ci désigne « le fait que l'existence, la conduite, le comportement, le corps humain s'intègrent à partir du XVIIIe siècle dans un réseau de médicalisation de plus en plus dense et important qui laisse échapper de moins en moins de choses ».88 Apparaît alors dans cette perspective, une nécessité de réguler et de sécuriser89 les milieux de vie des corps espèces et notamment les populations.

Après avoir investi les milieux de vie des populations, la médecine sociale s’applique particulièrement aux conditions de vie de ces populations. Foucault affirme alors que « la médecine urbaine n'est pas réellement une médecine de l'homme, du corps et de l'organisme, mais une médecine des choses : de l'air, de l'eau, des décompositions, des fermentations ; c'est une médecine des conditions de vie du milieu d'existence. »90 Dès lors, il se développe une

85 Voici la définition qu’en donne Foucault dans le Résumé des cours (1970-1982), Conférences, essais et leçons

du Collège de France, Ed. Julliard, Paris, p. 109 : « J’entendais par-là la manière dont on a essayé, depuis le

XVIIIe siècle, de rationaliser les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population : santé, hygiène, natalité, longévité, races…On sait quelle place croissante ces problèmes ont occupée depuis le XIXe siècle, et quels enjeux politiques et économiques ils ont constitués jusqu’aujourd’hui »

86 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Annuaire du Collège de France, 79e année, Chaire d’histoire des systèmes de pensées, année 1978-1979, 1979, repris in Dits et écrits, vol. 3, texte n°818.

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Le terme « biopouvoir » désigne d’abord le « pouvoir sur la vie ». Ce type de pouvoir moderne marque ainsi une césure avec l’ancien pouvoir souverain. Par ce terme, Foucault décrit la manière dont le pouvoir tend à se transformer entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle afin de gouverner non seulement les individus à travers un certain nombre de procédés disciplinaires, mais l’ensemble des êtres vivants constitués en population.

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Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale », op.cit.

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Dans Sécurité, Territoire, Population, Foucault souligne que la sécurité va consister à prendre appui sur un certain nombre de données matérielles. Elle va travailler bien sûr l’emplacement avec l’écoulement des eaux, avec les îles, avec l’air, etc. Donc, elle travaille sur un donné. (p. 21). Dans la politique sécuritaire, il s’agit alors d’aménager un milieu pour une population, en fonction d’un donné et de séries d’événements aléatoires.

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hygiène publique consistant à améliorer le cadre de vie des populations par des politiques d’assainissement. D’où l’intérêt que revêt la notion de salubrité qui est fortement liée à cet hygiénisme comme le souligne Foucault : « La salubrité est la base matérielle et sociale capable d'assurer la meilleure santé possible aux individus. Lié à cela, apparaît le concept d'hygiène publique comme technique de contrôle et de modification des éléments du milieu qui peuvent favoriser cette santé ou, au contraire, lui nuire. »91. À partir de là, on redéfinit la médecine comme une pratique sociale au moyen de sa fonction d'hygiène publique. Celle-ci va être surtout basée sur l'étude et le contrôle du milieu et va contribuer au développement au XIXe siècle de la médecine scientifique : « Une grande partie de la médecine scientifique du XIXe siècle trouve son origine dans l'expérience de cette médecine urbaine qui s'est développée à la fin du XVIIIe siècle. »92 La biopolitique viendra donc réguler cette fonction. Et dans la mesure où la population apparaît comme le centre d’application de la médecine sociale comme nous venons de le voir, le biopouvoir viendra donc réguler et coordonner le flux de cette population en s’imposant comme normalisation.