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Vers une mutation de la médecine ?

L’histoire et le développement de la médecine sociale telle qu’on l’a vu avec Foucault et les autres historiens de la question laisse entrevoir une profonde mutation qui caractéristique de ce que Pierangelo Di Vittorio nomme de « malaise de la médecine »157 en dénonçant l’arrogance de la médecine et la mise entre parenthèse du malade dans les dispositifs de santé publique aujourd’hui. À partir de l’exemple d’une série télévisée mettant en relief l’irruption du Dr House dans l’imaginaire médical, Pierangelo Di Vittorio pose un diagnostic sur le malaise de la fonction thérapeutique de la médecine à cheval entre les soins et les dispositifs biopolitiques. Plus explicitement, cette série télévisée met en lumière une manière d’être dans le monde dominée par la pensée néolibérale où le sujet tend à s’identifier

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Cours du 17 mars 1976, p. 213.

154Ibid., p. 223. 155

Guillaume le Blanc, La pensée Foucault, Ellipses, Paris, 2006, p. 158.

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Ibid.

157 Dans cet article, l’auteur, citant Canguilhem, déplore en effet que la figure du médecin « thérapeute à

360° » (le généraliste), capable d’accueillir la demande du patient singulier ait été supplantée par celle du spécialiste « ingénieur d’un organisme décomposé comme une machinerie »(Pierangelo Di Vittorio, op.cit., p. 11.)

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avec des fonctions de type bio-économique. En réaction contre cette image à la fois messianique et mécaniste de la santé, Pierangelo Di Vittorio actualise la réflexion critique sur le biopouvoir, les tendances liberticides et totalitaires de la médecine, sa culture de la performance. En réalité, la médecine sociale symbolise une mutation apparente d’une médecine formulée à la demande du patient à une médecine pour la santé qui est le propre de la santé publique ou de la biopolitique. Ceci explique pourquoi chez Foucault, les réformes sanitaires au milieu du XIXe siècle résulte de deux déplacements illégitimes : d’une part il y a eu une substitution de la santé à la maladie ; et d’autre par une substitution d’une médecine coercitive à une médecine conçue comme réponse à la demande formulée par le patient. Ici, Emmanuel Renault158 remarque, en prenant le soin de nuancer sa position, qu’en tant qu’approche sociologique de la norme de santé, la médecine sociale serait l’un des vecteurs principaux d’un mouvement de médicalisation sans limite du social. En tant que théorie médicale de la santé, et non plus de la maladie, elle serait l’indice du passage d’une société des lois à une société des normes. Même si Emmanuel Renault remet en question cette interprétation foucaldienne de la médecine sociale en raison de la définition normative qu’elle présuppose, il faut remarquer cependant que Foucault interprète le développement de l’hygiène publique et de la médecine sociale du point de vue de la santé publique du XXe siècle comme celui d’une branche du savoir médical caractérisé par son approche préventive et sociologique de la santé, associée de surcroît à des techniques administratives. Même si là encore il faut préciser que ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que cette conception de la santé publique a émergé et trouvé son institutionnalisation médicale et administrative159.

Quoiqu’il en soit, il importe de signaler ici la mutation de la médecine qui s’étend hors de son champ traditionnel délimité par la demande du malade, sa douleur, ses symptômes, son malaise, ce qui favorise l'intervention médicale et circonscrit son champ d'activité déterminé par un ensemble d'objets dénommés maladies et qui confèrent un statut médical à la demande. C'est ainsi que se définit le domaine propre de la médecine. Il s’agit d’un « nouveau fonctionnement économique et politique de la médecine »160 qui résulte de la médecine et de la santé publique impliquant son étatisation, sa socialisation dont le plan Beveridge donne une idée générale. Foucault va distinguer quatre grands processus qui caractérisent cette médecine : premièrement on a l’apparition d'une autorité médicale qui n'est pas simplement celle de

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Emmanuel Renault, « Biopolitique, médecine sociale et critique du libéralisme », Multitudes 2008/3, n°34.

159 À ce propos, voir E. Fee, D. Porter, « Public Health, Preventive Medecine and Professionnalisation : England

and America in the 19th Century », in A. Wear, Medecinein Society. Historical Essays, Cambridge University Press, 1992. Voir aussi G. Rosen, From Medical Police to Social Medicine, Science History Publications, 1974.

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l'autorité du savoir, de la personne érudite qui sait se référer aux bons auteurs. L'autorité médicale est une autorité sociale qui peut prendre des décisions concernant une ville, un quartier, une institution ou un règlement161. Deuxièmement on note l’apparition d'un champ d'intervention de la médecine distinct de la maladie : l'air, l'eau, les constructions, les terrains, les égouts, etc.162. Troisièmement, il y a l’introduction d'un appareil de médicalisation collective, à savoir l'hôpital163. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant dans le cadre de l’analyse des politiques de l’espace qui correspondent à la mise en place des dispositifs de santé publique. Enfin, Foucault note l’introduction de mécanismes d'administration médicale : registre de données, établissement et comparaison de statistiques, etc.164. Par conséquent, la médecine se consacre à d'autres domaines qui ne sont pas les maladies et qui ne sont donc pas régis par la demande du patient ; Foucault explique qu’il s’agit en fait d’un vieux phénomène qui fait partie des caractéristiques fondamentales de la médecine moderne relevant des champs d’application de la médecine sociale.