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La mise en place de la « noso-politique » : nature et fonction

Dans son article sur « La politique de la santé au XVIIIe siècle » Foucault analyse l’histoire de la santé publique en se référant notamment au texte de G. Rosen intitulé A

History of Public Health publié en 1958. Ce texte lui permet d’analyser de manière plus

précise la mise en place progressive de la grande médecine du XIXe siècle qui, selon lui, ne peut pas être dissociée de l'organisation d'une politique de la santé et d'une prise en considération des maladies comme problème politique et économique, qui se pose aux collectivités et qu'elles doivent essayer de résoudre au niveau de leurs décisions d'ensemble. C’est précisément à ce niveau qu’il fait intervenir la problématique de la noso-politique qui englobe et enveloppe la mise en place de cette grande médecine qui est branchée à une forme de management médico-politique relevant d’ « une stratégie globale » :« Il n'y a sans doute pas de société qui ne mette en œuvre une certaine « noso- politique.»181 Qu’est-ce donc à dire ? En réalité, chez Foucault, la problématisation de la noso-politique telle qu’elle se pose au XVIIIe siècle ne traduit l'émergence, en des points multiples du corps social, de la santé et de la maladie comme problèmes qui demandent d'une manière ou d'une autre une prise en charge collective. « La noso-politique, plus que le résultat d'une initiative verticale, apparaît au XVIIIe siècle comme un problème à origines et à directions multiples : la santé de tous comme urgence pour tous ; l'état de

178Guillaume le Blanc, La pensée Foucault, Ellipses, Paris, 2006, p. 94. 179

Michel Foucault, « Il faut défendre la société », op.cit., p. 35. Se reporter également à la généalogie du pouvoir de discipline opérée en 1973, Le pouvoir psychiatrique, op.cit., Cours du 21 novembre 1973, p. 41 et suivantes.

180Ibid., p. 33. 181

Michel Foucault, « La politique de la santé au XVIIIe siècle », Les Machines à guérir, Aux origines de l'hôpital

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santé d'une population comme objectif général.»182 À partir de là, il apparaît clairement que la problématique de la noso-politique a été un préalable indispensable à la mise en place des dispositifs de santé publique actuels en ce qu’elle pose les grands enjeux d’une stratégie globale de l’organisation de la santé de la population en tant que priorité et objectif général des États modernes. On note à cet effet que le trait le plus marquant de cette « noso-politique » dont le souci traverse la société française - et européenne - au XVIIIe siècle est sans doute le déplacement des problèmes de santé par rapport aux techniques de l'assistance, car « jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les prises en charge collectives de la maladie se faisaient à travers l'assistance aux pauvres »183. La grande transformation du XVIIIe opérée par cette nouvelle politique de santé implique donc le démantèlement de l’assistance médicale prise en charge surtout par les fondations de charité (religieuses ou laïques), une assistance qui est surtout destinée aux pauvres. Or, de plus en plus d’économistes et d’administrateurs pensent qu’on y entretient des oisifs hors des circuits de production. À partir de là, on va donc poser un autre regard sur cette assistance184.

Finalement, à travers cette problématique de la noso-politique, Foucault montre comment la connaissance d’une politique de santé qui se met en place au XVIIIe siècle en Europe (surtout France et Angleterre) est indispensable à la compréhension du fonctionnement moderne des hôpitaux qui deviennent selon son expression «des machines à guérir ». On pourrait ainsi dire qu’il d’agit d’un rapport historique du glissement vers une médecine plus contrôlée et plus performante, vers l’organisation médicale en liaison avec l’administration et l’économie. Foucault nous montre que ce qui sous-tend cette « noso-politique » réfléchie du XVIIIe siècle est beaucoup moins un souci de bien-être des populations qu’un contrôle de celles-ci en vue de l’ordre et de leur rentabilité économique. Ainsi, l’organisation de la santé pour la bonne santé des individus est entièrement liée à la fonction de l’organisation de l’enrichissement (de plus en plus importante pour le pouvoir confronté à une industrialisation – manufactures – montante). La santé devient un impératif du pouvoir politique qui l’imposera aussi comme devoir de chacun. Cette politique de santé du va donc s’occuper de d’abord de l’enfance et la famille comme lieu de médicalisation, ensuite de l’hygiène et du

182Ibid., p. 14.

183Michel Foucault, « La politique de la santé au XVIIIe siècle », Les Machines à guérir, Aux origines de l'hôpital

moderne ; dossiers et documents, Paris, Institut de l'environnement, 1976, p. 15.

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fonctionnement de la médecine comme instance du contrôle social et enfin de la structure des hôpitaux (nous y reviendrons spécifiquement dans le chapitre suivant).

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CHAPITRE IV

LA POLITIQUE DE L’ESPACE : LA SPATIALISATION COMME

INSTRUMENT DE LA SANTE PUBLIQUE

Dans le précédent chapitre, nous avons vu les grandes transformations historiques de la médecine sociale qui ont abouti finalement à penser à une articulation entre ces transformations et les enjeux actuels de la santé publique. Mais il y a eu aussi toute une problématique qui est née avec cette transformation de la médecine sociale et qui nous semble particulièrement intéressante d’aborder ici, dans la mesure où elle s’insère dans le cadre des dispositifs des politiques de santé publique aujourd’hui : il s’agit ainsi de la politique des espaces. Il ne fait aucun doute qu’il y a eu toute une politique de l’espace qui a surgi avec le phénomène historique de la médicalisation et qui avait permis d’éradiquer certaines épidémies, et de juguler les pestes qui sévissaient. D’une certaine manière, Foucault pourrait apparaître comme un « penseur de l’espace » comme le souligne déjà François Boullant185, car il établit tout un continuum entre l’histoire de l’espace et l’histoire du pouvoir :

Il y aurait à écrire toute une histoire des espaces qui serait en même temps une histoire des pouvoirs - depuis les grandes stratégies de la géopolitique jusqu’aux petites tactiques de l’habitat, de l’architecture institutionnelle, de la salle de classe ou de l’organisation hospitalière, en passant par les implantations économico-politiques. Il est surprenant de voir combien le problème des espaces a mis longtemps à apparaître comme problème historico-politique.186

Ce chapitre entend brancher cette problématique de la spatialisation à l’émergence des politiques de santé publique à partir du développement de la médecine sociale. Il s’agira notamment de montrer que la problématique de la santé publique telle qu’elle se pose aujourd’hui s’appuie sur ce phénomène de spatialisation qui part de l’institution hospitalière à l’environnement quotidien de vie de populations telles que les milieux urbains. On verra ainsi que qu’en tant que stratégie biopolitique, la médecine sociale s’arc-boute sur les espaces comme champ d’application et comme mise en forme.

185

François Boullant, « Michel Foucault, Penseur de l’espace », Titre du Séminaire développé par François Boullant dans le cadre des travaux du Laboratoire « Savoirs, Textes, Langage » du 15 janvier 2003, Université de Lille 3 : http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/Macherey20022003/Boullant.html

186

Michel Foucault, «L'œil du pouvoir», entretien avec J.-P. Barou et M. Perrot, in Bentham (J.), Le Panoptique, Paris, Belfond, 1977, p. 11 : Texte n°195 contenu dans Dits et écrits, Tome III.

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