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Dans un premier temps nous étudierons la diversité du personnel. Quelles sont ses différentes composantes, ses caractéristiques ? Comment est structurée la hiérarchie ? Qui sont les personnages clés et pourquoi ? Quelles sont les problématiques dominantes ?

Dans un second temps, nous dégagerons le profil de la population internée : caractéristiques socioprofessionnelles, origines géographiques et « pathologies » dominantes.

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1. Le personnel

En 1910, le personnel de l’asile comprend 162 personnes265. Cette population très hétérogène compose une véritable mosaïque sociale. En reprenant la nomenclature de l’époque, on peut isoler d’une part le personnel dit « supérieur » composé du « cercle médical » et de l’administration et d’autre part, le « personnel secondaire » avec les surveillants et les ouvriers, auxquels il faut ajouter les sœurs de la congrégation Sainte-Marie de la Forêt.

1.1. Le personnel « supérieur »

Le personnel supérieur est en premier lieu constitué du « cercle médical », c'est-à-dire le médecin en chef, directeur, le médecin-adjoint et les internes. Comment la direction est-elle organisée entre le médecin-directeur et la commission de surveillance? Qui compose la commission de surveillance, quel est son rôle ? En 1910, le Dr Baruk devient médecin en chef directeur. Quel est son parcours, sa personnalité ? Qui sont les médecins adjoints, les internes, quels sont leur rôle, restent-ils longtemps dans l’établissement ?

Outre le cercle médical, le personnel supérieur comprend le receveur, l’économe, le secrétaire de direction, l’aumônier et les surveillants chef. Quelles sont leurs fonctions ?

a. Le médecin en chef, directeur

Une direction bicéphale

A la tête de l’établissement se trouve le médecin-chef directeur. Celui-ci, comme le médecin-adjoint qui l’assiste dans la fonction médicale266, est nommé par le ministre de l’Intérieur sur une liste de trois candidats présentés par le préfet. Ils peuvent être révoqués par le ministre sur le rapport du préfet267. Le médecin-chef directeur dirige l’asile sous l’autorité du préfet de Maine-et-Loire et sous la surveillance d’une commission éponyme268. Celle-ci est constituée de cinq membres nommés par le préfet et renouvelée par cinquième chaque année. Les membres peuvent être aussi révoqués par le ministre de l’Intérieur sur rapport du préfet269. En janvier de chaque année, après renouvellement, la commission

265Centre psychothérapique départemental de Sainte-Gemmes-Sur-Loire, 1843-1973. De la commission de surveillance au conseil d’administration de l’asile d’aliénés au Centre Psychothérapique, 130 années d’assistance psychiatrique en Maine-et-Loire, 1973, non paginé.

266 Le 3 janvier 1922, par décret, la fonction de médecin-adjoint est supprimée au profit de celle de médecin-chef. Avec ce décret les médecins-chefs ont le même grade et classe de traitement que les médecins-directeurs.

267 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 3.

268 AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 4. 269 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 2.

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procède à la nomination de son président et de son secrétaire, elle désigne aussi l’administrateur provisoire des biens des aliénés qui sont pour la plupart considérés comme incapables270. Ces représentants de la préfecture au sein de l’asile peuvent être membres de la préfecture, du conseil général ou des hommes de loi. Entre 1910 et 1918, le président est un conseiller général271, les membres sont trois vice-présidents de la préfecture, un conseiller de préfecture, un ancien avoué, un avoué honoraire – maire de Savennières - et trois conseillers généraux dont un est adjoint au maire d’Angers272. La commission est chargée de la surveillance de l’établissement, elle donne son avis sur le régime intérieur, les budgets, les comptes ainsi que les actes relatifs à l’administration : gestion des biens, projets de travaux, procès à intenter ou à soutenir, emprunts, acquisitions, emplois de capitaux, acceptations de legs et donations, pensions à accorder s’il y a lieu, etc.273. Dans la première séance de l’année, la commission de surveillance fixe le jour et l’heure des réunions mensuelles obligatoires. Les réunions se tiennent dans l’asile. Elles peuvent éventuellement avoir lieu dans une salle de la préfecture mais pas plus de trois fois consécutives274. Le médecin directeur et le médecin adjoint y assistent mais leur voix n’est que consultative275. Les délibérations de la commission de surveillance doivent être transcrites dans un registre signé par les membres présents et confié à la garde du directeur 276.

Dans l’esprit du législateur, cette cotutelle a pour objet de se prémunir contre toutes formes de dérives autoritaires277. Si l’ordonnance royale du 18 décembre 1839 élabore les pouvoirs de la commission de surveillance, du médecin-chef directeur et du médecin-adjoint, c’est le modèle de règlement intérieur du 20 mars 1857 qui en structure les moindres détails278. Selon Jacques Postel, la loi qui était relativement souple jusqu’alors se rigidifie sous l’ « Empire autoritaire » (1852-1860)279.

Le directeur est chargé de l’administration intérieure de l’établissement, de la gestion de ses biens et revenus280 ; mais aussi de l’admission et de la sortie des aliénés, et de la police de l’établissement281. Il nomme les préposés de tous les services de l’établissement, qu’il peut aussi révoquer282 : surveillants-chef, infirmiers/infirmières. Le médecin chef a la responsabilité du service médical. Il est tenu de remplir les obligations imposées par la loi de 1838 et notamment de délivrer les certificats relatifs à sa fonction283.

270 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 8.

271Centre psychothérapique départemental de Sainte-Gemmes-Sur-Loire, 1843-1973, op. cit., p. 17. 272Ibid., p. 19.

273 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 4.

274 AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 5. 275 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 5.

276Ibid., art. 10.

277Loi de 1838. Discussions des députés et des pairs, T1, Paris, Analectes, 1972, p. 30-31.

278 Modèle de règlement intérieur du 20 mars 1857. Asiles publics d’aliénés règlement du service intérieur. 279 Jacques Postel et Claude Quétel (dir.), Nouvelle histoire de la psychiatrie, Paris, Dunod, 2004, p. 179. 280 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 11.

281Ibid., art. 7. 282Ibid., art. 6. 283Ibid., art. 9.

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Le Dr Jacques Baruk

Photographie n° 2 : Le Dr Baruk avec ses surveillants chefs et des infirmiers (non datée)

Sources : Musée du CESAME. (Avec l’aimable autorisation de Madame Le Messager)

En 1910, le Dr Jacques Baruk remplace le Dr Dubourdieu (1906-1910). Celui-ci est nommé à Bourges284. A 38 ans, le Dr Baruk devient le septième médecin directeur de l’asile. Son fils, le Pr Henri Baruk (1897-1999) nous livre quelques éléments biographiques285 : Jacques Baruk est né le 28 février 1872 à Alexandrie en Egypte dans une famille juive « nombreuse et pauvre286 ». Après son baccalauréat, disposant de la nationalité française, il s’embarque pour Paris où il vit en donnant des cours d’hébreu et d’arabe. Il réussit le concours des bourses et devient alors l’élève « des plus grands psychiatres287 ». Après avoir été interne à l’hôpital de Versailles, il est interne aux asiles de la Seine288. Il sera, entre autre, interne à Sainte-Anne auprès du Dr Valentin Magnan289. En 1894, il publie sa thèse intitulée : Les Hallucinations dans la paralysie générale290, un sujet classique pour l’époque291. En 1896, il est nommé médecin du cadre des asiles par concours. De 1896 à 1899, il est médecin-adjoint à l’asile de Lesvellec (Morbihan) puis de 1899 à 1906 à Sainte-Gemmes-sur-Loire sous la direction du Dr Pettrucci (1880-1906). En 1906 il est nommé médecin-directeur de l’asile d’aliénés d’Alençon (Orne). Il est de retour à l’asile de Saint-Gemmes en août 1910 comme médecin directeur292. Le Dr Baruk apparaît dans la mémoire collective comme une personne charismatique qui incarne l’institution au sens étymologique : on va « chez Baruk ». Pour Michel Foucault, « le médecin [de l’asile] était un corps293».

284 AD49, 1N, Procès-verbaux des délibérations du conseil général, « Réinstallation de la buanderie, Eclairage électrique, Transport de force motrice », séance du 29 août 1910, p. 211.

285 Nous regrettons de ne pas avoir eu accès au dossier administratif du Dr Baruk conservé au CESAME qui aurait pu nous donner des informations complémentaires sur sa formation et son parcours professionnel.

286 Henri Baruk, Des Hommes comme nous. Mémoires d’un neuropsychiatre », Paris, Laffont, 1976, p. 12. 287Ibid., p. 12-13.

288Jacques Baruk, Des hallucinations dans la paralysie générale, Paris, Steinheil, 1894, 99 p. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76877n 289 Edward Shorter, A historical Dictionary of Psychiatry, Oxford University Press, p. 165.

290 Jacques Baruk, Des hallucinations dans la paralysie générale, op. cit.

291 Arnaud Terrisse, « La psychiatrie dans le miroir de la thèse : l’évolution des thèses de médecine psychiatrique française du début du XVIIe siècle à 1934 d’après le fichier des thèses de médecine de la Bibliothèque Nationale », Histoire, économie & société, vol. 3, n° 2, 1984, p. 264.

292 AC, K 14, Commission de surveillance, médecins-chefs, directeurs, receveur, économe, aumôniers, commis aux écritures, internes, religieuses, surveillants, infirmiers et employés des services généraux. 1879-1972.

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Le médecin adjoint et les internes

Le médecin en chef directeur a sous son autorité le médecin adjoint, qui le seconde dans le service médical294. Ils sont aidés d’élèves internes nommés par le préfet sur proposition du médecin directeur295. Les internes doivent être âgés d’au moins 21 ans296. Au nombre de deux, un par division (femmes et hommes), ils secondent le médecin chef et le médecin adjoint297, et restent théoriquement en place 3 ans298. Entre 1909 et 1911, 6 internes ont été recrutés, des hommes, âgés en moyenne de 23 ans, tous étudiants en médecine. La majorité démissionne dans les deux premières années299.

b. L’économe et le receveur

Parmi les « personnels supérieurs » il y a l’économe. En 1910, la fonction est exercée par Aristide Le Boulh. Il est né à Lorient (Morbihan) en 1850300. Sa carrière montre, au sein de l’asile, une possibilité de mobilité et même d’ascension sociale. Entré en 1878 à 28 ans comme infirmier, il devient sous-économe en 1891 puis sous-économe en 1894. Il prend sa retraite en 1910301. Il est chargé des services économiques de l’établissement. Son rôle est d’assurer la réception, la conservation, et la distribution des denrées et autres objets de consommation302. Il consigne la comptabilité « des matières » dans le « Grand-Livre » qu’il doit présenter chaque mois au directeur303.

Le receveur, quant à lui, a pour fonction de percevoir les revenus du paiement de toutes les dépenses304. En 1910, le poste est assuré par Alfred Pinard. Il est né aux Ponts-de-Cé, tout près d’Angers. Ancien commis de perception, entré comme commis aux écritures de la direction en 1891, il est secrétaire de la direction de 1897 à 1907 puis receveur. Il est nommé économe au départ d’Aristide Le Boulh305.

294 AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 67 et 68. 295Ibid., art. 53.

296Ibid., art. 53. 297Ibid., art. 76. 298Ibid., art. 77.

299 AD49, 17 HS K3, Registre du personnel et gens de service 1887-1912. 300Id.

301Id.

302AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 33. 303Ibid., art. 45 et 46.

304Ibid., art. 25.

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c. Les employés et préposés à la direction

Parmi les postes clés, on trouve le secrétaire de la direction. Dans un rapport en 1911, le Dr Baruk demande une augmentation pour récompenser le zèle de « son collaborateur », Léon Pinard306. Né aux Ponts-de-Cé en 1880 (il y a sans doute un lien de famille entre le secrétaire et le receveur), il était instituteur dans sa commune de naissance. En 1907, à 27 ans, il devient secrétaire de la direction307. Celui-ci apparaît comme « le bras droit » du directeur. Ainsi pour justifier cette augmentation, le Dr Baruk, explique que pour réaliser des guérisons, le médecin doit exercer son action « à tous les instants […] sur la sphère psychique et somatique du malade », et, pour cela, il doit disposer de « tous les rouages de l’établissement308 ». Insistant sur la double fonction de médecin-chef et de directeur qu’il qualifie de « dogme » dans les asiles il poursuit : « s’il est clair que le médecin en chef doit être directeur, il ne doit pas s’égarer dans les petits détails administratifs, perdre son temps à des écritures absorbantes. A agir ainsi, l’administrateur aurait tôt fait d’étouffer en lui le médecin et la réunion des fonctions, établie dans l’intérêt du malades, finirait vite par se retourner contre lui. Pour qu’un tel résultat ne puisse pas se produire, il faut que le directeur médecin sente auprès de lui un collaborateur intelligent et dévoué sur lequel il puisse s’appuyer pour toute la menue besogne administrative, se contentant de tenir le gouvernail, de diriger dans le vrai sens du mot. Ce collaborateur ne peut être que le secrétaire dont le rôle apparait ainsi égal et presque supérieur à ceux de l’économe et du receveur qui agissent chacun dans un domaine plus limité309. » Sur l’insistance du Dr Baruk, le secrétaire sera augmenté quelques mois plus tard310.

Le personnel administratif est complété par deux commis : un pour la direction et un pour l’économat. En 1910, Eugène Lavaix, né en Charente inférieure en 1869, est commis aux écritures de l’économat depuis 1902. Ancien infirmier du Bon Sauveur de Caen, il était arrivé à ce poste en 1899311. Le commis aux écritures, un angevin, est en place depuis 1907, c’est un ancien comptable312.

306 AD49, 1N, Conseil général, 1911, Rapport du directeur médecin-chef, « Proposition d’augmentation du traitement du secrétaire de direction», le 13 mars 1911, p. 117.

307 AD49, 17 HS K3, Registre du personnel et gens de service 1887-1912

308 AD49, 1N, Conseil général, 1911, Rapport du directeur médecin-chef, « Proposition d’augmentation du traitement du secrétaire de direction», le 13 mars 1911, p. 117.

309Id.

310AD49, 1N, Procès verbaux des délibérations du conseil général « Augmentation du traitement du secrétaire et du commis de direction », séance du 31 août 1911, p. 405.

311Id.

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d. L’aumônier

L’aumônier de l’asile, de part son rôle spirituel, est aussi un personnage clé. Celui-ci est nommé par l’Evêque d’Angers sur une liste de trois candidats désignés par le préfet313. Il est chargé du service religieux au sein de l’asile (messe, secours spirituel, etc.)314. Depuis 1876, le poste est tenu par l’abbé Pierre Rompillon (il restera jusqu’à son décès en 1923)315.

e. Le surveillant en chef

Dans les services asilaires, comme dans la prison, le surveillant en chef est un personnage central. Celui des hommes est nommé parmi les chefs de quartiers. Chez les femmes, la sœur supérieure remplit la fonction de surveillante316. Le surveillant et la surveillante sont chargés de maintenir le bon ordre et la discipline dans leurs sections317.

En 1910, Henri Lehébel est surveillant chef. Il est né en 1870 à Vigneux (Loire-Inférieure). Entré comme infirmier en janvier 1899, puis nommé en cours d’année comme commis aux écritures de la direction, il était devenu surveillant-chef en 1906318. En 1911, au départ d’Eugène Lavaix, il devient commis aux écritures de l’économat319. Il est remplacé par un ancien ferblantier de l’établissement320. Il est assisté d’un sous surveillant Bohelay, né à Plumelin (Morbihan) en 1880. Ancien infirmier, il est en place depuis 1909.

Depuis 1897, la mère supérieure est assistée d’une surveillante spéciale pour les pensionnaires, une « laïque » célibataire, née à Paris en 1856321. A l’exception des internes, tout le personnel supérieur est composé de fonctionnaires322. A côté du personnel supérieur se trouve un personnel qualifié de subalterne.

313 AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 97. 314Id.

315 AD49, 17 HS K3, Registre du personnel et gens de service 1887-1912

316 AC, J 5, Règlement du service intérieur de l’asile de Sainte-Gemmes-sur-Loire du 3 mars 1858, art. 88. 317Ibid., art. 91.

318 AD49, 17 HS K3, Registre du personnel et gens de service 1887-1912. 319Id.

320Id.

321Id.

322 AC, L 15, Procès-verbaux de délibérations de la commission de surveillance, « Constitution d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires de l’asile », séance du 21 juillet 1925, p. non paginé.

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1.2. Le personnel « subalterne »

a. Le personnel de surveillance

La stricte sexuation des quartiers étant de mise, nous observerons dans un premier temps les infirmiers du quartier des hommes, puis le quartier des femmes323. Quel est l’effectif ? Quels sont les critères de recrutements, le statut ? Quelles sont les conditions de vie du personnel ? Y-a-t-il des problématiques spécifiques ?

Le quartier des hommes

- Effectifs, modalités de recrutement, statuts

Le quartier des hommes compte 10 chefs de quartier et 32 infirmiers. Ce nombre ne peut être augmenté qu’après délibération de la commission de surveillance et approbation par le préfet (même chose chez les femmes). Toutefois ce numerus clausus peut être dépassé, en cas « d’urgence », en recrutant des infirmiers auxiliaires324.

Les modalités d’entrée sont très simples. Pour être admis dans le personnel de surveillance il faut être âgé au moins de 20 ans et de moins de 35 ans, justifier d’un certificat de bonnes vie et mœurs et n’avoir subi aucune condamnation325. Lors de l’embauche, le directeur exige seulement un extrait de casier judiciaire326. Ce personnel « internalisé » est logé et nourri au sein de l’asile comme la 3e classe des pensionnaires, mais aussi habillé et blanchi327.

Les chefs de quartiers et les veilleurs de nuit sont recrutés parmi les infirmiers sachant lire, écrire et compter328. C’est parmi les chefs de quartier que sont choisis le plus souvent les surveillants-chef et sous-surveillants329. Les chefs des quartiers difficiles, ou plus « médicalisés » (infirmerie, gâteux et agités), sont mieux payés. En 1909, le Dr Dubourdieu, médecin-directeur, afin de leur donner plus d’autorité, les fait dîner à part et munit leur uniforme d’un galon doré et d’un insigne également doré au képi. Le galon et l’insigne sont argentés pour les simples gardiens330.

323 Ordonnance royale du 18 décembre 1839, art. 34.

324 AD49, 1N, Procès-verbaux des délibérations du conseil général, séance du 27 août 1909, p. 371. 325Ibid.

326 AC, L 43, Inspections 1878-1960, Commentaires du Dr Baruk sur le rapport de l’inspecteur général Brunot pour l’année 1910, non paginé.

327 AD49, 1N, Procès-verbaux des délibérations du conseil général, séance du 27 août 1909, p. 370. 328Ibid., p. 371.

329Id.

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- Une vie difficile

Lors son arrivée, le Dr Baruk attire l’attention du préfet sur la condition des infirmiers et sur le hiatus entre ce que l’on exige d’eux et leurs conditions de travail : « Vivant continuellement avec les aliénés, les infirmiers doivent avoir pour eux la plus grande douceur. Les injures qu’ils peuvent subir, les violences qu’ils peuvent endurer, ne doivent pas troubler leur sang-froid, ni les faire se départir du calme et de la bonté qui caractérisent leur rapport avec les malades. En outre de ces qualités morales, ils doivent faire preuve de qualités intellectuelles suffisantes, leur permettant d’observer leurs malades, noter leurs faits et gestes, se rendre compte des idées délirantes qu’ils expriment et des troubles sensoriels qu’ils éprouvent331. »

A défaut d’une formation spécifique, pour favoriser leur « éducation », le Dr Baruk pratique des causeries familières au lit du malade ; pour développer leur esprit d’observation et d’analyse, il leur fait faire des rapports journaliers sur les faits pathologiques présentés par les malades332.

- Le problème du recrutement

Entre avril 1909 et avril 1910, 72 infirmiers ont été recrutés333. Cet échantillon révèle plusieurs particularités. Premièrement : le recrutement local est faible, l’asile n’est pas un lieu attractif334. Si l’on prend le lieu de naissance, sur 71 provenances connues, 9 personnes seulement, soit 13 %, proviennent du Maine-et-Loire. On observe par contre une forte présence des infirmiers provenant du Morbihan avec 31 % des arrivées soit 22 personnes335. Depuis le milieu du XIXe siècle, sous la pression démographique et à la faveur du chemin de fer qui désenclave la Bretagne, les Bretons immigrent336. Nombreux sont ceux qui intègrent les ardoisières de Trélazé337. Certains infirmiers y sont passés avant leur arrivée à l’asile338. Deuxièmement, les infirmiers sont tous célibataires339. Ils se marient par la suite avec des femmes qui travaillent dans l’établissement340. Tertio, la moyenne d’âge est de 33 ans et l’écart va de 17 à 60 ans341. Cet âge moyen élevé mais aussi l’écart montre une grande tolérance dans le

331 AC, L 36 bis, Compte administratif et rapport médical, 1910, p. 11-12.