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LE PONT DU GOTTERON

Dans le document BANQUE D'ÉPARGNE ET DE PRÊTS (Page 109-116)

Le vendredi 9 mai 1919 la population de Fribourg était mise en émoi par la nouvelle d'un grave accident qui s'était produit vers 4 heures de l'après-midi. Le pont du Gottéron venait de se rompre au passage d'un camion automobile et la lourde machine et son chauffeur avaient été précipités dans l'abîme d'une hauteur de 75 mètres.

Des récits détaillés de cette catastrophe^ qui aurait pu être bien plus grave encore, ont été publiés par la presse locale dès le lendemain de l'événement. Nous en reproduisons les passages les plus caractéristi:iues,

La catastrophe, dit la Liberté, s'est produite à 3 h. 55 selon les dires du gendarme de service à l'extrémité du pont et qui, d'ailleurs, n'avait qu'entendu le fracas de la rupture du tablier. Il se trouvait alors, derrière sa maison. Sur le pont, il n'y avait semble-t-il, personne d'autre que le camion fatal. Les ouvriers des ponts et chaussées qui travaillaient à la réfection du tablier avaient quitté leur ouvrage pour prendre leur gotiter. Le contre-maître de l'équipe, allait reprendre son travail, quand il vit, tremblant de stupeur, le pont béant sur l'abîme et l'arrière d'un camion qui basculait dans le vide.

Voici, d'après le même journal, comment la chose se serait passée : « Un des puissants camions de M. Blaser ingénieur, chargé de billes de bois, revenait de la Rive droite. Il était conduit par un chauffeur du nom d'Alfred Fleurdelys, Vaudois ^. Il marchait à une allure qui devait être modérée, car le chauffeur était prudent et il avait

^ Alfred-Henri Fleurdelys, né le 10 août 1883, originaire 'de Prilly (Vaud), mécanicien.

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dû voir à l'aller que l'on réparait le pont. La réfection se faisait, sur le côté gauche du tablier; l'autre côté était libre. Le conducteur s'engagea du ce côté. Se rendit-il compte que la charge du camion était excessive ? On est tenté de le croire et de supposer qu'il aura accéléré la vitesse pour franchir le passage. Mais le poids énorme du camion portant sur un des côtés se trouva dépasser la force de résistance des petits câbles verticaux auxquels le tablier était suspendu. Les grands câbles suspendus tinrent bon; mais les câbles verticaux se défirent à leur extrémité inférieure à l'endroit de l'anneau qui retenait les poutrelles supportant le tablier.

^ On ne peut songer sans horreur à la seconde tragique où le malheureux chauffeur sentit le pont céder sous lui et où il aperçut, dans un craquement formidable, l'abîme s'ouvrir devant ses yeux.

Toute la partie centrale du pont, sur une longueur d'une trentaine de mètres, s'effondra dans le vide, avec le pesant camion et son infortuné conducteur. L'énorme véhicule vint s'enfoncer dans le sol au bas du versant droit de la vallée à cinq ou six mètres derrière la maison de M. Léon Brohy. Une avalanche de billes de sapin, de madriers et de planches s'abattit sur la toiture de cet immeuble, y faisant sur toute son étendue de béantes ouvertures. Tout autour c'était un enchevêtrement inex-tricable recouvrant le camion dont on ne distinguait que deux roues, une avant et une arrière, le moteur et quel-ques pièces tordues. Et sous cet amas gisait le chauffeur dont on apercevait le haut du corps seulement, le mal-heureux paraissant enterré jusqu'à la poitrine dans le sol.

Au dessus de ce tableau de désolation, le pont rompu par le milieu étendait dans le vide deux tronçons lamen-tables de tablier, auxquels pendaient par quelques câbles

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un lambeau du pktelage, retenu comme par miracle au dessus de l'abîme.

Nous avons dit en commençant que la catastrophe eut pu être bien plus grave si elle s'était produite à un autre moment. En effet, peu d'instants auparavant l'au-tobus de Planfayon venait de passer sans encombre, ainsi que le camion automobile de la papeterie de Marly et un autre camion, chargé de bois. Un des employés de la maison Blaser qui devait accompagner le chaufîeur était descendu à Bourguillon où il s'était arrêté. Quatre membres de la famille Brohy se trouvaient derrière la maison. Le camion et les pièces arrachées du pont sont tombées à quelques mètres de ces personnes dont aucune ne fut atteinte et il n'y avait personne dans l'intérieur de la maison au moment de la chute de tous ces matériaux.

Quelques minutes avant l'accident une école venait de passer en chantant. Les ouvriers du pont, comme nous l'avons dit, prenaient leur repas de 4 heures. C'est donc par un concours de circonstances providentiel que l'on n'a pas plus de morts à déplorer.

Comme un des très rares témoins de la catastrophe le fils Papaux, du Mouret, qui conduisait un char à deux chevaux, et qui attendait à l'entrée du pont que le camion ait passé. Il fut donc le spectateur terrifié de ce drame saisissant.

Un ouvrier de la scierie Brohy raconte ainsi l'événe-ment dont il a été le témoin :

Son attention fut attirée par le bruit insolite que produisait le roulement du camion sur le pont. Jamais ses oreilles habituées aux bruits du pont n'avaient perçu quelque chose de pareil. Il leva la tête et vit distincte-ment une, puis deux, puis trois poutrelles se détacher derrière un gros véhicule qui continuait d'avancer.

Tout— 13

-à-coup le pont pencha du côté aval et au même moment le camion fut lancé dans l'espace. Alors, le tablier du pont qui s'était infléchi d'une façon considérable pendant les quelques secondes précédentes, se redressa violemment et c'est à ce moment que le pont se rompit et que la partie centrale du tablier arrachée aux étriers des câbles vola en éclats, et tomba dans le vide.

Inutile de dire que la nouvelle de l'accident se ré-pandit aussitôt en ville, dans les environs et au delà.

Aussi de toutes parts accoururent dans la soirée et les jours suivants des processions de curieux et une armée de photographes amateurs et professionnels.

Les autorités furent sur les lieux à la première nou-velle de la catastrophe. Il fallait déblayer aussitôt la place.

M. Lehmann, inspecteur cantonal des ponts et chaussées qui était descendu cinq minutes après l'accident, s'adressa à l'Edilité communale, dont une équipe d'ouvriers tra-vaillait tout proche à la roule, du Stadtberg. Pendant ce temps M. le préfet de la Sarine organisait le service de police, car il importait que la foule fut tenue éloignée du lieu de l'accident. MM. les conseillers d'Etat Perrier,.

Chuard, Deschenaux et Musy, ainsi que MM. les docteurs Comte et Bonifazi étaient accourus sur le théâtre de la catastrophe.

Les ouvriers du Stadtberg se mirent aussitôt à l'œuvre.

M. l'ingénieur Lehmann dirigeait les travaux. Il fit évacuer tout d'abord les vingt-cinq à trente grosses billes qui-constituaient le chargement du camion et dont plusieurs s'étaient brisées dans leur chute. Puis les poutres et les planches du pont furent emportés à dos d'hommes devant la scierie. A six heures les ouvriers pouvaient s'attaquer au camion lui-même ; au moyen de crics, de leviers et de chaînes, la lourde machine fut lentement soulevée et

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Le camion fatal

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La maison Brohy après la catastrophe

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-déplacée. Et le corps du malheureux chauffeur fut dégagé.

Avec d'infinies précautions, les sauveteurs enlevèrent la terre, creusant le sol où le cadavre était à moitié enfoui.

Au bout d'une demi-heure d'efforts le malheureux con-ducteur était déterré. Le corps était presque coupé en deux à la hauteur de la poitrine. Le visage était intact ; mais les bras étaient rompus. Ces pauvres restes furent aussitôt mis dans un cercueil, tandis que tout le monde se découvrait, et un corbillard les transporta à la morgue.

Les travaux de déblaiement se poursuivirent jusqu'à 8 heures du soir et s'achevèrent le lendemain matin où l'on procéda au transport et au pesage des billes afin d'établir le poids du chargement et la tare du véhicule.

Le tout fat évalué à douze tonnes, alors que la charge maximum admise sur les ponts suspendus est de six tonnes.

Ces derniers détails sont empruntés au récit de la Liberté du lo mai 1919.

liCs e n f a n t s t e r r i b l e s

.Une honorable famille de notre ville avait fait venir d'un de nos magasins de confections un choix d'habillements pour jeunes garçons, choix comprenant les plus récentes créations. Au bout d'une semaine et plus, le chef de la maison ne voyant rien venir, dépêcha un de ses employés pour demander au client s'il avait trouvé dans la collection quelque chose à sa convenance.

— Veuillez attendre une minute, dit la cliente en question, je vais consulter mes gens, et elle s'esquive pour se concerter avec les siens sur la réponse à donner. Pendant ce temps, le jeune Ernest qui avait assisté à la mise en scène s'approche du commis et lui dit :

— Vous n'avez pas besoin d'attendre plus longtemps, reprenez tout votre bibelot, nous sommes maintenant tous photographiés.

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