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La politique du Second Empire en Orient

2. Les facteurs nationaux et internationaux dans les motivations françaises

2.5 La politique du Second Empire en Orient

La défense des intérêts commerciaux français dans la région par le gouvernement n'est pas faite dans un but purement économique. Ces intérêts servent de prétexte à une politique de prestige et d'influence dans la région, beaucoup plus importante pour le gouvernement impérial.

202 Akram Khater, « House to goddess of the house : Gender, class, and silk in 19th-century Mount Lebanon », International journal of Middle East studies, 28 (3), p.327.

203 Dominique Chevallier, « Lyon et la Syrie en 1919. Les bases d'une intervention », Revue Historique, 1960, p.

276-277.

204 AMAE, CCC Beyrouth, tome 7, Bentivoglio à Thouvenel, 1er août 1860. 205 Émerit, p. 224.

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Cette politique plus large du Second Empire envers le Proche-Orient est plus ou moins bien définie. Elle se situe entre une redéfinition de la région en fonction du principe des nationalités et de la mission civilisatrice de la France, et donc une remise en cause de l'intégrité de l'Empire ottoman, et la traditionnelle défense des intérêts supérieurs de la France en Orient206. Sa définition de l’Orient et ses objectifs restent peu définis et imprécis. Elle est aussi l'affaire de bien peu de gens : quelques diplomates, hommes politiques et journalistes207.

Pourtant, Napoléon III, héritier de la gloire orientale de son oncle, semble avoir été prêt à entreprendre une grande politique méditerranéenne208 et le « seul homme d’État français à avoir envisagé à l’égard du monde arabe et musulman, une politique d’ensemble et d’avenir fondé sur des principes simples : nécessaire entente franco-britannique; amitié des États musulmans; choix d’une présence économique plus que militaire, grâce au capitalisme en pleine expansion209. »

Après avoir soutenu pendant les premières années de son règne les autorités ottomanes afin d'éviter le retour des affrontements en Syrie, la diplomatie de Napoléon III réalise, suite aux massacres de 1860, l’échec de cette politique et la nécessité de modifier sa position par rapport aux chrétiens210. Des puissances d’Europe, la France impériale est la première à imaginer un remodelage en profondeur de la région. « Plusieurs projets ont ainsi vu le jour, tous marqués par une grande défiance à l’égard du pouvoir ottoman211. » Nombre de projets prévoyaient une réorganisation de la Syrie tout entière, et non de la seule région libanaise, comme cela était prévu par l’accord signé en août 1860 entre les cinq puissances et la Porte concernant l’expédition. Les deux régions étaient souvent considérées à tort comme formant un tout fonctionnel212.

C’est le cas du projet de création d’un royaume arabe dirigé par l’émir algérien Abd el- Kader. Au moment où débute l’expédition en Syrie, l’Empereur décide d’adopter un programme visant à consolider la domination française en Algérie en la rendant tolérable pour les

206 Arboit, p. 59. 207 Ibid., p. 67.

208 Idée de faire de la Méditerranée un « lac français » évoquée en 1852 dans un discours à Marseille, ibid.p. 64. 209 Frémeaux, p. 89.

210 Arboit, p. 177-184; AMAE, CP Turquie, vol. 345, Lavalette à Thouvenel, 18 juillet 1860. 211 Bouyrat, Devoir d'intervenir ? : l'intervention humanitaire de la France au Liban, 1860, p. 217. 212 Ibid., p. 217.

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musulmans. L’idée de créer un vaste royaume arabe ne serait peut-être pas étrangère à la décision d’intervenir en Syrie213. Une importante campagne politique visant à faire renaître un empire arabe dirigé par le célèbre émir se déroule en effet en 1860 et 1865 chez plusieurs publicistes et journalistes, souvent proches des milieux catholiques214. Napoléon III aurait-il partagé leurs vues?

La solution Abd el Kader a été surtout préconisée par des militaires engagés en Syrie, notamment le général Beaufort d’Hautpoul et le capitaine de vaisseau de La Roncière le Nourry, commandant en chef de la station du Levant215. Malgré le fait que l’Empereur « s’intéressait vivement aux lettres de Beaufort », appréciait « parfaitement ses vues » et correspondait directement avec lui, on ne peut que présumer qu’il ait adopté un temps cette solution pour la Syrie puisqu’on n’a aucune preuve qu’il s’en ouvrit à son ministre216. On sait seulement que l’Empereur, pour récompenser sa conduite courageuse, accorde à l'émir le grand cordon de la Légion d’honneur et augmente sa pension de 100 000 F à 150 000 F.

Mais ce projet de Royaume arabe correspond parfaitement à sa politique des nationalités et Charles Schefer, le premier secrétaire interprète de l’Empereur, rencontre l’émir le 22 septembre. En plus de lui remettre comme prévu la Légion d'honneur, c'est peut-être l’occasion de s’enquérir des dispositions de l'émir face au projet? Il semble en effet que, selon le général Ducrot impliqué dans l'expédition de Syrie, Shefer était chargé d'une « mission politique »217. De plus, Napoléon III, qui tenait absolument à diriger personnellement la diplomatie impériale, avait un goût particulier pour le secret. La politique extérieure du Second Empire est donc un étrange mélange de diplomatie officielle, dirigée par le Quai d’Orsay, et de diplomatie secrète menée par l’Empereur et ses émissaires confidentiels218. Cela rend difficiles à cerner les véritables intentions du souverain.

213 Frémeaux, p. 89-90.

214 Ageron, p. 15.; Bouyrat, Devoir d'intervenir ? : l'intervention humanitaire de la France au Liban, 1860, p. 218. 215 Arboit, p. 189; Ageron, p. 23.

216 Arboit, p. 189.

217 Auguste Alexandre Ducrot, spondance, 1839-1871, Paris, E.

Plon, Nourrit, 1895, lettre à sa femme du 2 novembre 1860, p. 432.

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Quoi qu'il en soit, lorsque l'expédition en Syrie et au Liban est décidée, tous savent très bien que les intérêts de la France et son influence dans la région vont en bénéficier. Ce qui n'est pas étranger au refus de l'Angleterre d'approuver, dans un premier temps, l'initiative française et à la grande méfiance qu'elle va susciter au sein de son gouvernement envers son allié.