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Les catholiques de France et l'unification italienne

2. Les facteurs nationaux et internationaux dans les motivations françaises

2.2 Les catholiques de France et l'unification italienne

Lorsque surviennent les évènements au Liban au début de l’été 1860, la France du Second Empire est engagée dans la question italienne. Après que des troupes françaises l'année précédente se soient rendues en Italie afin de soutenir le Royaume du Piémont-Sardaigne dans sa guerre contre l’Autriche, Napoléon III refuse d’intervenir contre les révolutionnaires italiens qui poursuivent leurs conquêtes jusque dans les territoires pontificaux, alors même qu’il dispose de troupes à Rome censés protéger le pape. L’Empereur mécontente ainsi les milieux catholiques français, soutiens traditionnels du régime, en plus d’inquiéter les autres puissances sur la scène internationale. Pour plusieurs historiens, Napoléon a souhaité plaire aux catholiques français en allant porter secours aux chrétiens du Liban. Cet élément, bien qu'il ait pesé certainement sur la décision d'intervenir militairement, n'est pas aussi important qu'on l'a laissé croire.

L’attentat perpétré par Orsini, un révolutionnaire et patriote italien, contre l’Empereur en 1858 a mûri les projets italiens de ce dernier. Après avoir espéré que la Guerre de Crimée lui offrirait l’occasion de revoir les traités de 1815, Napoléon compte désormais sur la question italienne pour lui permettre de réviser les frontières de l’Europe à la faveur des nationalités, un projet qu'il chérit de longue date. Depuis 1815, le système international repose sur le « concert européen » qui implique les quatre grandes puissances d'origine : Autriche, Russie, Angleterre et Prusse. L'un de ses objectifs est de maintenir l'équilibre entre les puissances. La France a réintégré ce concert dès la Restauration, mais son action demeure limitée par l’ordre international établi en 1815. Napoléon souhaite qu’elle retrouve une place digne de son nom et beaucoup de Français, pour qui le système de 1815 est insoutenable, sont en accord avec son désir de

155 Arboit, p. 152.

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réforme156. Plus largement, il désire un remaniement de l'Europe selon le principe de la nationalité et le droit des nations à disposer de leur sort. Une confédération d’États italiens libérés de l’influence autrichienne pourrait ainsi devenir sensible à l'influence française157.

Lors d'une entrevue secrète à Plombières en juillet 1858, Napoléon s'entend donc avec Cavour, le premier ministre du Royaume du Piémont-Sardaigne, dont le projet est de rallier autour de son souverain, le roi Victor-Emmanuel, les partisans du Risorgimento et les patriotes italiens. Cavour accepte de céder les régions de Nice et de Savoie à la France en échange de l'appui de cette dernière dans une éventuelle guerre contre l'Autriche. Avec les territoires « libérés », un royaume de Haute-Italie et d'Italie-centrale seraient créés. Ces derniers avec le royaume de Naples et les États de l'Église réduits à Rome formeraient une confédération présidée par le pape158. Napoléon tente ainsi de trouver un compromis en soutenant les nationalistes italiens, tout en maintenant un minimum de territoires sous la souveraineté papale afin de ménager ses appuis catholiques en France plutôt pro-autrichiens et papistes.

Au lendemain du coup d’État du 2 décembre, les catholiques se sont en effet majoritairement ralliés au nouveau régime. Le courant intransigeant ou ultramontain a appuyé la restauration de l’Empire notamment, car il mettait fin à la Révolution. Ce courant, en pleine expansion depuis les années 1840, se caractérise par une adhésion sans réserve au pape et le refus de tout ce qui représente l’esprit de 1789. Louis-Napoléon Bonaparte apparaît aussi aux catholiques comme le restaurateur et protecteur de la papauté, surtout depuis l’intervention de l’armée française à Rome en 1849. Président de la République, il avait envoyé des troupes porter secours au pape alors en difficulté face aux patriotes italiens. L’intervention avait mis fin à la République romaine et restauré le pape Pie IX sur son trône. De plus, l’Empereur depuis son

156 Georges-Henri Soutou, « L'Europe de Napoléon III: un nouvel équilibre, un nouveau système », dans Milza and

Fondation Napoléon, dir., Napoléon III, l'homme, le politique : actes du colloque organisé par la Fondation

Napoléon, [tenu au] Collège de France, amphithéâtre Marguerite de Navarre, 19-20 mai 2008, Saint-Cloud,

Napoléon III éditions, 2008, p. 366-367.

157 Éric Anceau, Napoléon III : un Saint-Simon à cheval, Paris, Tallandier, 2008, p. 269-270.; Milza, p. 367- 403. 158 Girard, p. 279-281.; Milza, p. 413.

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accession au pouvoir, a multiplié les gestes favorables envers le clergé. En contribuant à l'influence sociale de l'Église, il désirait asseoir son régime sur des bases solides159.

Malgré la colère qu'il risque de soulever chez les catholiques, le traité d'alliance avec le Royaume du Piémont-Sardaigne est finalement signé en janvier 1859. Les projets révolutionnaires de Napoléon concernant l'Italie, publiés dans la brochure Napoléon III et l'Italie, provoquent une véritable levée de boucliers des milieux catholiques et d'un grand nombre de sénateurs et de membres du Corps législatif. De plus, aucune autre puissance, pas même l'allié anglais, n'est prête à suivre Napoléon dans son aventure. L'Empereur ne réussit en effet qu'à obtenir de la Russie, de la Prusse et de l'Angleterre la neutralité dans l'éventualité d'un conflit avec l'Autriche160.

Se sentant isolé tant sur la scène intérieure qu'extérieure à cause de sa politique, Napoléon essaie ensuite de faire marche arrière et de retarder le conflit pour tenter un règlement de la question via un congrès européen. Mais lorsqu'en avril 1859, l'Autriche-Hongrie préfère prendre les devants en déclenchant l'offensive, la France en tant qu'alliée du Piémont se voit dans l'obligation d'envoyer des troupes en renfort161. Cette guerre fait encore grossir les rangs des mécontents : les conservateurs catholiques en France qui tiennent à l'entente avec l'Autriche, l'Angleterre qui craint des conquêtes françaises en Europe et la Prusse qui se mobilise pour imposer un cessez-le-feu. Après de difficiles victoires à Magenta et Solferino, Napoléon, sans consulter son allié, signe finalement l'armistice le 10 juillet à Villafranca avec l'Empereur d'Autriche-Hongrie, François-Joseph. Il n'obtient pour le Piémont qu'une partie des territoires promis, le projet de création d'une confédération dirigées par le pape et d'un congrès européen qui règlerait les questions en suspens. La France de Napoléon III apparaît désormais aux yeux du monde comme belliqueuse et les autres puissances s'inquiètent des initiatives françaises162.

159 Jacques-Olivier Boudon, « Napoleon III et la religion », dans Milza and Fondation Napoléon, dir., Napoléon III, l'homme, le politique : actes du colloque organisé par la Fondation Napoléon, [tenu au] Collège de France, amphithéâtre Marguerite de Navarre, 19-20 mai 2008, Saint-Cloud, Napoléon III éditions, 2008, p. 330.

160 Milza, p. 416-420. 161 Girard, p. 283-284. 162 Ibid., p. 288-291.

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Cependant, le mouvement révolutionnaire n'est pas encore éteint. Dans toute l'Italie centrale, des assemblées réclament leur rattachement au Piémont. Napoléon ne pouvant désavouer l'accord qu'il vient de signer reste en retrait, mais ne fait rien pour imposer l'accord aux patriotes italiens, s'attirant encore les foudres des catholiques.

En décembre 1859, paraît la brochure, le Pape et le Congrès. Issu du cabinet impérial, le texte évoque l'idée selon laquelle le pape devrait garder un État réduit à Rome et ses environs. Ce dernier, furieux, traite Napoléon de « fourbe et de menteur ». Les patriotes italiens entrent au même moment en Romagne et Napoléon refuse d'intervenir163. La rupture est consommée entre l'Empereur, le pape et les catholiques ultramontains. Le texte fait le tour de l'Europe et laisse croire que Napoléon III, de toute façon isolé, a décidé de soutenir jusqu’au bout le Piémont. Après des plébiscites favorables, le Piémont, avec l'accord tacite de la France, annexe les territoires de la Romagne, Parme, Modène, Toscane en échange de la cession de Nice et Savoie à la France164.

Fort de ces victoires, le mouvement révolutionnaire continue sa lancée. Appuyé par l'Angleterre et secrètement par Cavour, le célèbre nationaliste Garibaldi et ses mille chemises rouges débarquent en mai 1860 en Sicile. Le roi de Naples est en effet aux prises avec une insurrection difficile à mater. Garibaldi profite de l’occasion et prend possession du royaume en un mois. Il est rapidement clair qu'il désire se rendre jusqu'à Rome où se trouve une armée française depuis 1849 chargée de protéger le pape. Napoléon s'abstient pourtant d'intervenir. Même Cavour est dépassé par les évènements et tente de stopper le général en envoyant des troupes piémontaises prendre le contrôle des territoires du Sud. Garibaldi reconnaît éventuellement Victor-Emmanuel comme roi d'Italie. L'unification, à l'exception de la Vénétie et de Rome, est complétée165.

Par sa politique italienne et sa non-intervention pour sauver les territoires pontificaux, Napoléon s’est attiré l’inimitié des milieux catholiques qui étaient jusque-là fidèles au régime.

163 Bruyère-Ostells, Auger et al., p. 130-131. 164 Girard, p. 294-295.

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Les catholiques ultramontains pour qui aucune diminution du pouvoir temporel du pape n’est acceptable se détournent du régime à partir de 1859. En 1860, le journal l’Univers, organe ultramontain, est interdit166. Le clergé encourage même les fidèles à envoyer des dons au pape et à s’enrôler en tant que zouaves pontificaux. Même les catholiques libéraux, plutôt critiques envers les ambitions de Rome à investir l’Église française, voient dans l’appui au pape une façon de plus de critiquer le régime impérial jugé autoritaire et menaçant pour les libertés essentielles167.