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Le poids de l’hommage

Après le décès de Louis VIII, son successeur, Louis IX, se charge de l’investiture de ses

frères. Comme convenu, l’Artois revient à Robert, dont il fait son vassal :

[…] cum clarae memoriae genitor noster Ludovicus, rex Francorum illustris, in

testamento suo ordinavit et pro parte haereditatis assignaverit charissimo fratri nostro

1

La première concession d’apanage date du règne de Philippe Augustequi, en 1180, investit son cadet, Philippe

Hurepel, du comté de Boulogne. Louis VIII confirme cette concession en 1224, mais avec des restrictions sur la succession : si Phililippe Hurepel meurt sans héritier légitime, ses terres reviendront au roi (C. T. WOOD, The

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Roberto terram Atrebatesii, quam idem genitor noster ex parte matris suae habebat,

Atrebatum, S. Audomarum et Ariam, cum pertinentiis eorumdem et post decessum

charissimae dominae matris nostrae B. reginae Francorum illustris, Hesdinum,

Bapalmam et Lensium, cum eorum pertinentiis […], volumus et eidem fratri nostro per

praesentem chartam concedimus totam terram praedictam […] sibi et haeredibus suis

jure haereditario possidendam […]. Et ipse nobis hommagium ligium inde fecit, et

haeredes ejus nobis et haeredibus nostris similiter facere tenebuntur. […]

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Ce faisant, le roi perd une partie de ses revenus mais garde la propriété éminente de

l’apanage, conçu comme un fief détaché du domaine royal. L’apanagiste devient le vassal du

roi, auquel il prête un hommage-lige. Cette formalité accroît l’autorité royale tout en

précisant la relation qui unit le prince au souverain. Ces liens de subordination sont une

limite à la construction de principautés autonomes qui auraient divisé le royaume. Othon et

Mahaut ont effectivement prêté hommage à Philippe le Bel lors de leur prise de pouvoir : en

1329, le roi réclame un an de revenu du comté au titre de relief

2

. Il semblerait néanmoins que

l’hommage ne soit plus renouvelé à chaque changement de souverain. Le roi perd donc au fil

des ans un peu de son contrôle sur les apanages. Au fur et à mesure de leur

institutionnalisation, ceux-ci apparaissent de moins en moins comme un don personnel du

roi à sa famille et se transmettent librement aux cadets, à qui ils ne peuvent plus être refusés.

Cette évolution n’échappe pas à Philippe IV qui tente d’y mettre un frein en restreignant la

possession des apanages aux héritiers directs mâles uniquement

3

. Mais la volonté royale

peine tant à s’imposer sur ce point que Louis X choisit de révoquer cette clause

4

.

Les princes apanagés continuent cependant de rendre au roi les services qu’ils lui

doivent en vertu de l’hommage et en particulier l’aide militaire. Les comtes d’Artois

participent à l’ost royal, occasion pour eux de faire montre de leur bravoure et de leur

dévouement à la Couronne : Robert I

er

, Robert II et Othon meurent tous les trois en

combattant pour le roi. Le premier s’éteint devant Mansourah en 1250. Avant de tomber en

héros à la bataille de Courtrai, en 1302, le père de Mahaut a combattu en Navarre en 1275, en

1

Juin 1237 (O.R.F., XI, p. 329). 2

Item demandoient noz dictes gens le rachat de la conté d'Artoys dont il disoient que nous deviens avoir la valeur d'une annee de la dicte conté pour cause du conte de Bourgoingne, jadis son mari, qui en entra en la foy et en l’ommage de nostre

chier seigneur et oncle le roi Philippe, que Diex absoille (28 mars 1329, BnF ms n.a. lat. 2330 pièce 11 ; B. DELMAIRE,

« Pouvaient-ils se fier à leurs documents comptables ? … », op. cit., p. 893-896). 3

C’est ce que montre l’acte de concession de l’apanage de Poitiers en 1314(AN J 390 n°10 ; J. FAVIER, Un conseiller

de Philippe le Bel…, op. cit., p. 232). Cf supra, note 3 p. 52.

4

[…] raisons et drois naturez donnent que, en deffautes de hoirs males, les femelles doivent aussi bien heritier et avoir

successions es biens et es possessions des peres de cui elles ont esté procrees et descendues en loyal mariage comme font li

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Sicile et à Naples en 1282, en Guyenne en 1296, en Flandre en 1298. C’est à cette occasion

d’ailleurs qu’il rencontre Othon, futur époux de sa fille, qui participe à ses côtés aux grandes

campagnes militaires de l’armée française, en Sicile ou en Aragon. Le 17 mars 1303, Othon

est blessé à Ballembergue, alors qu’il lutte contre les Flamands. Rapatrié à Melun, il y meurt

peu de temps après.

Même si elle ne peut servir le roi par les armes, Mahaut soutient de son mieux ses

initiatives belliqueuses. En 1304, elle lève des troupes en Artois pour le compte du

souverain

1

. Le compte du bailliage d’Arras, rendu à la Toussaint 1304, énumère ainsi les villes

Saint Vaast qui doivent ost et chevauchié a ma dame d'Artois les queles furent semonssés d'aler en

l'ost le roy a Mons en Peule. Le même document évoque le cas de Jean Lefort qui fu semons a

60 £ par eschievins d'Arras pour chou qu'il n’ala en l’ost devant Lille au secours que li rois manda. Le

bailli note aussi une dépense de vingt-huit sous pour 2 karetes a 7 kevaus qui menerent le harnas

maistre Therry en l’ost au Pont a Wendin le semaine de le Saint Vaast en esté quant on ala en l’ost

2

.

La comtesse, que des messagers tiennent régulièrement informée de la situation

3

, participe

plus directement à l’effort militaire en garnissant ses châteaux de sergents. En 1303, elle dote

le château de Fampoux d’une modeste garnison composée de quatre soldats et un veilleur

qui restent en place jusqu’à la signature de la trêve, le 20 septembre de la même année. Au

cours de l’été, Mahaut envoie une garnison de trente hommes au château d’Hesdin, menacé

par une course flamande. Même si les dépenses et les responsabilités de la guerre incombent

au roi, dont les garnisons stationnées à Calais, Saint-Omer, Béthune, Lens et Arras assurent

l’essentiel de la défense du territoire

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, la comtesse apporte donc au souverain, pour lequel

l’Artois est un point d’appui important dans sa guerre contre les Flamands, un soutien

logistique essentiel

5

.

1

25 mars 1304, AD Pas-de-Calais A 504. 2

CbA, Touss. 1304, AD Pas-de-Calais A 2002.

3

pour despens Willaume de Boulenois, qui ala de nuit a Avesnes le mercredi devant le Magdelaine pour dire a ma dame l'estat de le guerre, 3 s ; pour despens Jeanet le fil Estevenon et Gillot Basset, qui alerent chele meisme nuit au Pont a

Wendin pour savoir l'estat des anemis, dou commandement maistre Therry, 6 s. (CbA, Touss. 1304, ibid).

4

B. DELMAIRE, « La guerre en Artois après la bataille de Courtrai … », op. cit., p. 131-141. 5

Le comté subit d’ailleurs d’importants dommages : le feu marque le passage de l’ennemi qui emmène ou abat les troupeaux. Les habitants subissent aussi la présence des troupes françaises qui n’hésitent pas à se livrer au pillage. Dans ce contexte, la plupart des terres restent en friche et le commerce décline. Les revenus des tonlieux s’effondrent, plus personne ne veut prendre à ferme les péages. Les recettes comtales sont dont lourdement affectées par la guerre. (Ibid.). Il faut ajouter à cela les nombreuses destructions dues au passage des armées, nécessitant des réparations coûteuses. C’est ce que nous montre ce texte de 1303, dans lequel Mahaut demande à être dédommagée : A tous chiaus qui ces lettres verront, Gilles de Haveskerke, garde d’Aire, fais savoir que comme messire Jakes de Bayon, tenans le lieu le roy no signeur es frontieres de Flandres, a le requeste le bailli d’Aire, m’ait commandé que je

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La forte implication du souverain lors de la révolte artésienne montre enfin que