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Mahaut, arbitre des conflits urbains

Même si les villes disposent d’un droit de justice dans la ville et sa banlieue, la

comtesse reste le juge d’appel et s’immisce, par l’intermédiaire de son bailli, dans de

nombreuses affaires, en particulier à titre d’arbitre.

À Aire, par exemple, la comtesse intervient en 1304 dans le conflit entre le commun et

les échevins, au sujet de l’administration de la ville

3

, et, en 1309, dans le conflit opposant

l’échevinage d’Aire à Roger de Wavrin, seigneur de Saint-Venant, qui aurait arrêté plusieurs

bourgeois de la ville aux dépens de la juridiction urbaine

4

. Toujours dans la même ville, elle

intervient dans le conflit qui oppose l’échevinage au chapitre de la collégiale Saint-Pierre. Le

désaccord porte sur l’extension de la juridiction urbaine aux personnes et biens du chapitre,

sur la question des impôts – droits de cauchie, assise, taille –, dont le chapitre prétend être

exempté, et sur l’administration conjointe des institutions hospitalières de la ville, à savoir

l’hôpital Saint-Jean et, peut-être, les pauvres cartriers. La comtesse ordonne une enquête

1

Gilles de ROME, Li Livres du gouvernement des rois, H. de Gauchy (trad.), S.P. Molenaer (éd.), New York : The Macmillan company ; London : Macmillan & co., 1899, livre 3, 2e partie, chap. XXX, p. 362.

2

Philippe de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon (éd.), Paris : A. et J. Picard, 1970-1974, t. 2, chap. L, p. 266.

3

27 janvier 1304, AD Pas-de-Calais A 503. 4

1309 : Commission donnée par la comtesse Mahaut au seigneur de Journy et au bailli d’Aire pour terminer le débat entre Roger de Wavrin, seigneur de Saint-Venant, et la ville d’Aire au sujet de l’arrrestation de bourgeois (GODEFROY, Inventaire chronologique et détaillé de toutes les chartes des anciens comtes d’Artois, t. 3, p. 262 ; P. BERTIN,

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menée par Eustache d’Ays, écolâtre et chanoine de Thérouanne, ainsi que par Jean du

Jardin

1

. La sentence est prononcée le 5 novembre 1322 en faveur du chapitre

2

.

Mahaut est également appelée à intervenir dans les affaires échevinales. C’est ainsi

qu’elle mène à Arras le procès de Mathieu Lanstier et Jean Beauparisis, qui ont fraudé pour

accéder à l’échevinage

3

. Selon la coutume de la ville, seuls peuvent accéder aux fonctions

échevinales les bourgeois possédant un certain cens. Ce cens, d’un montant de trois cents

livres, est déclaré par chacun et consigné sur des cahiers, les brievets. Les deux hommes ont

établi des faux pour pouvoir faire élire deux complices, Pierre de Marseille et Jean Hendoul.

Ces derniers sont accusés de diverses malversations qui ont provoqué une augmentation des

dettes de la ville, de dix mille trois cent quarante sept livres à leur arrivée au pouvoir en 1303

à trente-cinq mille livres neuf mois plus tard. Le procès de Mathieu Lanstier doit s’ouvrir à

Arras après la Trinité 1305, comme nous l’apprend le mandement envoyé par la comtesse

aux baillis d’Arras et de Bapaume, à savoir Ernoul Caffet et Jacques d’Achicourt, le

10 juin 1305

4

. La comtesse d’Artois adresse un mandement analogue à Pierre de Bécourt et

Jean de Houplines, le 17 juin 1305, au sujet de Jean Beauparisis, qui est quant à lui jugé à

Saint-Omer

5

.

Elle intervient à nouveau dans la ville en 1310. Elle écrit alors à son bailli d’Arras afin

qu’il convoque les échevins qui ont fait pluseurs assemblees et diverses, en divers lieus et non

acoustumés et a heure non deue, si comme par nuit, et aiant fait aliances et confederations ensemble de

eslire et instruire en l’échevinage avenir certaines personnes non souffisans et non abiles en l’office de

l’eschevinage, et par foy et par serment oblogié et aloié que pour chose qui aviengne, il n’i nommeront

ne esliront autres personnes que teles comme il ont ja conceu et acordé entre aus

6

. Si les faits sont

1

AD Pas-de-Calais A 957. 2

Recueil de documents relatifs à l'histoire du droit municipal …, op. cit., t. 1, n°33 p. 73-74 et n°34 p. 74-83 ; P. BERTIN,

Une commune flamande-artésienne …, op. cit., p. 82-88.

La faveur accordée au chapitre collégial tient peut-être au fait que Thierry de Hérisson en est le prévôt jusqu’en 1324.

3

J. LESTOCQUOY, Patriciens du Moyen Âge : les dynasties bourgeoises d’Arras du XIe au XVe siècle, Arras : Impr. de la Nouvelle Société, 1945, p. 66-69.

4

AD Pas-de-Calais A 5119. 5

AD Pas-de-Calais A 5120.

Selon Jean Lestocquoy, la sentence est inconnue, Mathieu Lanstier meurt dès 1306, Jean Beauparisis le 25 avril 1312. L’inventaire des biens de ce dernier est conservé dans le Trésor des Chartes d’Artois, ce qui suggère que son héritage n’est pas revenu à sa famille. Pierre de Marseille est quant à lui en prison avec sa femme en 1313 (J. LESTOCQUOY, Patriciens du Moyen Âge …, op. cit., p. 69). Selon Alain Derville, les deux hommes obtiennent quittance en 1307, moyennant finances(A. DERVILLE, Saint-Omer …, op. cit., p. 304).

6

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avérés, elle lui ordonne de saisir leurs biens. Sinon, elle lui demande d’ouvrir un procès

contre eux pour faire la lumière sur l’affaire

1

.

La comtesse d’Artois est parfois sollicitée pour apaiser certaines des tensions internes

aux centres urbains

2

. Elle intervient ainsi à Arras, en 1303, pour régler le conflit entre les

habitants et les soldats qui y séjournent :

[…] Si avint que medame Mehaus, contesse d’Artois, vint a Arras pour accorder sen

kemun le merkedi apres le Nostre Dame septembre, l’an

MCCC

et

III

, et fu li acors de le

vile et des saudoiers tels que madame d’Artois eut en convent a sen commun qu’ele

deliverroit les saudoiers de chou qu’il avoient despendu as osteus et li saudoier ne se

tinrent mie de che apaiet […]

3

.

Il arrive aussi que la population audomaroise se divise. Le 10 mai 1305, le commun de

la ville ainsi que les échevins, accusés de diverses malversations par les bourgeois, s’en

remettent à la sentence de la comtesse d’Artois

4

. Selon sa décision, rendue le 22 octobre 1305,

elle se réserve le choix de leurs successeurs et l’examen des comptes des échevins sortants

5

.

Deux mois plus tard, le 2 janvier 1305, elle fait part de son choix

6

. Mais, le 20 avril 1306, les

1

[…] et se il le connoissent, tenés vous saisis de leur cors et de leurs biens et de touz ceaus que vous saurés, qui seront

participant et consentant de ceste besoingne ; et se il le nient, fié les avant encontre eaus par procés tel comme tiex fais et si

orrible requiert […] (21 janvier 1310, ibid.).

2

D-C. de GODEFROY DE MENILGLAISE, Notes sur le gouvernement de Mahaut, comtesse d’Artois, recueillies dans

l’inventaire des chartes d’Artois (1304-1320), Saint-Omer : Fleury-Lemaire, 1864, p. 11-12.

3

11 septembre 1303, Chronique artésienne …, op. cit., p. 72. 4

A tous ceaus qui ces presentes lettres verront et orront, Jeans de Hairouval, baillis de Heding, salut. Comme contens ou matere de question fussent meu entre le commun de la ville de Saint-Omer et leur aloiés, d’une part, et maïeurs et eschevins et ceaus qui sont et ont esté gouverneur de la dite ville du tans passé et leur aloiés, d'autre part, sur ce que li dis communs maintenoit que li dit maïeur, eschevin et gouverneur s’estoient mauvaisement maintenu ou gouvernement de la ville, dou tans passé et sur cas de mauvaise administration et plusieurs autres cas touchans au gouvernement et a l'estat de la dite ville eussent fait apeler lesdis maïeurs, eschevins et leur aloiés et trais en cause par voie ordenaire, pardevant tres noble, tres haute

et tres puissant no chiere et amee dame d’Artoys et de Bourgogne, comme pardevant leur droit juge […] (10 mai 1305,

AM Saint-Omer, BB 1211 ; A. GIRY, Histoire de la ville de Saint-Omer …, op. cit., P.J. n°73, p. 444-447 ;cf. annexe 25 p. 514, lignes 1-10).

5

[…] Premierement, que ou prochain terme que on a acoustumé et doit faire eschevins en notre dite ville, li eschevins qui

ores sont esliront nouviaus eschevins et teles personnes comme il nous plaira a nommer ou mander par nos lettres et non autres. Item, nous disons, ordenons et prononçons, sur la paine desuz dite, que cil qui a ce prochain terme fait et creé eschevin par notre conseil et a notre nomination, einsi comme desuz est dit, au terme de leur issue que on a acoustumé a faire eschevins, feront eschevins par notre conseil et teles personnes comme il nous plaira a nommer ou mander par nos lettres et

non autres, en la fourme et en la maniere qu’il averont esté creé, se avant n’en aviens ordené en autre maniere. […] Item,

quant au conte faire pour le tans a venir, nous disons, ordenons et prononçons que contes se face une fois l’an de ceaus qui seront maïeur et eschevin en celui tans, quinze jours apres leur issue, generalment present notre bailly et touz ceaus de notre dite ville qui estre y vaurront et porront, et soïe crié et publié a la bretesche, quatre jours devant ce que li contes se devera faire, que tout cil qui vaurront oïr le conte de la ville viengnent au jour au lieu ou li contes se devera faire, et einsi sera fais li

conte des ore en avant a touz jours mais. […] (22 octobre 1305, AM Saint-Omer, BB 1212 ; A. GIRY, Histoire de la ville de

Saint-Ome …, op. cit., P.J. n°74, p. 447-448 ;Recueil de documents relatifs à l'histoire du droit municipal …, op. cit., t. 3,

n°647, p. 344-349 ; cf. annexe 26 p. 517, lignes 58-66 et lignes 83-88). 6

BnF ms fr. n.a. 21199, n°334, fol. 20 ; Recueil de documents relatifs à l'histoire du droit municipal …, op. cit., t. 3, n°648, p. 350-351.

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nouveaux élus accusent leurs prédécesseurs d’intelligence avec l’ennemi, ce qui entraîne des

arrestations, des émigrations, des condamnations. Finalement, le 9 mai 1306, la ville a recours

à un compromis général décidé par la comtesse.

À Bapaume, en 1318, Guillaume de Saint-Aubin quitte la mairie et lui sucède Jean de

Saint-Aubin. Plusieurs membres du commun protestent contre cette cooptation d’autant plus

mal acceptée que les comptes de Guillaume sont sujets à caution. Le 19 février 1319, il revient

à Mahaut de nommer quatre gouverneurs provisoires et d’envoyer deux prudhommes afin

de juger de la validité de l’élection

1

.

Les conflits urbains favorisent donc l’ingérence de la comtesse d’Artois dans les affaires

municipales. C’est souvent pour elle l’occasion de modifier les modalités des élections

échevinales ou encore de contrôler les finances urbaines. De fait, le contrôle des coutumes et

sa mainmise sur les ressources communales sont deux des instruments principaux de la

domination comtale.