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Le pluralisme et l’État administratif en France : vers un État pluraliste (?)

L’ORIENTATION PLURALISTE DU CONSTITUTIONNALISME

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 PREMIÈRE PARTIE

1- Le pluralisme et l’État administratif en France : vers un État pluraliste (?)

302. Deux hypothèses expliquent cette gouvernementalité administrative : la distinction

souveraineté et compétence (a) conduisant à une partition de la notion d’État (b).

a- Souveraineté et compétence4

303. Cette gouvernementalité résulte de la volonté de limiter juridiquement la compétence

d’un État en action, comme personne publique, face aux droits des individus. Comme le note O. Beaud, la notion de souveraineté est une notion du droit constitutionnel, ou en tout cas qui se rapporte presque exclusivement à l’État ou à l’un de ses organes ; la compétence, elle, peut être attribuée à n’importe quelle collectivité publique, et elle est le terrain historique du droit administratif. En effet, la souveraineté n’est pas un mot courant du lexique administrativiste : « bref, la souveraineté a mauvaise réputation dans la doctrine administrativiste alors que la

1 DELVOLVÉ (P.), « Propos introductifs : Droits publics subjectifs des adminitrés et subjectivisation du droit administratif », in Les droits

publics subjectifs des administrés, op. cit., pp. 3-19.

2 BIGOT (G.), Introduction Historique au Droit Administratif Français depuis 1789, P.U.F., coll. Droit Fondamental, 2002, p. 115. 3 LEGENDRE (P.), Histoire de l’Administration. De 1750 à nos jours, Paris, P.U.F., 1ère édition, Paris, 1968, p. 22.

4 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », in La compétence, Association Française pour la Recherche en Droit Administratif, Lexis

compétence est auréolée de l’idée d’État de droit. »1 Autant la souveraineté, renverrait à un pouvoir illimité ou soustrait au droit de l’État, autant la compétence, renverrait à l’idée d’un encadrement juridique par des normes ; celle-ci est originaire, celle-là est déléguée.

304. Fondant la sphère politique, elle n’est pas de l’ordre de la pure normativité, elle est

politico-juridique ; la compétence est juridique. La compétence peut être définie, positivement à partir de trois éléments2: elle est une qualité reconnue à une personne publique ; la sphère juridique à l’intérieure de laquelle, un agent juridique est autorisé à agir ; une pluralité d’organes compétents, en concurrence. Il n’est pas aisé de distinguer la compétence, du pouvoir, et deux sens peuvent être dégagés. Dans un premier sens, la compétence est l’instrument de bornage de l’exercice d’un pouvoir, elle détermine « les contours de l’exercice de cette puissance. »3 Dans un second sens, la compétence est définie comme un pouvoir légal, c’est-à-dire une autorisation par le droit objectif : l’agent public n’est compétent pour prendre un acte que lorsqu’il y a été autorisé par l’ordre juridique objectif. La compétence est, selon Jèze, « le pouvoir légal de faire des actes juridiques » ; il s’agit d’une habilitation. La distinction entre souveraineté et compétence proviendrait, en définitive, de l’absence dans le lexique constitutionnel, d’expression pour décrire la face interne de la souveraineté étatique.

305. Aussi, la compétence n’existe juridiquement que parce qu’il y a eu souveraineté4. La souveraineté semblerait échapper à l’analyse juridique, de même qu’à la limitation par le droit ; sur ce double plan, cela ne semblerait pas être le cas de la compétence. La compétence permettrait d’éclairer l’État en tant que personne publique : dans son pôle institutionnel en tant que pérennisation et impersonnalisation du pouvoir, l’État, comme institution, peut être remplacé par l’État, comme personne. La compétence est, dès lors, rattachée à la personnalité publique : les organes de l’État ont des compétences ; les titulaires de fonctions publiques ont des droits subjectifs. Dans cette perspective jellinékienne, il s’agit de « penser l’État moderne comme étant l’opposé de l’État patrimonial qui confond le pouvoir et la chose »5. Jellinek construit ce pôle objectif de la théorie de l’État – interne – sur une dynamique de la reconnaissance (identitaire). La compétence permet de lutter contre l’État patrimonial. La compétence permettrait de penser le pôle objectif, ou institutionnel, de l’État, en dehors du trope politico-juridique de la souveraineté, qui représenterait la dimension subjective, et

1 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », op. cit., pp. 13-14. 2 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », op. cit., p. 17. 3 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », op. cit., p. 21. 4 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », op. cit., p. 26. 5 BEAUD (O.), « Compétence et souveraineté », op. cit., p. 31.

externe, de l’État. On a, donc, pu penser, en droit administratif, l’individu et la limitation juridique de l’État et, cette conception administrativiste de la compétence, permet d’expliquer, dans une certaine mesure, cette gouvernementalité administrative du pluralisme en France.

b- État en droit constitutionnel et État en droit administratif

306. Sans doute cette gouvernementalité administrative du pluralisme trouve-t-elle une

explication dans une possible partition de la notion d’État, avec un État en droit constitutionnel, et un État administratif1. Avec l’éclairage de la distinction entre la compétence et la souveraineté, il est possible d’évaluer cette hypothèse du professeur Beaud, selon laquelle l’État en droit administratif est un État qui agit, un État en action, qui « entre en contact par l’intermédiaire de son administration avec les individus, les particuliers et les groupements. »2 Cette hypothèse découle d’un constat, étonnant, qui est celui d’une possible disparition, voire un oubli, de l’État, dans la doctrine administrativiste contemporaine. Peut- être cette gouvernementalité administrative du pluralisme tient-elle à la moindre prégnance épistémologique de la théorie de l’État en droit administratif, plus empreinte de pragmatisme dans la gestion des rapports avec les administrés. Ce constat est d’autant plus étonnant que les fondateurs de la discipline du droit administratif, l’ont bâti sur le fondement d’une certaine théorie de l’État. Ainsi, l’État coopération chez Duguit permet de saisir l’État en action3, il s’agit du droit des relations en tant que personne juridique, avec une autre personne juridique.

307. Par conséquent, « si le droit administratif saisit l’État dans sa relation directe avec des

tiers, le plus souvent des administrés, c’est parce que l’État intervient de plus en plus dans la vie sociale »4: le droit administratif maîtrise l’État. Et, on pourrait évoquer cette idée que, la maîtrise est double : une limitation juridique et une limitation épistémologique. En tant que fin de l’État patrimonial, le droit administratif est empreint d’une théorie libérale de l’État ou de ses relations avec les administrés : l’assujettissement de ces derniers est pensé dans leur individualité face à l’État, la reconnaissance de droits à faire valoir : « Duguit a voulu mettre à jour les principes structurants qui établissent une constitution libérale de l’administration. »5 Borner la compétence permet l’expression d’un pluralisme, ce bornage étant plus favorable à

1 BEAUD (O.), « L’État », in GONOD (P.), MELLERAY (F.), YOLKA (P.) (dir.), op. cit., 2011, pp. 1-68, p. 7.

2 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 8. L’on retrouve une idée assez similaire en droit constitutionnel canadien avec la distinction entre le

droit constitutionnel relationnel et le droit constitutionnel organique : BROUILLET (E.), BRUN (H.), TREMBLAY (G.), Droit

constitutionnel : 5ème Édition, Éditions Yvon Blais, Montréal, 2008, Introduction de l’ouvrage.

3 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 15. 4 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 16. 5 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 16.

la garantie des droits des individus. Cette conception de l’État est normative chez Duguit, elle participe de cet « idéal de limitation du pouvoir administratif par le droit administratif. »1 Pareillement chez Hauriou, la construction théorique du droit administratif s’adosse à une théorie de l’État2: administration et centralisation sont liées à un sentiment d’égalité. En somme, le droit administratif est émancipateur : c’est le service rendu aux particuliers3.

308. L’intérêt public irréductible aux intérêts privés, permet au Doyen de penser un régime

administratif en lien avec un État social : « le droit administratif devient alors, par la voie du régime administratif, un vecteur de progrès social, »4 il est un « instrument d’émancipation des individus. » L’État, en droit administratif est un protecteur bienveillant, un producteur de liberté. L’effacement progressif de l’État dans la pensée administrativiste, peut-être liée à trois auteurs : G. Jèze, M. Waline, et G. Vedel, marquant l’influence de plus en plus importante du positivisme, dans la science du droit public. Pour Jèze, cet effacement s’adosse à une volonté de républicaniser l’État, et, donc, à la volonté de le faire disparaître en tant que personne juridique5. C’est moins cet effacement, que la signification de l’État en droit administratif, qui nous importe. À ce titre, la conception de l’État du Doyen Eisenmann et du professeur F.-P. Bénoît est instructive. Ainsi que le note O. Beaud, il y a un rapprochement à faire entre la conception duguiste de l’État, et celle de Eisenmann, en ce que le phénomène de croissance de l’État peut être une chance pour l’individu, dans ce processus « d’individuation de la société. »6 Par ailleurs, l’État est une chose concrète, i.e. il n’est pas indépendant des individus, auxquels il s’applique. Instructive est la proposition de F.-P. Bénoît de changer la nature de l’État selon qu’on l’analyse du point de vue du droit constitutionnel, ou du droit administratif : État-Nation pour le premier, État-Collectivité pour le second.

309. On peut adopter la proposition de O. Beaud d’une pluralité de significations du mot

État : « le droit administratif a pour principale vocation de saisir l’État comme un appareil

gouvernant dans la mesure où il saisit principalement l’action des agents de l’administration. C’est seulement de façon marginale qu’il saisit l’État comme collectivité politique, comme ‘État tout entier’ pour reprendre une expression d’Eisenmann. »7 Ainsi conceptualisé, l’État administratif échappe à la dialectique du politique et de la République, et l’arrêt que constitue

1 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 17. 2 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 18. 3 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 19. 4 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 20. 5 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 23.

6 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., p. 29, citant Léo Hamon. 7 BEAUD (O.), « L’État », op. cit., pp. 34-35.

la souveraineté. Si le constitutionnalisme est la limitation juridique de l’État, la limitation juridique du pouvoir administratif, ou de l’État administratif, peut-être définie comme un

constitutionnalisme administratif. L’on trouve un équivalent du constitutionnalisme pluraliste

canadien au niveau du constitutionnalisme administratif en France : il s’agit dès lors de penser le constitutionnalisme, à travers les outils conceptuels de la pensée administrative. Ainsi, disposer de cette théorie de l’État administratif, permet de se dégager des contraintes de la pensée juridique européenne de la souveraineté descendante, en pensant la limitation juridique du pouvoir et, en pensant l’individu dans sa situation juridique subjective (voire pluraliste).

2- La gouvernementalité administrative du pluralisme en France : l’exemple du

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