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Identification et abstraction de l’identité du citoyen : naturalisations françaises

L’ORIENTATION PLURALISTE DU CONSTITUTIONNALISME

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 PREMIÈRE PARTIE

2- Identification et abstraction de l’identité du citoyen : naturalisations françaises

a- La dialectique identité / différence au fondement de l’abstraction : naturaliser

284. La naturalisation de l’identité du citoyen français s’explique par la dialectique identité /

différence à la base de l’abstraction (a), qu’il est possible d’illustrer avec le féminisme (b). L’héritage de 1789 s’est traduit par un rejet de la différence comme inégalité de nature ; l’égalité a, de la sorte, était tournée vers l’identité1. Le projet révolutionnaire d’une citoyenneté égalitaire, en réaction au féodalisme, impliquait une identité politique de statut. L’égalité politique des citoyens avait vocation à s’appliquer à l’ensemble des individus, encore fallait-il s’entendre sur ce qu’on entendait par les catégories « individus » « égalité » et « citoyenneté. » C’est, ainsi, que l’on peut lire cette remarque de M. Ozouf sur l’idée d’égalité durant la Révolution française : « c’est dans le terreau de l’égalité des droits (…) que fleurit l’infinie différenciation des individus. »2 Le problème est bien celui de l’égalité politique3. Partant, « la possibilité d’extension illimitée de l’exclusion, puisque la ligne de démarcation entre les citoyens égaux et les étrangers à la nation est une frontière intérieure, déplaçable à merci. »4 Camouflant cette inégalité réelle derrière une égalité formelle, l’égalité juridique a contribué à une identité politique, soutenue par une différence de nature, toujours déplaçable.

285. Comme l’explique Scott, « l’universalisme – l’identité et la mêmeté de tous les

individus – est défini comme l’antithèse du communautarisme. »5 L’universalisme républicain implique que la mêmeté soit la base de l’égalité ; cette mêmeté est une abstraction, destinée à achever l’égalité politique formelle des individus, devant le droit. Or, cette identité de statut n’est-elle pas elle-même l’abstraction d’une structure identitaire, construite à partir de différences axiologiques de nature ? La dialectique de l’identité et de la différence se construit à partir de la naturalisation d’une inégalité sociale intrinsèque, qui ne peut être résolue que par l’uniformisation dans l’identité, ou par la détermination de ce qu’est une différence pertinente. J. Scott le note parfaitement, « l’abstraction permet aux sujets d’être conçus comme le même (l’universel), la mêmeté étant mesurée à partir des termes concrets de l’être (français). »6 Le maintien de l’unité de la Nation passe par le refus de la reconnaissance de la différence, décrit

1 ROSENFELD (M.), « L’égalité et la tension dialectique entre l’identité et la différence », Constitutions, 2010, pp. 177-194. 2 OZOUF (M.), « Égalité », in FURET (F.) et OZOUF (M.) (dir.), op. cit., 2007, pp. 139-163, p. 140.

3 OZOUF (M.), « Égalité », op. cit., p. 152 : « l’égalité formelle n’est accordée que pour mieux refuser l’égalité réelle. » 4 OZOUF (M.), « Égalité », op. cit., p. 155.

5 SCOTT (J.W.), The Politics of the Veil, Princeton U.P., Princeton and Oxford, 2007, p. 11, (nous traduisons). 6 SCOTT (J.W.), The Politics of the Veil, op. cit., p.12, (nous traduisons).

par M. Rosenfeld, comme un processus dialectique en trois temps : la différence comme inégalité ; l’égalité comme identité ; l’égalité comme différence. Ce que ne souligne pas M. Rosenfeld dans le choix de ce concept dialectique, son impensé, est en réalité ce qui pose

problème : le pluralisme nommé est naturalisé. Deux difficultés peuvent être soulignées.

286. D’une part, dans la dialectique hégélienne, ce processus dialectique débute par une

scène constitutive d’assujettissement, où le maître et l’esclave se constituent mutuellement ; c’est une scène attributive d’identité dans la différence, une interpellation performative. À la vulnérabilité de l’un à l’autre, s’ajoute l’interpellation sociale attributive d’une différence de nature et de valeur, dans l’identité. La dialectique hégélienne débute par une reconnaissance performative inégale. L’attribution des identités n’est pas interrogée dans le schéma de M. Rosenfeld, alors que la question de l’égalité commence, précisément, dans la désignation de la différence pertinente. D’autre part, la dialectique hégélienne n’est pas un processus de recouvrement des contraires, dans une synthèse globale, mais une définition en déplacement. La naturalisation d’une différence dans l’identité, lors de la scène de reconnaissance, n’est pas remplacée par une égalité comme identité, mais toujours resignifiée dans un autre contexte1.

287. Aussi, la même scène liminale d’interpellation est rejouée, sans cesse, tout en

conservant la naturalité de l’identification. Cette dialectique ne réinterroge pas la scène introductive d’attribution d’une différence, mais prend la différence dans l’identité comme donnée. Cette dialectique conduit à naturaliser une différence de position. En somme, l’identification est bien pathologique, puisque l’artifice de l’attribution liminale d’identité est réduit par catachrèse à la réalité vécue du sujet. L’identification du sujet à travers la construction juridique fictive de la personnalité, s’est faite à partir de l’abstraction d’un individu social. Or, cette projection pathologique n’opère qu’à partir de l’abstraction d’identités et de différences déjà nommées et naturalisées. Partant, le débat sur l’identité fait l’objet d’une dérive tropologique consistant à politiser l’identité, et catachrétique consistant à naturaliser une identité, à travers un pluralisme nommé. Cette idée sera développée à partir du féminisme, possibilité souvent écartée2. Comme le note J. Scott, « les féministes sont entrées dans l’histoire comme sujets politiques exclus. Leur agentivité était produite comme une

1 BUTLER (J.), Sujets du désir. Réflexions hégéliennes en France au XXe siècle, P.U.F., coll. Pratiques Théoriques, Paris, 2011. 2 SCOTT (J.W.), The Fantasy of Feminist History, Duke U.P., coll. Next Wave Provocations, Durham and London, 2011.

contradiction pour le discours des droits universels de l’homme. »1 Au-delà de la fiction du citoyen coupé de ses attaches identitaires, ce processus de l’abstraction est masculinisé.

b- Féminisme et République : l’ontologie masculine de la citoyenneté française

288. L’abstraction à la base de la personnalité du sujet serait essentiellement orientée vers

une structure identitaire ; l’exemple du féminisme juridique en est patent. La démonstration aurait pu avoir pour objet l’orientation ontologiquement hétéronormatives et colonialiste de l’universalisme républicain, ainsi que des travaux l’ont démontré, par ailleurs2. Le débat autour de la question du féminisme a été relancé en France avec deux controverses, marquant le paradoxe français du féminisme, dans l’héritage révolutionnaire et libéral des lumières3. La première avait trait à une révision de la Constitution, afin d’y inclure l’égalité de genre, entre l’homme et la femme, et les lois sur la parité. La seconde avait trait au port du voile par les femmes musulmanes. Dans les deux cas, faire la loi a consisté à faire le genre4; plus encore, faire le genre a contribué à faire la « bonne nation républicaine. »5

289. Ce débat autour du féminisme et du multiculturalisme a contribué à réaffirmer l’essence

de l’être français, s’engageant, ainsi, dans la détermination virtuelle d’une bonne communauté nationale6. L’universalisme implique l’assimilation à une culture unique. Partant, assumer les termes du républicanisme permettait au féminin d’être intégré dans la construction d’un imaginaire national. Il s’agissait, en somme, d’assumer la naturalité du genre pour déplacer les frontières de la Nation. Ces controverses ont, en effet, révélé la difficulté française à déconstruire la catégorie socio-politique de femme7 et la naturalité dans laquelle elle est enchâssée. La difficulté à penser l’identité dans le constitutionnalisme se situe, précisément, dans le rôle politique des identités naturalisées : les féministes ont assumé la grammaire du

1 SCOTT (J.W.), Only Paradoxes to Offer. French Feminists and the Rights of Man, Harvard U.P., Cambridge and London, 1996, p. 124,

(nous traduisons).

2 BERSANI (L.), « The Gay Outlaw », Diacritics, 1994, vol. 24, n°2-3, pp. 4-18 ; « Sociality and Sexuality », Critical Inquiry, 2000, vol.

26, n°4, pp. 641-656. MERRICK (J.) and SIBALIS (M.) (eds.), Homosexuality in French History and Culture, Journal of Homosexuality, n°41:3-4, 2001. JACKSON (J.), Living in Arcadia. Homosexuality, politics and morality in France from the Liberation to AIDS, The U. of Chicago P., Chicago and London, 2009. POSTORELLO (T.), Sodome à Paris. Fin XVIIIème-milieu XIXème siècle : L’homosexualité

masculine en construction, Creaphis Éditions, Paris, 2011. SABSAY (L.), « The Emergence of the Other Sexual Citizen: Orientalism and

the Modernization of Sexuality », Citizenship Studies, 2012, vol. 16, n°5-6, pp. 605-623.

3 BRUGÈRE (F.), « Le Féminisme et le Libéralisme. En marge des Lumières », Esprit, 2009, vol. 8, pp. 171-188.

4 LÉPINARD (É.), « Faire la loi, faire le genre : Conflits d’interprétations juridiques sur la parité », Droit et Société, 2006, vol. 62, n°1, pp.

45-66, p. 64.

5 SCOTT (J.W.), The Politics of the Veil, op. cit., p. 6 : « this image of France is mythical ; its power and appeals rests, to a large degree,

on its negative portrayal of Islam. »

6 SCOTT (J.W.), The Politics of the Veil, op. cit., p. 10 : « the way in which the representation of a homogeneous and dangerous ‘other’

secured a mythic vision of the French republic, one and indivisible. »

7 LÉPINARD (É.), « « Malaise dans le concept ». Différence, Identité et Théorie féministe », Cah. du Genre, 2005, vol. 39, n°2, pp. 107-

républicanisme, ce qui a conduit à opposer féminisme et multiculturalisme, notamment1. La réforme paritaire a traduit la force de la pensée du républicanisme à la française : l’égalité abstraite des citoyens, pensée à partir d’identités de nature, de l’ordre de la transcendance.

290. Le débat autour du voile révèle la difficulté liée à la différence des sexes, dans le

processus d’abstraction configurant la citoyenneté politique du sujet, postérieur à 1789 : qu’est-ce qui est jugé comme universellement désirable ? Longtemps, l’obstacle à cette mêmeté fut la différence des sexes : les femmes représentaient la différence sexuelle et ne pouvaient de ce fait être abstraites de leur sexe, à la différence des hommes. Cet excès des femmes était réservé pour la transcendance naturelle. Par conséquent, l’individu abstrait était synonyme de masculinité : la différence sexuelle des femmes était entendue comme une distinction naturelle. En ce sens la naturalité de l’identité n’était pas qualifiable à la procédure d’abstraction, présidant à la désignation de la personnalité juridique. Étant naturalisées en tant que catégorie identitaire, le féminisme juridique allait, ainsi, chercher à faire reconnaître la nécessité de ce traitement différentiel, à assumer la différence de nature, et au déni du problème représenté par le sexe pour la théorie politique républicaine. Insister sur le caractère naturel de la différence des sexes a permis d’insister sur cette immutabilité de la République, dans sa présentation corporelle. Le mythe de l’universalisme républicain opère comme le voile d’une certaine structure identitaire. Un paradoxe certain s’y loge : afin d’être admises comme citoyennes politiques, les femmes devaient endosser la naturalité de l’identité femme, que lui propose l’universalisme français et, qui l’en exclut ab initio, comme incapable d’être abstraite d’une identité de nature. Ce paradoxe se loge au cœur du projet féministe du XVIIIème siècle au milieu du XXème siècle, comme le démontre l’ouvrage de Joan Scott.

291. La période courant de 1789 à 1944, est révélatrice de cette essence sexuelle de la

citoyenneté politique. En effet, par une sorte de logique circulaire, une essence présumée des hommes et des femmes devient la ressource justificatrice du droit et des politiques publiques. L’autorité ultime invoquée fut un argument de « nature. » Le paradoxe du féminisme de cette période était qu’afin de combattre l’exclusion dont elles étaient victimes, les femmes devaient assumer la différence même qu’elles cherchaient à combattre. Aussi, « la différence sexuelle était établie non seulement comme fait de nature, mais aussi comme base ontologique pour la différenciation sociale et politique. »2 Le paradoxe construit sur le langage contradictoire du

1 LÉPINARD (É.), « « Malaise dans le concept », op. cit., p. 125.

républicanisme, a assimilé l’individualité à la masculinité. Cette rhétorique révolutionnaire a fait de l’individu abstrait la base de sa philosophie – comme plus petit commun dénominateur – alors que l’histoire de cette République n’a jamais reposé sur une telle notion inclusive : l’individu abstrait a toujours reposé sur la définition de son « Autre. » La différence organique des sexes a signifié des capacités distinctes. La difficulté de l’universalisme vient clore les questions possibles sur les mécanismes, par lesquels il établit les limites à l’individualité, qui peut être abstraite. La masculinité était assimilée à l’individualité ; la féminité était l’Autre de l’individualité. La naturalité de la définition de la féminité assurait l’abstraction masculine politique de la citoyenneté : au-delà des contextes juridiques distincts, se loge, précisément, la réitération de cette dialectique, du politique et du naturel. Ainsi, si l’universalisme « à la française, » semble exclure la notion politique de minorité, c’est que l’abstraction individuelle est déjà construite sur la naturalité des prédicats identitaires, de hiérarchies et d’exclusions.

292. Le combat mené par O. de Gouges lors des années précédant et suivant la Révolution

française, symbolise ce statut de la femme, objet et sujet, pour le législateur révolutionnaire. Alors que des droits civils sont garantis aux femmes en matière de mariage, notamment, elles demeurent objets de la citoyenneté politique. Avec la déclaration des droits de la femme de 1791, de Gouges entendait lancer une discussion sur la représentation de l’individu abstrait : la représentation reflète-t-elle une réalité antérieure ou crée-t-elle la possibilité d’imaginer une telle réalité ? Son combat vise à rechercher les termes par lesquels elle pourrait se représenter, et cette capacité à l’auto-représentation signifiait l’accès à la citoyenneté politique. Le combat pour la possibilité d’une représentation propre venait fragiliser la construction révolutionnaire d’une organisation naturelle et identifiée du monde social, la distinction du public et du privé, de la vertu et de la raison, du masculin et du féminin. La contradiction dans le discours de O. de Gouges, entre pertinence et absence de pertinence de la différence sexuelle, était qu’elle ne cherchait pas à établir la ressemblances des hommes et des femmes, et être qualifiée pour l’abstraction de la citoyenneté, mais à réfuter l’équation prédominante entre citoyenneté active et masculinité en associant les femmes, en tant que femmes, à cette citoyenneté active.

293. Cette distinction de la citoyenneté, active et passive, reposait sur des formes de

raisonnement antérieures à 1789, et définies selon une ligne de genre à la Révolution, à partir d’une lecture des organes sexuels. Ainsi, elle assumait le rôle préservé de manière instrumentale aux hommes, afin de le rendre disponible pour les femmes. La subjectivité politique des femmes passait, donc, dans le projet de O. de Gouges par le fait d’assumer cet

assujettissement naturalisé de la différence sexuelle. Par conséquent, « elle cherchait à assurer l’individualité de la femme, non en rejetant la différence sexuelle, mais en en égalisant les effets. »1 Cette identification imaginative des femmes aux hommes impliquait non pas de restructurer l’identité sexuelle elle-même, mais d’élargir ses possibilités sociales et politiques. L’abstraction procède d’une division genrée du monde : « viciant alors l’idée même de l’universalité la constituant comme couverture pour les intérêts (masculins) particuliers, »2 en assurant et protégeant par conséquent une représentation masculine de l’universalité.

294. Cette contradiction au cœur du projet républicain de l’universalisme peut-être retracée

tout au long du XIXème siècle, et notamment sous la figure de J. Deroin lors de la Révolution de 1848, avec la rhétorique des devoirs des citoyens3. Son projet, insistant sur la différence des femmes, est une forme de ré-articulation féministe de la critique de l’individualisme par le socialisme utopique : insister sur la différence sexuelle, comme unité de base de l’humanité, permettait de constituer une alternative à l’individualisme. C’est la dimension individualiste de l’universalisme républicain qui est réarticulée, toujours à partir de cette naturalité de la différence des femmes. Son projet se situait dans l’articulation des droits et des devoirs, dans le contexte de la Deuxième République : respecter ses devoirs, c’était aussi, avoir des droits et être incluses, dans la communauté politique. L’identité femme articulée sous cette République, fut la figure de la Mère. Assumer les devoirs de mère impliquait, selon Deroin, la possibilité d’avoir des droits : la maternité devient, dans le discours féministe, un travail productif et est assumée comme un trait définitoire d’une vision sociale de complémentarité de l’homme et de la femme. La distinction d’agentivité politique devait être effacée sous la naturalité de cette complémentarité. Le foyer était assimilé à l’État et la politique devenait, ainsi, le domaine des femmes : en intensifiant la naturalité des différences, Deroin cherchait à consolider, dans le contexte constitutionnel qui lui était disponible, une identité politique pour la femme. Deroin fait tomber l’exclusivité spatiale hommes – femmes fondée sur une nature de la différence sexuelle, mais vient construire une commune identité politique dérivant des devoirs politiques de citoyens, toujours, par contre, à partir de cette naturalité de la catégorie identitaire femme.

295. Le contexte constitutionnel de la Troisième République a vu la réarticulation de

l’identité féminine avec le combat de H. Auclert4, et le développement de la question sociale.

1 SCOTT (J.W.), Only paradoxes to Offer, op. cit., 1996, p. 41, (nous traduisons). 2 SCOTT (J.W.), Only paradoxes to Offer, op. cit., 1996, p. 42, (nous traduisons). 3 SCOTT (J.W.), Only paradoxes to Offer, op. cit., 1996, p. 57.

Sa perspective vise à réévaluer l’individualisme républicain à travers la dialectique du groupe et de l’individu. Le citoyen abstrait commençait à être socialement situé : il n’y avait aucun moyen de faire cas d’un intérêt spécifique féminin, lorsque le but était l’égalité avec les hommes. C’est le paradoxe de la différence sexuelle. Par conséquent, c’est aussi, l’articulation entre homme et femme, qui était à réorganiser. L’intérêt de l’État pour le social, conduisait à abandonner la notion de masculinité, au fondement de l’État ou, plus spécifiquement, à

distribuer la masculinité, parmi ses citoyens. Pour Auclert, l’explication de l’exclusion des

femmes par la théorie de l’évolution, n’était pas recevable, ni compatible, avec les idéaux égalitaristes de 1789 : si les femmes étaient exclues, c’est parce que l’inégalité politique était un effet de la division sociale du travail. La privation de droits civiques pour les femmes était la conséquence d’une dépolitisation de la question sociale : si les femmes sont assimilées à la sphère sociale, alors leurs droits passent par la capacité de représentation politique du social.

296. Son discours était profondément républicain, puisqu’elle cherchait à démontrer que les

femmes pouvaient être des citoyennes. Cependant, ce discours était ancré dans l’orientation genrée d’une différence de nature et en particulier « elles devaient aussi établir leur différence par rapport aux femmes qui symbolisaient tout ce qui était politiquement dangereux pour la République. »1 Le corps féminin présentait deux dangers pour la République : le premier trope était celui d’un corps ultra-sexualisé, le second était celui d’un corps ultra-religieux2. Le projet de Auclert est, donc, paradoxal autant dans sa mise en évidence des limites du projet de construction d’un sujet républicain masculinisé, que dans sa réaffirmation de cette partition ontologique du monde social. Cette analogie entre la famille et l’État laisse une place pour la promotion des intérêts des femmes ; la promotion d’une coopération parentale en lieu et place de la règle paternelle. La représentation politique des femmes était le moyen de viriliser la République, puisque la cosmologie républicaine était la complémentarité homme – femme.

297. Ce paradoxe a enfin, été réaffirmé cette fois sous les traits d’un individualisme radical,

avec M. Pelletier, dans l’entre-deux-guerres3: son but était de faire les femmes avant de leur

attribuer un sexe. Aussi, le problème de Pelletier était celui de la signification. La partition du

masculin et du féminin était, alors, respectivement celle de l’intellect et du mot. L’énonciation d’un mot implique une perte de masculinité. Par contre, il laisse la possibilité à une femme, si la masculinité n’est pas liée à une partition organique du monde, d’endosser cette masculinité

1 SCOTT (J.W.), Only paradoxes to Offer, op. cit., 1996, p. 100, (nous traduisons). 2 SCOTT (J.W.), Only paradoxes to Offer, op. cit., 1996, pp. 101-102.

et de devenir, partant, un véritable sujet de droit. L’accès à la condition de sujet (juridique) était, une nouvelle fois liée à la masculinité et à cette partition genrée du monde : la différence sexuelle apparaissait comme une différence antérieure à toute signification1. Cela impliquait que dans le féminisme de Pelletier, le statut propre du genre, en tant que représentation linguistique, n’est jamais devenu une préoccupation. L’individualité était une transcendance (masculinisée) vis-à-vis de toute appartenance groupale. La matérialité féminine du corps n’est pas jugée nécessaire pour accéder à l’individualité masculine de la subjectivité juridique. Le féminisme de Pelletier est donc construit autour d’une répression de cette partition genrée pré-linguistique du monde. La masculinité est dorénavant envisageable pour chacun des corps au-delà de leurs caractéristiques physiques : la finalité était de viriliser le corps des femmes. L’accès à la communauté politique consistait à avoir accès au phallus masculin, en dehors de la condition organique pré-linguistique dans laquelle renvoyait l’absence de pénis. Le but des

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