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Le pluralisme institutionnel : un refoulement râte du pluralisme en France

L’ORIENTATION PLURALISTE DU CONSTITUTIONNALISME

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 PREMIÈRE PARTIE

2- Le pluralisme institutionnel : un refoulement râte du pluralisme en France

a- Le pluralisme institutionnel de la République : situer le sujet de droit

259. Au-delà du refoulement moniste de principe qui trouve une certaine justification dans la

réitération de l’universalisme républicain, cette justification ne permet pas de refouler un certain nombre de foyers pluralistes. L’enjeu n’est pas de faire une étude exhaustive du cadre juridique du pluralisme en France, mais de démontrer que la référence républicaine à l’universalisme n’est pas suffisante. En somme, si la réitération de la figure de la République ne produit qu’un refoulement raté du pluralisme, la réitération de la République permet, par contre, de situer l’individu identifié par la République. Cette tension pluraliste trouve sa

1 MICHON-TRAVERSAC (A.-S.), La citoyenneté en droit public français, DRAGO (G.) (préf.), GICQUEL (J.) (avant-propos), L.G.D.J.,

coll. Varenne, Paris, 2009.

2 FARGUES (A.), Universalisme républicain, op. cit., p. 18. 3 FARGUES (A.), Universalisme républicain, op. cit., p. 30.

justification avec l’incorporation institutionnelle de la République dans la société française, suivant la définition offerte par Hauriou, de l’institution. L’incorporation assure une socialisation axiologique au cœur de la définition de la personnalité juridique par une intériorisation de la règle de droit (inscrit dans une civilisation qualifiée d’occidentale). L’histoire constitutionnelle française démontre ainsi une constitutionnalisation progressive de la notion de République institutionnelle assurant l’unité du « vivre-ensemble » : l’organisation institutionnelle de la Constitution met en œuvre son idée directrice1.

260. La référence à la République est aussi celle d’un État institutionnel constitutionnalisé

qui assure tout autant qu’il régule une conception du pluralisme autorisé : le pluralisme appartient au fondamental de la République – Institution. Plusieurs dimensions du pluralisme institutionnel peuvent être soulignées : le pluralisme vertical à travers la décentralisation, le pluralisme horizontal avec le pluralisme politique, et le pluralisme par les droits fondamentaux2. La République, à travers ce pluralisme présente une visée messianique, i.e. de sauvetage et de régularisation des sujets à travers une « spiritualité républicaine. »3 Le monisme n’est opératoire qu’associé à une tension pluraliste – d’orientation de l’espace – que le Conseil va mettre à jour, notamment au regard de la décentralisation administrative4. Cette tension butte, par contre, sur l’uniformité identitaire du peuple français. Le problème de la République – institution n’est pas le pluralisme, mais l’identité de la République5. Aussi, la tension pluraliste réside dans l’identité de l’homme indifférencié promu par la République, et la décision du Conseil constitutionnel sur le peuple corse le démontre adéquatement (infra).

261. Cette situationalité de l’individu à travers la référence pluraliste trouve une origine dans

la jurisprudence du Conseil : l’adaptation de l’uniformité à la Démocratie. Le pluralisme a été dégagé en tant que principe constitutionnel d’interprétation, même si son statut demeure complexe6. Le pluralisme est progressivement passé de qualificatif descriptif, à celui d’objectif de valeur constitutionnelle, la difficulté résidant dans son domaine d’affirmation. Si la normativité de l’objectif est réduite, s’appuyant sur la forme des droits dont il assure l’effectivité, l’objectif est un but assigné au législateur par la Constitution, servant de guide interprétatif des conduites. À titre d’objectif, le pluralisme est une condition objective et

1 DESWARTE (M.-P.), Essai sur la nature juridique de la République. Constitution, institution ?, L’Harmattan, Logiques Juridiques,

Paris, 2003, pp. 12-13 et spéc. p. 230.

2 EHRLICH (S.), « Le problème du pluralisme », op. cit., pp. 113-114. 3 VIOLA (A.), La notion de République, op. cit., p. 21.

4 VIOLA (A.), La notion de République, op. cit., p. 164. 5 VIOLA (A.), La notion de République, op. cit., pp. 214-218.

téléologique d’effectivité des droits fondamentaux, la liberté d’expression en l’occurrence1. En suivant P. de Montalivet, l’on peut faire une distinction, dans cette jurisprudence, entre ce qui relève du domaine du pluralisme des courants d’expression et du pluralisme politique2.

262. En effet, dans sa décision des 30 et 31 octobre 1981, le Conseil rattache dans son

considérant 13 « l’expression libre et pluraliste des idées et des courants d’opinion » à une obligation découlant du respect des principes constitutionnels d’égalité et de liberté3. C’est en 1982 que le Conseil consacre le pluralisme comme objectif de valeur constitutionnelle au considérant 5, « la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels. »4 Un objectif est une norme de conciliation, permettant de fixer les limites de certains droits fondamentaux. Par la suite, le Conseil constitutionnel a mobilisé et élargi progressivement la référence au pluralisme : le pluralisme des « quotidiens d’information politique et générale » rattaché dans une décision du 11 octobre 1984 à l’article 11 de la Déclaration de 1789 (le pluralisme doit « être effectif » au considérant 50 pour permettre un « exercice effectif » des libertés de l’article 11, au considérant 52)5, pluralisme politique réaffirmé, certes dans son lien avec l’article 11, dorénavant toutefois un objectif de valeur constitutionnelle « en lui-même »6 à partir de deux décisions de 19867, et postérieures8.

263. En 1989, le Conseil vise l’objectif plus large du pluralisme des modes ou moyens de

communication9. Le Conseil constitutionnel visera par la suite le pluralisme des courants de pensée et d’opinion10 comme fondement de la démocratie : « le respect de son expression est une condition de la démocratie. »11 Dès 1990, le Conseil lie bien le pluralisme, au-delà de cette distinction entre courants d’expression et politique, à la démocratie. Si, cependant, le pluralisme est un objectif principal de valeur constitutionnelle, ou l’objectif le mieux protégé,

1 De MONTALIVET (P.), Les objectifs de valeur constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2006. Du même auteur : « Les objectifs de valeur

constitutionnelle », Cah.C.C., no. 20, juin 2006.

2 Le caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels et des courants d’idées et d’opinions politiques.

3 Décision n° 81-129 D.C. du 31 octobre 1981, Loi portant dérogation au monopole d’État de la radiodiffusion, Rec. p. 35, cons. 13. 4 Décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, Rec. p. 48, cons. 5.

5 Décision n° 84-181 D.C. du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme

des entreprises de presse, Rec. p. 78, cons. 38.

6 ETIEN (R.), « Le pluralisme : objectif de valeur constitutionnelle », R. A., 1986, vol. 39, n°233, pp. 458-462.

7 Décision n° 86-217 D.C. du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, Rec. p. 141, cons. 11 : « est en lui-même un

objectif de valeur constitutionnelle » ; Décision n° 86-210 D.C. du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse,

Rec. p. 110, cons. 20.

8 Décision n° 2000-441 D.C. du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificatives pour 2000, Rec. p. 201, cons. 18 ; Décision n° 2001-456

D.C. du 27 décembre 2001, Loi de finances pour 2002, Rec. p. 180, cons. 37 assure l’exercice effectif de la liberté proclamée par l’article 11.

9 Décision n° 88-248 D.C. du 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n°86-1067 relative à la liberté de communication, Rec. p. 18, cons. 26. 10 Décision n° 89-271 D.C. du 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales, Rec. p. 21, cons. 12 ; Décision n° 2000-

428 D.C. du 04 mai 2000, Loi organisant une consultation de la population de Mayotte, Rec. p. 70, cons. 21 ; Décision n° 2003-468 D.C. du 03 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régionaux, Rec. p. 325, cons. 12 ; Décision n° 2004-490 D.C. du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie Française, Rec. p. 41, cons. 84.

il appert que le Conseil limite son contrôle à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation1, sans toutefois le restreindre à un contrôle de proportionnalité : dans le cas du pluralisme politique cet objectif est le fondement de la démocratie, alors que dans le cas de la communication il en est une condition. La complexité de cette imprégnation du pluralisme dans la jurisprudence constitutionnelle est qu’il peut potentiellement s’appliquer à l’ensemble des droits et libertés fondamentaux – puisque ne disposant pas de fondement constitutionnel précis, et qu’il est appliqué sans être visé expressément dans des matières institutionnelles, comme s’agissant de la libre administration des collectivités territoriales. Étant lié comme fondement à la démocratie, le pluralisme présente une dimension institutionnelle. Par ailleurs, il peut servir de dispositif d’interprétation de l’ensemble des droits fondamentaux. Ces foyers de pluralisme situent le sujet sur le sol de la République, en écartant le problème de l’identité du sujet : le paradoxe républicain de l’articulation démocratie et pluralisme institutionnel.

b- Le pluralisme institutionnel : la tension démocratique de la République

264. Le pluralisme institutionnel découle de l’idée qu’une représentation du pluralisme est au

fondement d’une conception démocratique de l’État2. L’unité est en tension entre indivisibilité et pluralisme: le pluralisme est la correction dans la sphère civile de l’uniformité étatique. Or, « le pluralisme est attribué à ou enfermé dans la sphère sociale, puisqu’il est reconnu en liaison avec le respect des droits fondamentaux. D’autre part, il n’est qu’un objectif et non un principe ou une règle. »3 Le droit constitutionnel oscillerait entre les pôles de l’unité et de la pluralité, tension retrouvée dans le concept même de représentation4. Ce pluralisme découle d’une tension démocratique : le droit public fait cohabiter ces exigences. Cette dimension a été consacrée par le Conseil en 1990 : « l’exigence du pluralisme des courants d’idées et d’opinions qui constitue le fondement de la Démocratie. »5 Cette exigence est une ouverture matérielle du droit constitutionnel visant à assurer la cohésion du groupe6. Cette ouverture matérielle est la représentation d’un ordre social désirable dans les termes de G. Burdeau : « j’appelle cette représentation idée de droit parce que le type de

1

Décision n° 93-333 D.C. du 21 janvier 1994, Loi modifiant la loi n°86-1067 relative à la liberté de communication, Rec. p. 32, évoque au cons. 32 une absence « d’atteinte caractérisée » ; Décision n° 2003-468 précitée, évoque au cons. 42 l’absence de modalités « manifestement inappropriées » et que la conciliation « n’est pas entachée d’erreur manifeste » ; de même la Décision n° 2004-490

précitée, au cons. 85 évoque l’absence d’une « atteinte manifestement excessive. » Le contrôle est restreint à l’erreur manifeste

d’appréciation.

2 ZOLLER (É.), « Le pluralisme, fondement de la conception Américaine de l’État », A.P.D., 2005, vol. 49, pp. 109-122. 3 GREWE (C.), « L’unité de l’État », op. cit., p. 1355.

4 GREWE (C.) et RUIZ-FABRI (H.), Droits constitutionnels européens, P.U.F., coll. Droit Fondamental, 2ème Éd., 1999, p. 193.

5 Décision n° 89-271 D.C. du 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales, Rec. p. 21, cons. 12, (nous soulignons). 6 BIZEAU (J.-P.), « Pluralisme et Démocratie », R.D.P., 1993, pp. 513-542, p. 514.

société auquel elle se réfère apparaît comme devant être accompli ou garanti par la réglementation juridique. » Il précise, « la fonction du pouvoir est de satisfaire les exigences incluses dans cette image de l’avenir désiré. »1 Le pluralisme, au fondement d’un pouvoir

démocratique, résiderait dans la variété des opinions et des conduites protégée par les libertés.

265. Le pluralisme institutionnel est « l’expression de la promotion des groupes résultant de

l’avènement de l’homme situé » contribuant à insérer l’homme dans son contexte social. Il s’agit notamment de ce que l’on a qualifié de pluralisme politique2. Le pluralisme politique trouve son origine intellectuelle en Grande Bretagne entre 1730 et 1750. Le pluralisme politique caractérise la transition du régime mixte de la tolérance religieuse et du droit de résistance au système de la responsabilité politique. Le modèle de la responsabilité politique est le moyen « de faire coexister le conflit d’opinions avec un consensus fondamental quant à la survie même des institutions. »3 Si le modèle de la responsabilité n’est sans doute plus l’unique instrument du pluralisme, le modèle de la démocratie pluraliste est dorénavant commun aux démocraties européennes : « celle-ci veut que l’État et la société entretiennent des rapports étroits de proximité pour empêcher un trop grand décalage entre le pays légal et le pays réel et pour garantir la qualité du processus de formation de la volonté politique. »4 Cette transition pluraliste des démocraties serait liée, d’une part, à une transformation de la représentation, et d’autre part au rôle joué dorénavant par les partis politiques. C’est le cas par exemple de la décision précitée du 11 janvier 1990 sur le financement des partis politiques ; c’est encore le cas de la décision des 17, 18 et 24 juin 1959 sur le règlement de l’Assemblée Nationale5, ou encore de la décision du 18 mai 1971 sur la modification du règlement du Sénat6 (absence de contrôle sur le contenu des déclaration des groupes). En étant le fondement de la démocratie, c’est plus largement à la sphère politique que le pluralisme est lié. Or, la sphère publique est phagocytée par une conception politique de l’appartenance.

266. Dans un prolongement du pluralisme institutionnel, plusieurs études ont démontré un

enracinement pluraliste du droit public. Sans prétendre à l’exhaustivité, trois exemples sont probants. S. Lavorel a mis notamment en évidence des manifestations du pluralisme juridique en France contribuant à l’émergence d’un proto-droit français des minorités nationales, et ce à

1 Cité par BIZEAU (J.-P.) « Pluralisme et Démocratie », op. cit., 514. 2 BIZEAU (J.-P.), « Pluralisme et Démocratie », op. cit., p. 531.

3 PIMENTEL (C.-M.), « Quelques remarques sur les origines intellectuelles du pluralisme politique », in FONTAINE (L.) (dir.), op. cit.,

2007, pp. 29-52.

4 GREWE (C.) et RUIZ-FABRI (H.), op. cit., pp. 223 et suivantes, et spéc. p. 240. 5 Décision n° 59-2 D.C. du 24 juin 1959, Règlement de l’Assemblée nationale, Rec. p. 58.

partir des années 19701. L’outre-mer français serait topique de formes de différentialismes républicains tenant compte des enjeux locaux : c’est une forme de pragmatisme pluraliste. On en trouve un exemple avec la protection constitutionnelle des statuts personnels, faisant « des concessions plus ou moins faciles aux systèmes normatifs religieux ou coutumiers en les intégrant dans le droit de la République. » En laissant l’organisation du jeu des normes d’origine coutumière aux Assemblées territoriales, ces statuts sont un foyer pluraliste2. Toutefois, ce pluralisme reste limité dans l’unité du régime républicain3. La décentralisation démontre que l’indivisibilité de la souveraineté n’est pas absolue, tout en assurant l’unité du pouvoir normatif et le rejet de toute compétence d’auto-organisation4. Dans ce cadre, le pluralisme se manifesterait, notamment, en outre-mer, A. Viola allant jusqu’à évoquer un État pluri-législatif5. En effet, les articles 73 et 74 de la Constitution traduisent la possibilité pour le législateur de tenir compte des particularismes locaux. L’on s’accordera avec F. Fournié, partant, pour dire que la décentralisation traduit un pluralisme organisé par l’État6 qui trouve dans le pouvoir réglementaire des collectivités locales l’expression d’un droit institutionnel7. Un foyer de pluralisme institutionnel pourrait découler du récent principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit local dégagé par le Conseil constitutionnel8. En dehors de dispositions constitutionnelles, le Conseil veillera à l’uniformité de l’identité.

267. Un autre exemple peut être tiré des relations entre ordre juridique étatique et ordres

religieux. En effet, « comme toute institution, l’institution religieuse secrète un droit qui lui est propre. »9 Aussi, elles peuvent concurrencer l’État « en soumettant leurs fidèles à un certain nombre d’interdits et d’obligations dans des matières qui relèvent de la compétence étatique. »10 Si la loi de 1905 qui met fin au régime concordataire de hiérarchie entre les cultes et le principe de laïcité encadrent les relations entre ces institutions religieuses et l’État, d’un côté « l’ordre étatique peut se mobiliser pour la défense des convictions religieuses individuelles, » et d’un autre, « le respect de la liberté de conscience peut prendre la forme de

1 LAVOREL (S.), Des manifestations du pluralisme juridique en France. L’émergence d’un droit français des minorités nationales,

BIAYS (J.-P.) (dir.), dactyl., Grenoble II, 2007.

2 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Dalloz, coll. Nlle Bibl. de

Thèses, Paris, 2003, p. 600.

3

PASTOREL (J.-C.), « Le principe d’égalité en Outre-Mer », Nv. Cah.C.C., 2012, vol. 35, n°2, pp. 73-93.

4 VIOLA (A.), La notion de République, op. cit., pp. 139 et suivantes. 5 VIOLA (A.), La notion de République, op. cit., pp. 169-173.

6 FOURNIÉ (F.), Recherches sur la décentralisation, op. cit., p. 467 et suivantes. 7 FOURNIÉ (F.), Recherches sur la décentralisation, op. cit., pp. 549-551.

8 Décision n° 2011-157 Q.P.C. du 5 août 2011, Société Somodia, Rec. p. 430. GUEYDAN (C.), « La constitutionnalisation du droit local

d’Alsace-Moselle et la question prioritaire de constitutionnalité », R.F.D.C., 2013, no. 96, pp. 857-878.

9 FOREY (E.), État et institutions religieuses. Contribution à l’étude des relations entre ordres juridiques, P.U. Strasbourg, coll. Société,

Droit et Religion en Europe, Strasbourg, 2007, p. 9.

dérogations au droit étatique. »1 Aussi, les libertés constitutionnelles participent d’une forme de reconnaissance de normes religieuses : le principe de laïcité n’est pas négatif et conduit à la garantie d’un pluralisme confessionnel. L’ordre étatique participe d’une reconnaissance de l’ordre institutionnel dont procèdent ces règles. Cette reconnaissance institutionnelle peut trouver une justification dans l’indépendance de ces institutions religieuses – le rejet du gallicanisme et la souveraineté dans le domaine spirituel de ces institutions. L’ordre étatique se refuse à intervenir dans les dogmes religieux2 ou dans le fonctionnement intérieur de ces institutions3. Ce principe trouve une prolongation avec l’autonomie de ces institutions dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire, soustrait en principe au contrôle de droit commun – dans la limite représentée par l’abus de droit. Mais cette reconnaissance se marque aussi, en contre point, par la capacité dont dispose l’État pour délimiter l’ordre public. Dans certaines hypothèses le droit étatique peut prendre en compte directement les systèmes confessionnels notamment lorsqu’il opère un renvoi au droit interne des Églises. Ainsi, « si le droit français attache des conséquences juridiques aux règles d’organisation des Églises, c’est parce que ce droit protège la liberté religieuse dans sa dimension individuelle mais également dans sa dimension institutionnelle. »4 Le pluralisme religieux est un pluralisme institutionnel, par la prise en compte des normes religieuses avec une étatisation des normes religieuses5.

268. On peut évoquer, enfin, la prise en compte du « sentiment d’identité. » Tel que le note

D. Gutman, « à la relation intersubjective se superpose ainsi une relation entre le droit et son sujet, dans laquelle le droit se trouve assumer la fonction d’un véritable ‘ordre de la reconnaissance. »6 La reconnaissance du sentiment d’identité transite à travers des foyers de pluralisme juridique, dont le principal est la règle de conflit en droit international privé, si l’on pense au rattachement du statut personnel à la nationalité. Une telle règle de conflit conduit à reconnaître la spécificité de l’étranger et des effets juridiques à l’appartenance de l’individu. La nationalité devient un « rattachement culturel. » Dans le respect des règles d’ordre public, « le droit de se prévaloir de sa loi nationale permet donc de traduire en actes l’attachement à un type de société ou de civilisation. »7 Cette règle a une vocation pluraliste limitée, dans ses manifestations identitaires, par l’ordre public corporel. La réitération de la République en tant

1 FOREY (E.), État et institutions religieuses, op. cit., respectivement p. 18 et p. 19.

2 Par exemple, le juge administratif se refuserait à porter une interprétation du foulard islamique ou de la lettre de répudiation – get – en

droit mosaïque.

3 FOREY (E.), État et institutions religieuses, op. cit., pp. 57-87. 4 FOREY (E.), État et institutions religieuses, op. cit., p. 230.

5 TAWIL (E.), Norme religieuse et droit français, VENTURA (M.) (préf.), P.U.A.-M., coll. Droit et Religion, Paris, 2001, p. 169. 6 GUTMAN (D.), Le sentiment d’identité. Étude de droit des personnes et de la famille, TERRÉ (F.) (préf.), L.G.D.J., coll. Bibliothèque de

droit privé, t. 327, Paris, 2000, p. 213.

que justification n’explique pas le développement de foyers de pluralisme juridique. Par ailleurs, ce pluralisme institutionnel conduit bien à situer l’individu au cœur de la République : il y a une performance identitaire. Le droit modèle la personne juridique selon des concaténations identitaires de sorte à ce que la fiction de la personne juridique représente la fiction de la personnalité de l’État. La fiction dans l’idéal républicain a en réalité produit un sujet identifié par une personnalité juridique, centre d’imputation des droits et libertés. Partant, « le droit, en encadrant les usages du corps, engage bien en effet, une représentation de la personne – entité dont on souligne à l’envi qu’elle est au centre de l’ordre juridique. »1

c- Le pluralisme par les droits fondamentaux : une potentialité pluraliste (administrative)

269. Un pluralisme institutionnel résiderait aussi dans l’utilisation des droits fondamentaux,

fondements constitutionnels potentiels d’une tension pluraliste au cœur de la République. Certains évoquent une érosion, voire une dilution, de la République à travers la promotion de ces droits2. Selon C. Grewe, « les droits fondamentaux sont généralement compris comme exprimant les valeurs d’une société ; en cela ils sont représentatifs d’une culture juridique. »3 Ainsi, il y a une tension entre la protection de la différence et la réaffirmation d’une identité nationale. L’individualisme juridique permet l’expression d’un pluralisme tout en insérant l’individu dans une appartenance culturelle. Le pluralisme à travers la protection des droits a trouvé différents fondements constitutionnels4. En effet, le pluralisme peut être garanti dans son expression libérale et individuelle à travers la protection de la liberté d’opinion (art. 10 de

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