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Identification et personnalité juridique du sujet : concaténations identitaires

L’ORIENTATION PLURALISTE DU CONSTITUTIONNALISME

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 PREMIÈRE PARTIE

1- Identification et personnalité juridique du sujet : concaténations identitaires

276. La notion de personnalité juridique est une notion cardinale. En effet, « la personnalité

juridique fait partie de ces concepts primaires et fondateurs du droit qui constituent les points d’ancrage de la fiction juridique. »1 Elle permet d’entrer dans le commerce juridique en y étant identifié. Aussi, la personnalité juridique est une forme d’identification du sujet et une certaine concaténation identitaire. Ces deux points seront successivement évoqués.

a- La personnalité juridique comme fiction

277. La personnalité juridique peut être définie comme « la faculté d’être le siège de droits et

d’obligations. Celle-ci se réalise par la capacité, c’est-à-dire l’aptitude à acquérir des droits et obligations. »2 La notion de personnalité se concrétise par la notion de capacité, c’est-à-dire

être capable de, ce qui implique deux idées : la première est une notion individualiste de

capacité qui exprime une manifestation consciente de volonté, la seconde est que le champ de la capacité est définie extérieurement à la personne qui veut juridiquement. Il faut un élément volitif et un élément de droit objectif, indépendant par ailleurs « des variables de sa réalisation. »3 La personnalité juridique, en tant que support, fournit « la capacité à être sujet de droit, » qui se présente « comme l’acteur, l’élément actif ou passif d’un rapport de droit. »4 Il y a l’expression d’un collectif au cœur de la construction de ce rapport juridique. L’intégration du collectif est ce tiers qui consacre la figure du sujet juridique ; elle le situe dans un corps et dans une situation sociale5. Chaque champ du savoir lui attribue des prédicats qui viennent constituer son contenu matériel. Le corps du sujet juridique lui sert alors de « vecteur de socialisation. » Le corps ne sera pas similairement socialisé selon le contenu qui lui sera accordé sur la scène du droit. La structure et les composantes de la personne étant indisponibles, la personne juridique est marquée par l’expression de la volonté de l’État : la personne humaine n’émerge qu’au sein d’un ordre public de la personne6. Étant donné que de cette configuration en découle la capacité à être sujet de droit, et sujet de droits fondamentaux, de l’expression progressive de cette personne en découle conséquemment une

1 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 242.

2 ROUYERE (A.), « Les personnes publiques spécialisées », in GONOD (P.), MELLERAY (F.), YOLKA (P.) (dir.), Traité de droit

administratif, Dalloz, coll. Traités, Paris, 2011, T. II, pp. 333-379, p. 336.

3 ROUYERE (A.), « Les personnes publiques spécialisées », op. cit., p. 336. 4 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 10.

5 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 42 : « le concept de personne humaine allie donc, selon le

principe d’unité, la corporéité et la socialité du sujet de droit, autrement dit il guide le fonctionnement de la personnalité juridique en contextualisant le rapport juridique. »

possibilité différentielle d’être sur l’espace public. La fiction de la personne comme concaténation est inscrite dans la naturalité de l’abstraction du citoyen.

278. La personnalité juridique est une fiction a priori détachée de tout lien avec la réalité non

juridique ou de tout lien corporel avec l’individu. La personne juridique est un centre fictif d’imputation par sa fonction de représentation. Cette notion de personnalité juridique a fait l’objet de nombreuses critiques et notamment celle de Duguit face au rapatriement d’une conception germanique de la personne comme titulaire de droits subjectifs, i.e. d’intérêts juridiquement protégés. Duguit critique cette nécessité de la fiction qui ne se contente pas de la simple observation de la réalité. Le droit subjectif n’est « rien si ce n’est une imagination métaphysique. »1. La critique duguiste de la personnalité provient de cet élément d’intérêt ajouté par Jhering à la relation juridique : le sujet de droit peut avoir un intérêt contre l’État, alors que le rapport objectif de droit pour Duguit est un rapport solidariste. Le sujet de droit est « l’être auquel s’applique le droit objectif et qui peut être titulaire d’un droit subjectif. »2 La notion de personnalité morale serait un « fatras métaphysique. » Impliquant l’existence de deux volontés et d’une hiérarchie, cette notion doit être écartée pour caractériser le rapport de droit public3; la personne juridique n’est pas le fruit d’un acte de volonté, mais son existence positive découle du droit objectif. Ce « droit de vouloir juridiquement » défini comme liberté, n’existe plus, « l’homme n’a point le droit d’être libre ; il a le devoir social d’agir, de développer son individualité et de remplir sa mission sociale. »4 Le commerce juridique apparaît bien dans sa dimension d’actualisation du droit objectif, de l’expression du collectif au cœur de la volonté/liberté du sujet de droit : la personnalité ne peut se trouver dans l’acte de volonté. La personne juridique est une hypostase ; la création métaphysique d’une réalité en soi. Elle souligne cependant l’expression de la collectivité au cœur du sujet de droit : « l’individualité s’accroît proportionnellement à la socialité et réciproquement. »5

279. La notion fictive de personne joue un rôle de « support conceptuel, » un métalangage

dans le discours juridique. Elle agit comme « véhicule rassembleur d’autres signifiants afin de produire un sens nouveau qui ne dépend que du choix et de la combinaison des composantes attribuées à la personne. »6 Elle est un support unitaire jouant un rôle de représentation, i.e.

1 DUGUIT (L.), Leçons de droit public général, op. cit., p. 49. 2 DUGUIT (L.), Leçons de droit public général, op. cit., p. 95.

3 DUGUIT (L.), Les transformations générales du droit privé, L.G.D.J., coll. La Mémoire du Droit, Paris, 2008, pp. 8-10. 4 DUGUIT (L.), Les transformations générales du droit privé, op. cit., p. 37.

5 DUGUIT (L.), Études de droit public. I. L’État, le droit objectif et la loi positive, Bibliothèque de l’histoire du droit et des institutions,

Édition Albert Fontemoing, 1901, Chapitre II : « la règle de droit. »

rendant présent pour le réel juridique ce qui en est absent, et une fonction grammaticale qui est celle d’actualiser le sujet. Partant, la personne juridique a une fonction prédicative qui est que seule le sujet est la marque de la volition juridique, et une fonction référentielle, qui correspond à une fonction attributive d’action1. La personne permet de rendre présent à la réalité juridique : « la personne ne prend de contenu que par les prédicats qu’elle abrite, »2 et selon les prédicats reçus, elle permet de conférer une présence et une actualisation dans le discours juridique. Ainsi, si les droits de l’homme se fondent sur l’universalité de la personnalité juridique, ils se fondent alors sur l’universalisation d’une orientation identitaire. En effet, cette personne juridique, plus ou moins humaine, « synthétise les représentations sociales de l’humain, les aspects dignes de protection en raison de l’image que le collectif renvoie aux sources du droit, de ce que sont les éléments constitutifs de l’humain. »3

280. L’orientation pluraliste de la personnalité juridique comme personne humaine tend à

contextualiser le sujet de droit. Aussi, ce dernier n’est sujet de droit que précisément s’il se conforme aux prédicats identitaires projetés sur le concept de personne. La personnification est une forme d’accord de l’ordre juridique pour s’adresser à tel ou tel sujet qui en tant qu’il est identifié, d’une certaine manière, peut être sujet de droit. L’individu fait, par conséquent, l’objet d’une adresse performative qui le fait exister en tant que réalité juridique, selon une certaine identité. Mais l’individu doit, d’abord, faire l’objet d’une adresse identificatoire. En fixant les conditions de la personnification, le droit public ne fait que systématiser une orientation phénoménologique, en direction de certains sujets. L’octroi de la personnalité personnifie l’ordre juridique dans son ensemble et l’adresse de personnification est, aussi, une adresse de normalisation. Le sujet de droit n’est personnifié qu’à travers les éléments qui sont nécessaires au commerce juridique, établissant de la sorte une hiérarchie des sujets de droit. Il s’agit d’un pouvoir collectif sur le sujet, qui devient l’expression juridique de l’orientation identitaire d’une collectivité. Ainsi, le sujet est à l’image de l’État et l’État est bien à l’image du sujet : l’État projette les éléments de la subjectivité juridique. L’unité de la personne est l’expression directe de la souveraineté qui s’adresse à certains sujets : la personnification est un acte social de normalisation. La personne est bien une qualification juridique orientée.

1 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., pp. 257-258. 2 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 282. 3 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 296.

b- La personne humaine comme concaténations identitaires

281. Si la personne juridique est une qualification juridique orientée, elle est une fiction

performative car elle produit une réalité juridique. Or, l’universalisme au fondement du droit

public s’exprime à travers l’universalisation de la personne comme structure et d’un individu abstrait de ses attaches concrètes. Il y a, au fondement de l’universalisme juridique, une concaténation identitaire. Loin d’être une fiction, la personnalité serait une abstraction : « comme pour participer à une soirée costumée, il faut un masque, une persona, pour accéder au droit en tant que sujet. (…) N’entre pas qui veut ; il faut être coopté. »1 Les prédicats de cette personne font l’objet d’un choix. C’est une reconstruction de la réalité sociale par le discours juridique. Cette orientation de la personne s’inscrit dans une orientation identitaire constitutive de la personne. Ainsi, « chaque figure du sujet correspond aux exigences du rapport de droit entretenu qui donne à voir les caractéristiques souhaitées. »2. Le système juridique sélectionne les composantes identitaires qui pourront faire l’objet d’une réception et transiter à travers la frontière identitaire de la normalité juridique. Le corps est intégrateur car où il contribue à positionner la personne dans la réalité juridique. Selon l’identification du sujet, ce dernier ne peut se mouvoir, également, dans la sphère publique. La condition du sujet est liée à sa corporéité, qui le situe dans le temps et l’espace. La subsomption du corps du sujet, par l’abstraction de la personnalité, traduit la naturalisation d’une certaine corporéiété du sujet. Le mécanisme d’identification est double : la fiction de la personnalité projette des prédicats identitaires sur la personne, comme support de socialisation du sujet, et fonctionnant par abstraction ; la naturalisation de la structure identitaire normale du corps abstrait du sujet.

282. La structure identitaire du constitutionnalisme est projetée sur un sujet juridique dont le

corps est recréé dans le discours juridique, puis naturalisé, relativisant les frontières de l’espace privé et de l’espace public. La personnalité juridique est un centre identitaire orienté d’imputation normative : ce phénomène de reconnaissance est un agencement identitaire. En étant identifié comme personne juridique, l’individu accède à la dignité juridique, en même temps que son comportement est lui-même standardisé. La personne humaine explicite ce contenu normatif venant se loger dans le phénomène d’identification de la personnalité. En découle, notamment, une explicitation nouvelle de l’ordre public identitaire. L’humanisation de la personnalité juridique implique un questionnement nouveau autour de la problématique

1 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., pp. 314-315. 2 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 313.

identitaire, dans la mesure où « l’identité constitue donc l’ancrage de la personne. »1 Si la concrétisation de la personne implique une prise en compte de l’identité du sujet, elle est aussi la réaffirmation des frontières identitaires de ce sujet : « la reconnaissance juridique de choix personnels est souvent perçue comme la consécration de groupe minoritaire. »2 La concrétisation vient confirmer l’indisponibilité de la personnalité. En effet, l’humanité est réaffirmée au cœur de chaque sujet3. L’humanité étant elle-même un concept a priori orienté, le pluralisme possible lié à la socialisation de la personne juridique s’inscrit toujours dans les interstices de ce qui est considéré comme digne des normes identitaires de l’humain.

283. L’ordre public de la personne humaine est lié à une représentation de cette humanité.

L’État trouve ainsi sa matérialisation corporelle dans la dialectique de la dignité objective de l’humain, et la dignité subjective de la personnalité juridique du sujet. L’homme de 1789 est désormais situé. Paradoxalement, la dignité de la personne humaine est, aussi, ce qui rend vulnérable le sujet de droit au processus de reconnaissance et d’assujettissement, par lequel le droit public le saisit, à travers la figure de la personnalité juridique. Le pluralisme encadré par les normes morales de l’identité et du normal, vient enraciner le sujet juridique, titulaire des droits fondamentaux. Chaque droit fondamental vient réaffirmer les limites identitaires d’une collectivité, i.e. la force illocutoire de la dignité de la personne humaine. Le sujet est enfermé, s’agit-il d’une orientation identitaire, implicite ou explicite, dans une double condition de

dignité et de vulnérabilité, dont on lui dicte les termes de constitution. L’orientation humaine

de la personne n’est que l’explicitation d’une orientation identitaire de la personnalité. Elle s’inscrit dans cette fragilité liée au processus foucaldien d’assujettissement ou hégélien de reconnaissance : à l’adresse contextuée par laquelle un individu est interpellé correspond la réaffirmation d’un ordre public identitaire. L’universalisme juridique est construit autour de la promotion d’un certain dehors constitutif identitaire. Alors que le refoulement a démontré que la réitération traumatique de la Révolution permettait en creux de situer le sujet, ce dernier a été lui-même déjà identifié selon une certaine structure de normalité, à travers ce processus d’identification pathologique, qu’est la figure de la personnalité juridique. Le sujet de droit est sujet, lorsqu’il se conforme aux termes de cette identification. La personne est concaténation identitaire. Aussi, un mouvement corollaire vient naturaliser cette concaténation identitaire.

1 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 528. 2 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 549. 3 BIOY (X.), Le concept de personne humaine en droit public, op. cit., p. 697.

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