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1.4 Enjeux et conséquences de l’érosion et du transport sédimentaire

1.4.1. Les plaines agricoles du Nord-Ouest de l’Europe, cas du bassin versant du Louroux

L’avènement de l’agriculture moderne en France

A l’issue de la seconde guerre mondiale, l’agriculture a connu un développement sans précédent en Europe. Au sortir de la guerre, la France se reconstruit et réorganise son agriculture en la modernisant. En quelques décennies, les paysages agricoles européens et français sont bouleversés. Pour accroître la production agricole et atteindre l’autosuffisance alimentaire, de nouveaux systèmes culturaux se développent (Antrop, 2005). La révolution agricole repose sur plusieurs principes fondamentaux que sont l’accroissement de la production végétale et animale, et l’augmentation de la surface des exploitations (Flamant, 2010). C’est ainsi que les petites fermes laissent peu à peu la place à des entreprises agricoles gérées de manière à augmenter les rendements et la productivité (Desriers, 2007).

Les paysages ruraux sont redéfinis et la taille des exploitations augmente considérablement. Cette politique de remembrement intensif est particulièrement menée dans les plaines agricoles céréalières françaises. Le regroupement et l’agrandissement des parcelles engendrent une mécanisation quasiment systématique des campagnes. Pour accroitre les rendements, l’utilisation massive d’intrants (amendements, engrais et produits phytosanitaires) et la spécialisation de la production (monoculture) se généralisent.

Ces mutations agricoles ont, en l’espace de quelques décennies, fait de la France le premier producteur agricole de l’Union Européenne. Cependant, à partir du milieu des années 1980, cette agriculture intensive qualifiée de productiviste est de plus en plus soumise aux critiques des consommateurs, massivement informés par les médias. En effet, les crises sanitaires successives (ex. crise de la vache folle en 1996) et la dégradation de la qualité de l’environnement (pollution des eaux, des sols…) ont engendré une prise de conscience quant aux limites de l’agriculture intensive. C’est dans ce contexte que la problématique de la préservation des hydrosystèmes et de la ressource sol émerge en France et plus largement en Europe (Flamant, 2010).

L’érosion des sols, conséquence majeure de l’intensification de l’agriculture

La littérature s’est intéressée dès le début des années 1980 aux conséquences de l’agriculture intensive et plus généralement de l’anthropisation galopante sur la qualité des écosystèmes (Dearing et al., 1981; Forstner and Wittmann, 1981; Lindstrom et al., 1992; Meybeck and Helmer, 1989). En plus de la dégradation de la qualité écologique des cours d’eau, l’érosion des sols constitue une des conséquences directes de l’intensification des pratiques agricoles.

En effet, les phénomènes érosifs, de plus en plus récurrents, constituent un des processus majeurs de dégradation des sols et menacent directement leur durabilité (Commission of the European Communities, 2006). L’érosion des sols est particulièrement intense dans les zones agricoles où les aménagements sur les versants, en augmentant la connectivité entre les sources de particules et les cours d’eau, induisent des transferts de matière accrus. Cette notion de connectivité sédimentaire établit le lien entre les sources et les « puits » de particules. Elle est de plus en plus prise en compte explicitement dans les études d’érosion (Gay et al., 2015). La connectivité sédimentaire décrit le potentiel des particules érodées à être transférées des versants jusqu’aux rivières. Ainsi, un versant peut être vulnérable à l’érosion mais si celui-ci n’est pas en lien direct avec le cours d’eau, la connectivité est faible. En revanche, un versant soumis à une érosion faible mais directement connecté à un cours d’eau présente une forte connectivité et donc un risque environnemental plus élevé à certaines périodes hydrologiques de l’année (Rickson, 2014). Ces phénomènes ne sont pas uniquement caractéristiques des plaines agricoles françaises et européennes, mais de l’ensemble des zones agricoles. Les remembrements massifs des années 1960, la suppression des haies, la mise en place de fossés ou encore l’accroissement de la surface des cultures qui laissent les sols nus en hiver sont autant de facteurs défavorables responsables d’une érosion accélérée et d’un transfert accru de sédiments vers les cours d’eau.

Cas particulier des plaines agricoles

Les plaines agricoles ont longtemps été considérées comme peu sensibles à l’érosion si on les compare à des régions aux reliefs plus contrastés. De ce fait, peu d’études portent sur le transfert de particules en contexte de plaine. La dynamique et le transfert de sédiments ont en effet plutôt été étudiés en contexte montagneux (Vanmaercke et al., 2011) ou dans des zones agricoles plus contrastées où polyculture et élevage coexistent (Foster and Walling, 1994; Verstraeten and Poesen, 2001).

Les modifications des pratiques agricoles et d’usages des sols mises en œuvre après la seconde guerre mondiale ont notamment facilité la mise en culture des zones humides initialement peu propices à l’agriculture. Cela a été le cas du bassin de plaine du Louroux, localisé en Loire moyenne, où les sources de sédiments et leur transfert sont étudiés dans cette thèse. Pour rendre possible la culture céréalière et faciliter l’évacuation de l’eau en excès qui stagne dans les zones humides, de vastes réseaux de drainage enterrés ont été installés à partir des années 1950 et de nombreux cours d’eau ont été créés ou recalibrés pour faciliter le transfert de l’eau. L’assainissement des parcelles est réalisé par les drains qui permettent une connexion directe entre la parcelle et le réseau hydrographique (Penven and Muxart, 1995). Ceux-ci induisent une forte connectivité entre sources et puits de particules. Les premières études sur le transfert des particules dans les plaines agricoles montrent que, dans ces zones à la topographie très plane, les drains constitueraient une voie préférentielle de transfert des particules. En effet, dans le cadre d’études de traçage sédimentaire, des mesures de propriétés magnétiques, de géochimie élémentaire et/ou de 137Cs ont montré que les particules érodées proviendraient majoritairement de l’érosion de la surface des sols et transiteraient via les drains avant d’être exportées vers le réseau hydrographique (Russell et al., 2001; Walling et al., 2002). Cependant, ces études restent peu nombreuses et il est nécessaire d’approfondir les connaissances sur le transfert des sédiments dans ces plaines agricoles soumises à une agriculture intensive pour préserver les sols et limiter le transfert des particules et de la pollution d’origine agricole qui peut en résulter. Dans ces zones agricoles, trois sources potentielles de particules ont été identifiées : les particules issues de l’érosion de la surface des sols, celles qui proviennent de l’érosion des berges, et la matière qui transite par le réseau de drainage (Collins et al., 2012; Russell et al., 2001; Sogon et al., 1999; Walling, 2005; Walling et al., 2008) (Figure 1.6). Comme indiqué précédemment, l’érosion des sols affecte près de 17% du territoire européen (GIS SOL) et les taux moyens d’érosion diffuse et en ravine sont compris entre 120 et 360 t.km-2.an-1 (Cerdan et al., 2010). Le taux moyen de formation des sols est en revanche estimé entre 30 et 120 t.km-2.an-1 et le seuil de tolérance des sols à l’érosion en Europe (qui marque la limite à partir de

laquelle on érode davantage de matière qu’il n’en est produit) est estimé à 140 t.km-2.an-1 (Verheijen et al., 2009).

L’érosion de la surface des sols est décrite dans la plupart des études de traçage comme la source majoritaire de particules dans les zones agricoles européennes (Haddadchi et al., 2013). Plusieurs facteurs détaillés précédemment (paragraphe 1.1) contrôlent l’érosion de la surface des sols qui atteint par exemple des valeurs comprises entre 85 et 95% au Royaume-Uni (Walling, 2005).

L’érosion des berges constitue également une source de particules non négligeable et est majoritairement influencée par la dynamique fluviale (Henshaw et al., 2013). Le détachement des particules dépend de la vitesse du courant, de sa turbulence et des variations du niveau d’eau dans le chenal. Généralement, son pouvoir érosif est plus intense lors de crues et elle présente, par conséquent, une forte dynamique saisonnière (Knighton, 1973). Cette source contribue donc de manière variable aux flux de particules transportés par les cours d’eau. En Europe, et plus particulièrement au Royaume-Uni, les berges ne contribuent que peu aux flux de matière, avec des contributions de l’ordre de 15-20% (Walling, 2005). Cette source de particules peut cependant être majoritaire dans d’autres environnements, comme par exemple en Australie, où l’érosion des berges constitue la source majoritaire de particules avec des contributions souvent supérieures à 90% (Caitcheon et al., 2012; Olley et al., 2012).

Les drains restent la source de particule la moins étudiée et la plus soumise à discussion (King et al., 2014). En effet, doivent-ils être considérés comme une source ou comme une simple voie de transfert de particules ? Russel et al. (2002) ont par exemple montré que leur contribution au transport des particules pouvait être comprise entre 27 et 55% au sein d’un bassin agricole du Royaume-Uni. D’autres études se sont plutôt focalisées sur la dynamique des particules érodées et ont montré que celles qui transitent par les drains proviendraient de l’horizon de labour, donc de la surface des sols, et migreraient via des macropores et/ou des cracks sédimentaires pour atteindre les drains lorsque les sols sont saturés en eau (Foucher, et al., 2015 ; Jagercikova et al., 2014; Oygarden et al., 1997; Sogon et al., 1999; Walling et al., 2002).

Figure 1.6. Erosion de la surface des sols (a), des berges (b) et transport de particules par le réseau de drainage (c) en contexte de plaine agricoles (Photographies, A. Foucher).

1.4.2. Les zones agricoles subtropicales du sud du Brésil, cas du bassin de Guaporé