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Le strontium, isotopes et principales caractéristiques

La géochimie des isotopes radiogéniques concerne deux domaines principaux, la géochronologie et le traçage isotopique. La géochronologie consiste à dater des roches et à identifier différents évènements de l’histoire de la Terre, alors que le traçage isotopique s’attache à utiliser les variabilités isotopiques induites au cours du temps par la désintégration des isotopes radiogéniques pour étudier l’origine, les proportions mais aussi la nature et l’intensité des processus d’altération et d’érosion (interactions eau-roches…). Ainsi, le concept de traceur isotopique repose sur la comparaison entre la quantité d’un isotope radiogénique et celle d’un isotope non-radiogénique du même élément, c’est par exemple le cas du rapport 87Sr/86Sr, qui peut être utilisé comme traceur isotopique.

Le strontium est un alcalino-terreux aux propriétés chimiques proches de celles du calcium. Elément trace naturellement présent dans l’environnement, il présente une concentration moyenne de 350 µg.g-1 au sein de la croûte continentale supérieure (Taylor and McLennan, 1995). Son rayon ionique (1,13 Å), proche de celui du calcium (0,99 Å), lui confère la capacité de se substituer au calcium dans les minéraux calciques tels que les plagioclases, l’apatite, le gypse, l’anhydrite et les carbonates où il est localisé préférentiellement. Il est également présent en de plus faibles concentrations au sein de minéraux potassiques (Capo et al., 1998). Le strontium possède quatre isotopes stables : 88Sr (82,53%), 86Sr (9,87%), 87Sr (7,04%) et 84Sr (0,56%) et un isotope artificiel radioactif, le 90Sr, émis en très faibles quantités dans l’environnement par des réactions de fission. Le 87Sr, radiogénique, est issu de la désintégration radioactive (β-) du 87Rb, dont la demi-vie radioactive est de 48,8.109 ans :

𝑅𝑏→ 𝑆𝑟 + 𝑒 3887 + 𝜐𝑒 37

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Les abondances relatives des différents isotopes du strontium sont donc variables. Elles dépendent de l’abondance du 87Sr et donc de celle du 87Rb. Le rubidium est un métal alcalin aux propriétés chimiques proches de celles du potassium. Présent en plus faibles concentrations que le strontium au sein de la couche supérieure de la croûte terrestre (concentration moyenne de 112 µg.g-1 (Taylor and McLennan, 1995), il se substitue facilement au potassium dans les minéraux potassiques (muscovites, biotites, feldspaths potassiques…). Il possède deux isotopes : 85Rb (72,17%) et 87Rb

(27,83%). La relation entre ces deux éléments découle directement de la loi fondamentale de décroissance radioactive :

𝑆𝑟𝑡 = 𝑆𝑟87 𝑡0+ 𝑅𝑏87 𝑡(𝑒𝜆𝑡− 1)

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Où (87Srt) est la quantité de strontium présent dans la roche à l’instant t, (87Sr0) la quantité de strontium initialement présent lors de la formation de la roche, 87Rbt (eλt-1) la quantité de 87Sr produit par désintégration du 87Rb, λ la constante de désintégration de 87Rb, soit 1,42.10-11 ans-1 et t est le temps écoulé. En utilisant le 86Sr, élément stable non radiogénique, l’équation ci-dessus devient :

𝑆𝑟𝑡 87 𝑆𝑟𝑡 86 =87𝑆𝑟𝑡0 𝑆𝑟𝑡0 86 +87 𝑅𝑏𝑡 𝑆𝑟𝑡 86 (𝑒𝜆𝑡− 1)

Les deux inconnues du système sont le temps t et le rapport (87Srt/86Srt). En effet, les processus de différenciation des roches magmatiques impliquent des variations des quantités de Rb et de Sr des produits issus de cette différenciation mais pas du rapport isotopique initial (87Srt0/86Sr0). Ainsi, deux roches issues du refroidissement du même magma ont le même rapport initial (87Srt0/86Sr0) mais des rapports (87Srt/86Sr) et (87Rbt/86Srt) différents qui peuvent être mesurés. En effet, par des mesures de la composition isotopique en strontium dans la roche totale et au sein des minéraux de cette même roche, il est possible de résoudre le système et de déterminer l’âge de la roche. Ainsi, l’abondance en

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Sr dans un matériau géologique donné dépend de son âge et du rapport des teneurs en Rb et en Sr. Strontium et rubidium sont des éléments dits incompatibles (qui présentent une affinité avec le liquide) (Albarède, 2003). Lors des processus de cristallisation fractionnée et/ou de fusion partielle, ces éléments ont tendance à se concentrer dans le magma (fraction liquide) plutôt qu’au sein des minéraux cristallisés. Le rubidium est cependant plus incompatible que le strontium. Ainsi, strontium et rubidium subissent des fractionnements importants au cours des processus géologiques. Les variations observées de la concentration en strontium et en rubidium induisent une variation du rapport Rb/Sr et donc du rapport 87Sr/86Sr au sein des roches. Du fait de leurs caractéristiques contrastées, le strontium aura tendance à s’intégrer aux minéraux calciques alors que le rubidium aura tendance à s’intégrer aux minéraux tels que les feldspaths potassiques et les micas.

Le rapport isotopique 87Sr/86Sr mesuré dans une roche dépend du temps écoulé depuis la fermeture du système et du rapport initial Rb/Sr. En effet, plus le 87Rb est abondant, plus il y a formation de 87Sr au cours du temps, ce qui se traduit par une modification du rapport 87Sr/86Sr.

Le rapport 87Sr/86Sr s’avère être un bon indicateur de l’âge des roches et de sa composition géochimique. De plus, pour des éléments dont la masse est proche de 80, les effets de fractionnement isotopique ne sont pas détectables et sont donc considérés comme négligeables (Bullen and Kendall, 1998; Graustein, 1989). Ainsi, le rapport 87Sr/86Sr, peut être utilisé comme

traceur isotopique des phénomènes d’altération des roches au sein d’un bassin versant et plus généralement comme traceur dans les études environnementales (Aberg, 1995).

Le rapport 87Sr/86Sr, traceur des processus d’altération

Au sein d’un écosystème donné, le strontium provient de deux sources majoritaires : les dépôts atmosphériques et l’altération des minéraux des roches.

Le rapport 87Sr/86Sr des dépôts atmosphériques est contrôlé par celui des océans. Or le temps de mélange des océans (<103 ans) est relativement court par rapport à celui du strontium (4.106 ans) dans les océans, par conséquent le rapport isotopique 87Sr/86Sr des océans peut être considéré comme constant pour une période donnée (Wadleigh et al., 1985) et celui des dépôts atmosphériques peut donc être considéré comme peu variable. En revanche, le rapport 87Sr/86Sr des précipitations (pluie, neige) varie selon celui des poussières atmosphériques présentes localement ainsi que d’une zone géographique à une autre (Aberg et al., 1989; Dupré et al., 1993; Pearce et al., 2015; Probst et al., 2000).

Comme expliqué précédemment, les minéraux d’une roche donnée ont des rapports Rb/Sr et

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Sr/86Sr variables. Le rapport isotopique du strontium libéré par altération d’une roche reflète donc la contribution des différents minéraux de cette roche mais pas forcément la signature globale de la roche (Aberg et al., 1989; Bullen et al., 1997). En effet, cette signature dépend du degré d’altérabilité des minéraux d’une roche (Blum et al., 1993).

Ainsi, lors de phénomènes d’interaction eau-roche, la signature isotopique de la fraction libérée est différente de la roche et/ou des minéraux altérés, en lien avec leur résistance à l’altération par un fluide. Tous les minéraux ne s’altèrent pas à la même vitesse, comme l’a montré Goldich (1938) au travers de sa séquence d’altération des minéraux (Figure 1.12). Les minéraux formés en dernier lieu par différenciation magmatique sont les plus stables vis-à-vis de l’altération, alors que les minéraux cristallisés rapidement sont les premiers à être altérés.

En termes de signatures isotopiques, le strontium solubilisé issu de l’altération de la roche est moins radiogénique que le strontium de la roche non altérée à l’exception du strontium des argiles résiduelles issues de l’altération des roches, dont la signature 87Sr/86Sr est beaucoup plus radiogénique.

Figure 1.12. Série de Goldich (1938), établissement de l’ordre de résistance des minéraux à l’altération.

Pour pouvoir être utilisés en tant que traceurs, les rapports 87Sr/86Sr des roches altérées doivent présenter une variabilité suffisante au regard de la précision analytique disponible pour pouvoir être distingués et interprétés en termes de sources (Capo et al., 1998). Compte tenu du développement des méthodes analytiques, de très faibles variations du rapport 87Sr/86Sr peuvent être interprétées et, ce, quel que soit l’écosystème étudié.

Bon nombre d’études s’intéressent aux signatures isotopiques du strontium dans la fraction dissoute pour apporter des informations sur l’origine et les contributions des différentes sources transportées par la charge dissoute des rivières, en lien avec les processus d’érosion chimique (altération eau-roche). A l’échelle du bassin versant, les variations du rapport 87Sr/86Sr dans la fraction dissoute ont été explorées dans divers contextes géologiques, que ce soit dans des bassins composés de roches silicatées, granitiques, carbonatées ou évaporitiques, mixtes ou non (Petelet-Giraud et al., 1998; Semhi et al., 2000) ou encore au sein d’hydrosystèmes anthropisés (Böhlke and Horan, 2000; Douglas et al., 2002; Martin and McCulloch, 1999; Probst et al., 2000).

Les isotopes du strontium ont été largement utilisés pour des études menées sur de grands bassins versants tels que l’Amazone, le Congo ou les fleuves de l’Himalaya pour rendre compte des processus d’érosion chimique (Chabaux et al., 2001; Gaillardet et al., 1997; Karim and Veizer, 2000; Krishnaswami et al., 1992; Négrel et al., 1993; Pande et al., 1994; Viers et al., 2000) mais aussi pour établir des bilans à l’océan (Goldstein and Jacobsen, 1987; Stein et al., 2000; Taylor and Lasaga, 1999). Les rapports 87Sr/86Sr sont également employés pour étudier les processus d’interaction entre eaux de surface et eaux souterraines (Brenot et al., 2008; Eikenberg et al., 2001; Petelet-Giraud et al., 2007) et pour étudier les circulations souterraines dans des aquifères plus ou moins profonds (Bakari et al., 2013; Gosselin et al., 2004). Enfin, les rapports 87Sr/86Sr constituent un outil important en paléohydrologie. Comme expliqué précédemment, le rapport isotopique 87Sr/86Sr des océans peut

être considéré comme constant pour une période donnée. Aussi, le rapport 87Sr/86Sr d’un carbonate marin donné est supposé être identique à celui de l’eau de mer au moment de sa formation s’il n’a subi aucun processus d’altération (Faure, 1986). Cette propriété permet un enregistrement de la signature des eaux au moment de la précipitation du matériau étudié et est utilisée dans des études de stratigraphie et pour la datation des carbonates (Elderfield, 1986; Jones et al., 1994; Koepnick et al., 1990; McArthur et al., 1994).

En revanche, les rapports isotopiques du strontium ont été peu utilisés pour étudier les processus d’érosion physique et/ou de transport de particules via la charge particulaire (matière en suspension, sédiments…) des cours d’eau et, ce, quelle que soit leur taille (Douglas et al., 1999; Garçon et al., 2014; Grosbois et al., 1999; Roddaz et al., 2014; Viers et al., 2008). A l’échelle du bassin versant, la composition chimique et isotopique des particules transportées par les cours d’eau reflète directement les lithologies drainées mais aussi les impacts anthropiques, notamment ceux qui sont liés à l’utilisation d’engrais dans les bassins versants agricoles (Böhlke and Horan, 2000; Négrel, 1997).

Les rapports isotopiques du strontium s’avèrent être un bon traceur des sources de particules transportées par l’hydrosystème. En effet, les particules transportées sous forme de matières en suspension (MES) et de sédiments de fond sont constituées de minéraux primaires (quartz…) et secondaires (argiles…) mais aussi de matériel biogénique. Leur transport au sein de la colonne d’eau dépend des conditions hydrodynamiques du milieu. Aussi, plusieurs études ont montré qu’un tri des minéraux selon leur taille, leur densité et leur vitesse s’opère lors de leur transport (paragraphe 1.2). Ce tri minéralogique est susceptible d’induire des variations importantes de la signature isotopique en strontium au sein de la fraction particulaire (Bouchez et al. 2011). La plupart des études ayant eu recours à des mesures isotopiques dans la fraction particulaire se basent sur le fait que les signatures de cette fraction reflètent directement celles de leur source/roche mère. Cependant, démontrer l’existence d’une variabilité des signatures isotopiques entre sédiments et sources nécessite la mise en place d’études pour contraindre et caractériser l’importance de cette variabilité et du tri minéralogique et/ou granulométrique qui s’opère lors du transport des particules. Ces études nécessitent un schéma d’échantillonnage très précis et un grand nombre d’analyses, coûteuses en temps d’expérimentateur et en temps machine, des contraintes qui ont peut-être freiné le développement de ces études.

Ci-contre sont répertoriées quelques études présentant les variations des rapports 87Sr/86Sr et des concentrations en strontium pour différents types d’environnements et de roches (Table 1.1, Table 1.2).

Table 1.1. Exemples de variations des rapports 87Sr/86Sr et des concentrations en strontium dans l’environnement (dissous, particulaire, précipitations, eau de mer, engrais).

Type d'échantillon Localisation 87Sr/86Sr Sr Référence

Dissous (rivière)

France, bassin de Strengbach (Alsace) (0,8 km²) 0,7245-0,7254 10-14,4 µg/L (Aubert et al., 2002)

États-Unis, Alaska 0,70422-0,74041 0,31-6,50 µmol/L (Brennan et al., 2014)

Brésil, bassin de l'Amazone (6,15.106 km²) 0,708776-0,733172 4,3-46,8 µg/L (Gaillardet et al., 1997) Japon, bassin d’Usogawa (119,7 km²) 0,71072-0,712224 21-108 µg/L (Hosono et al., 2007) Inde/Pakistan, bassin de l'Indus (1,1.106 km²) 0,709764-0,713384 1,748-4,970 µmol/L (Karim and Veizer, 2000) Bassin du Congo (3,8.106 km²) 0,708753-0,735788 0,01-0,66 µmol/L (Négrel et al., 1993) France, bassin de la Garonne (52 000 km²) 0,708000-0,713246 51-321 µg/L (Semhi et al., 2000)

Dissous

(eaux souterraines)

France, Brévilles (Val d'Oise) (3 km²) 0,708207-0,709205 1,14-4,25 µmol/L (Brenot et al., 2008) Allemagne, Bitterfeld/Wolfen 0,70924-0,71347 182-1224 µg/L (Petelet-Giraud et al., 2007) France, vallée du Rhin, Alsace 0,70866-0,70878 370-418 µg/L (Eikenberg et al., 2001)

Particulaire/Sédiments

France, bassin de la Loire (Orélans) (117 800 km²) 0,711256-0,716691 37-477 mg/kg (Négrel and Grosbois, 1999) Bassin du Congo (3,8.106 km²) 0,722574-0,733976 40-78 mg/kg (Négrel et al., 1993)

Japon, bassin de Haichi 0,7086-0,7315 40-440 mg/kg (Asahara et al., 2006)

Brésil, bassin de l'Amazone (6,15.106 km²) 0,713612-0,741082 83-276 mg/kg (Viers et al., 2008) Bengladesh, bassin du Gange 0,755340-0,782400 48-115 mg/kg (Garçon et al., 2014) France, bassin de la Garonne (52 000 km²) 0,71869-0,72054 51-321 µg/L (Semhi et al., 2000)

Précipitations Bassin du Congo (3,8.10

6

km²) 0,710351-0,713258 0,01-0,043 µmol/L (Dupré et al., 1993)

France, Massif Central 0,709198-0,713143 0,017-0,121 µmol/L (Négrel and Roy, 1998)

Eau de mer moderne 0,7092 7,620 (Goldstein and Jacobsen, 1988)

(Capo and DePaolo, 1992) (Holland, 1984)

Table 1.2. Exemples de variations des rapports 87Sr/86Sr et des concentrations en strontium dans différents types de roches.

Matériau géologique 87Sr/86Sr Sr Référence

Croûte continentale 0,716 (Goldstein and Jacobsen, 1988)

Granodiorite 0,70712 559 mg/kg (Blum et al., 1993) Biotite 0,87045 16,6 mg/kg Plagioclase 0,70606 717 mg/kg Feldspaths K 0,70724 904 mg/kg Hornblende 0,70676 41 mg/kg Apatite 0,70618 449 mg/kg Granite 0,74492 -

(de Souza et al., 2010)

Biotite 0,83087 - Plagioclase 0,74022 - Feldspaths K 0,75503 - Gneiss 0,71081 - Biotite 0,72962 - Plagioclase 0,71013 - Feldspaths K 0,71132 -

Calcaire marneux (Lutécien) 0,707769 166 mg/kg (Brenot et al., 2008) Calcaire argileux (Lutécien) 0,707779 427 mg/kg

Craie (Crétacé) 0,70747-0,707769 -

Carbonate 0,708681-0,708739 - (Sun et al., 2011)

Gypse 0,707919-0,708740 -

Calcaire 0,70742-0,70804 - (Christian et al., 2011)

Basaltes océaniques 0,702-0,707 - (Faure, 1986)

Basalte 0,70367-0,70472 - (McCulloch et al., 2003)

Basalte 0,70561-0,70608 430-468 mg/kg (Gilg et al., 2002)

Basalte 0,705735-0,705999 400-536 mg/kg (Innocent et al., 1997)