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Quelle place pour la diversité individuelle au sein des troupeaux : quelles vaches pour quel système ? . 160

CHAPITRE 3 : EVALUER LA ROBUSTESSE DES VACHES LAITIERES A PARTIR DE L’ANALYSE DES STRATEGIES DE

2. Matériel et méthode

4.3 Quelle place pour la diversité individuelle au sein des troupeaux : quelles vaches pour quel système ? . 160

Cette étude met donc en évidence que les éleveurs attendent de leurs animaux une diversité de combinaisons de performances (Figure 28). L’analyse de la composition de leur troupeau révèle que pour obtenir cette combinaison de performances, des stratégies différentes sont mises en place. Certains éleveurs misent sur un type d’animal en faisant le choix d’une race qui est selon eux la plus à-même de répondre à leurs attentes (25/39). D’autres éleveurs (8/39) s’appuient sur la complémentarité entre plusieurs races pour obtenir ces combinaisons de performances et quelques éleveurs (6/39) optent pour le croisement, technique qui leur permet de combiner différentes aptitudes de vaches issues de race différentes. Ce constat illustre bien qu’une part non négligeable des éleveurs (14/39) entretient un certain niveau de diversité intra-troupeau, et que cette diversité peut-être un moyen pour eux d’atteindre la combinaison des performances zootechniques qu’ils recherchent, au niveau non plus de l’individu, mais du troupeau. En effet, Tichit et al. (2011) ont démontré le bénéfice que représentait la diversité fonctionnelle intra-troupeau à travers l’association de femelles ayant des aptitudes différentes au sein d’un même troupeau. Ces travaux reposent également la question de la recherche d’un animal idéal pour un système. Clairement, si le futur de l’élevage de ruminants est de valoriser davantage les ressources locales et de limiter la quantité d’intrants permettant de sécuriser les systèmes (Dumont et al., 2014), les animaux vont être soumis à des perturbations, à une variabilité environnementale auxquelles ils devront faire face. Aussi, l’intérêt de la diversité au sein du troupeau est de combiner des animaux aux aptitudes biologiques complémentaires permettant au système de faire face à des perturbations de fréquence et de natures variées (Martin and Magne, 2014) tout en continuant à satisfaire les objectifs de l’éleveur. C’est de notre point de vue un levier important à prendre en compte pour améliorer la robustesse au niveau du troupeau. Au vu des résultats des travaux du Chapitre 2 et de la mise en évidence de la diversité des réponses adaptatives des vaches laitières à des perturbations de l’environnement, il devient alors pertinent de s’interroger sur les possibilités de développement d’un outil de simulation des trajectoires productives des animaux, incluant leurs réponses adaptatives pour analyser l’aptitude des types de vaches à répondre aux stratégies de conduite des éleveurs y compris dans un environnement changeant. Cet outil pourrait servir de base de discussion pour le conseil en élevage ou des travaux de recherche participatifs (Berthet et al., 2015). A titre d’exemple si on se base sur le cas des éleveurs cherchant à améliorer la production laitière de leurs animaux (stratégie 3), la complémentarité entre les profils de trade-offs 1 et 3 (Figure 29) semble intéressante car le profil 1 (vaches qui priorisent la fonction de lactation au détriment du maintien des réserves corporelles) est très performant en production laitière en conditions stables et le profil 3 (vaches qui

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maintiennent leur production laitière et leurs réserves corporelles au détriment de la reproduction) préserve son niveau de production en situation perturbée. Toutefois, on a noté que les éleveurs de ce groupe (stratégie 3) conservaient aussi des exigences sur la reproduction. Ainsi des animaux du profil 4 (vaches qui donnent priorité à la reproduction) pourraient également être intéressants à intégrer dans le troupeau pour répondre aux exigences de renouvellement de ces éleveurs. Pour les éleveurs ayant des pratiques de regroupement des vêlages dans des systèmes herbagers à bas niveaux d’intrants, les vaches des profils 2 et 4 semblent être en adéquation avec les attentes des éleveurs puisque les performances de reproduction des animaux sont très bonnes, et qu’au niveau de la production laitière les deux profils se complètent, l’un étant plus performant en conditions stables, et l’autre en étant moins sensible aux perturbations. Il apparait alors nécessaire de réfléchir à un moyen de généraliser et d’enrichir et de diffuser ce type de phénotypage des animaux afin qu’il devienne mobilisable par les éleveurs.

Figure 29 : Représentation des profils de priorisation entre fonctions identifiées chez les vaches laitières en conditions stables et en conditions perturbée (Cf. Chapitre 2)

4.4Perspectives de recherches : collaboratives et interdisciplinaires

Ces résultats permettent donc d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche et de développement avec la mise en évidence de l’intérêt de travailler en interdisciplinarité entre sciences humaines et sociales, génétique et zootechnie afin de prendre en compte l’ensemble des composantes sociales et biotechniques qui vont permettre l’amélioration de la robustesse individuelle des vaches laitières, mais aussi de sécuriser et pérenniser la production au niveau du troupeau. Ce travail met aussi en

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évidence l’intérêt d’une collaboration entre les différents acteurs de la recherche et du développement afin de travailler conjointement et durablement à l’amélioration des performances des systèmes d’élevages laitiers en ne négligeant pas l’éleveur et son réseau de relations. En effet, cette étude a mis en lumière une nouvelle fois le rôle des groupes professionnels et l’importance des rapports au travail dans la construction des systèmes techniques en élevage. L’intégration des éleveurs aux programmes de recherche et développement apparaît comme une étape nécessaire pour faciliter la diffusion et la mise en pratique de nouvelles connaissances. Il serait également pertinent d’envisager des collaborations avec des organismes de sélection génétique afin d’étudier les possibilités d’implémentation d’une sélection basée sur l’étude conjointe de plusieurs traits d’intérêt afin de prendre en compte la notion de compromis entre fonctions, ce qui pourrait être facilité avec le développement de la génomique (Tixier-Boichard et al., 2015).

5. Conclusions

Cette étude représente une étape à la construction du cadre d’évaluation de la robustesse chez la vache laitière. L’objectif de ce travail était de mettre en évidence les différentes stratégies de conduite développées par les éleveurs laitiers pour améliorer l’adéquation entre les performances des animaux et leurs propres objectifs de performances. Sur la base d’informations recueillies au cours d’entretiens avec un échantillon d’éleveurs laitiers français, nous avons mis en évidence cinq stratégies de conduite principales. Ces stratégies diffèrent les unes des autres par les diverses combinaisons de performances que les éleveurs attendent de leurs animaux et les pratiques qu’ils mettent en œuvre pour atteindre leurs objectifs. Ces stratégies de conduites ont donc été discriminées par la nature des performances d’intérêt pour les éleveurs (allant de la production laitière jusqu’au caractère de l’animal) et le niveau de sévérité des seuils de performances définis par chaque éleveur. Les stratégies de conduite sont marquées par des divergences dans la manière dont les éleveurs sélectionnent et élèvent des animaux correspondant à leurs attentes. Par exemple, certains utilisent une sélection a priori des animaux de renouvellement de leur troupeau sur des critères explicitement identifiés et d’autres réforment les animaux qui ne répondent pas à leurs objectifs sur la base des performances observées. Les stratégies de conduite varient également chez les éleveurs à travers la manière dont ils raisonnent l’élaboration de la performance à atteindre : au niveau du troupeau et parfois au niveau de l’animal. Ainsi, des éleveurs misent sur la combinaison d’animaux de races différentes, soit dans des troupeaux multi-races, soit par le croisement, afin d’atteindre le profil de combinaison de performances recherché au niveau du troupeau. La diversité des stratégies de conduite des éleveurs laitiers n’apparait pas clairement associée à des particularités

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structurelles des exploitations. Les stratégies de conduites des éleveurs qui vont définir la composition du troupeau et les aptitudes des animaux qui le composent semblent plutôt émerger de la manière dont l’éleveur gère le compromis entre le système biophysique, ses objectifs de production, et ses attentes personnelles. Le rapport de l’éleveur au travail et son implication dans certains groupes professionnels locaux semblent également jouer un rôle dans la construction des stratégies de conduite. Ce travail souligne donc l’intérêt de combiner les dimensions sociales et biotechniques dans la construction du cadre d’évaluation de la robustesse des vaches laitières.

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