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2-1 De la place des diplômes dans les parcours professionnels à la remise en question

La diversité des parcours professionnels des personnes rencontrées montre à quel point il n'y a pas de prédiction en ce qui concerne l'après-lycée. Si un bac littéraire mène de façon logique à une "fac de LEA" [Langues étrangères appliquées], le parcours professionnel qui suit est varié mais sans lien direct avec la formation initiale. Toutefois, l'atout d'une langue en licence de marketing a dû être appréciable par la suite. Cette personne est aujourd'hui directrice d'une section dont elle est chargée d'assurer le montage, la réalisation et le suivi dans un organisme d'intérim (entretien n°1). Qui aurait pu prédire cette trajectoire avec un Bac Littéraire?

Par contre, deux exemples sont davantage à «contre-courant» des formations initiales. Une des stagiaires en alternance au CFI a eu un bac ES (Sciences économiques et sociales) et a fait une formation d'infirmière (entretien n°10,G). Elle sera infirmière puis infirmière en bloc opératoire. Or, pour être en lycée et connaître assez bien les processus d'orientation des élèves, un certain nombre d'élèves se prive de cette formation car les conseils prodigués sont toujours de faire un bac S [bac scientifique], voire un bac STL [Sciences et techniques de laboratoire], rarement un bac ST2S [Sciences et technologie de la santé et du social] mais le bac ES est souvent déconseillé. D'autre part, chez cette personne, en ce qui concerne son parcours, après un diplôme IFSI, elle passe une capacité en radiophysique ainsi que dans le domaine du laser à l'université. Elle se spécialise en

131 radioprotection. Elle est enfin stagiaire dans une formation en alternance pour passer un diplôme d'ingénieur généraliste à forte dominance scientifique. La remise en question chez cette personne au niveau professionnel a été une des clefs de son changement. Elle dira qu'avant (sur son lieu de travail et malgré l'obtention des capacités spécialisées), elle "se faisait petite" lors des réunions. Il ressort de ses propos que personne ne l'écoutait car elle n'était "qu'infirmière" et qu'elle "n'osait pas poser de question" notamment lorsque des termes techniques apparaissaient lors des réunions de travail avec les grands chefs. L'exemple qu'elle décrit dans l'entretien est très pertinent de ce point de vue [annexe entretien n°9 ligne 442 à 446 - 451 à 472]. Qui aurait pu prévoir à nouveau cette trajectoire avec un Bac ES?

Un autre exemple est celui d'un salarié de la PME. Il travaille actuellement sur la chaîne de production. Son diplôme d'origine est un BEP-Bac pro vente (pro: professionnel) (entretien n° 7). Il dira lui-même "ça m'a pas plus", "j'savais pas ce que je voulais faire". Il fera commercial pendant un temps avec une remise en question sur ce travail qui ne lui a pas davantage plu que ces études puisqu'il dira "ce sont des escrocs, dans les assurances, faut vendre alors que les gens ils n'en veulent pas". Il se tournera vers la mécanique, puis il aura un poste en CDD dans la PME et six mois plus tard il signe un CDI. Là, il fera une formation continue payée par le patron ("mon patron m'a payé"). Qui aurait pu prévoir ce parcours avec un BEP - Bac pro Vente?"

Le dernier exemple est celui de ce jeune salarié intérimaire (entretien n°8) qui se cherche encore après l'obtention de son Bac S, une première année universitaire abandonnée, l'obtention d'un BTS immobilier qui lui a servi pour un mois en agence immobilière après une rupture de contrat prématurée. La remise en question est permanente chez ce jeune homme de 22 ans "c'est flou, je ne sais pas encore ce que je veux faire, je vais candidater un peu partout, ou je repars de zéro avec un BTS, un DUT, il y a peut-être des métiers auxquels je n'ai pas pensé, il y a trop de choses que j'aimerais faire". Il ajoutera "j'aime bien le changement" et "j'aime bien travailler des mains". Entre- temps, il a fait des "petits boulots" de saison aussi divers que variés. Qui aurait pu prévoir ce début de parcours avec un Bac S?

 Dans ces récits de parcours, la construction de l'identité professionnelle est marquée par l'incertitude. Cette dernière est liée à chaque trajectoire de vie, elle est inscrite dans l'identité biographique de chacun laquelle se construit en fonction de l'environnement et constituera l'identité sociale de la personne.

 A lire et relire ces parcours, il serait utile de comparer les parcours professionnel de ces personnes et ceux des enseignants. J'entrevois une première ligne de fracture avec le vase "clos" du monde enseignant: sur les neuf entretiens (dix en comptant le double entretien avec

132 les deux secrétaires de la PME) effectués en entreprises, aucune personne n'a réellement fait un seul type de travail. Or, la majorité de ces personnes est passée en lycée d'enseignement général et technologique (huit personnes, codage ouvert «formation»). Ce sont donc "mes" anciens élèves! La question qui me vient à l'esprit, «aurais-je fait le bon choix pour les orienter?» Ma seconde question en tant que professeur principal et enseignante pourrait-être «comment aurais-je pu les accompagner en classe pour les préparer davantage à l'incertitude qui les attend?» Il s'agit sans doute ici, de la triangulation "former à" de la logique didactique, "former pour" de la logique socio-économique, et "former par" de la logique psychologique. Il faudrait donc envisager un "triple salto" mais si possible vers l'avant. C'est l'image qui me vient à propos de cet équilibre périlleux entre ces trois pôles.

 Ce n'est peut-être pas tant le contenu des "savoirs objets" qui pourraient être remis en cause (bien qu'un allègement serait souhaitable…en Sciences par exemple, c'est tout juste si on ne court pas après la dernière découverte… encore une autre piste…), mais la façon dont ces savoirs sont "transmis" et il ne s'agit pas non plus de se contenter de mettre en œuvre une "quincaillerie" pédagogique… Le triple salto est à l'honneur!

On peut se demander maintenant quels sont les «facteurs de l'environnement» qui interfèrent sur le développement identitaire des personnes rencontrées.

II-2-2 De l'assignation-blocage aux conséquences: ce qui se joue au niveau personnel et