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2. Cadre historique de la protection de la biodiversité : de l’échelle locale à l'échelle

2.5. Place des Grands Singes dans la conservation et le tourisme en Ouganda :

tourisme en Ouganda : perspectives historiques

La présence de Gorilles de l’Est (Gorilla beringei) et de Chimpanzés de l'Est (Pan

troglodytes schweinfurthii) en Ouganda place le pays au centre d'un pôle d'attractivité

touristique pour l'observation des Grands Singes africains dans l’Ouest du pays, tout en offrant la possibilité d’observer d’autres grands mammifères également présents dans plusieurs parcs de savane à proximité (Big five du Kenya et de la Tanzanie : lion,

léopard, éléphant, rhinocéros noir et buffle). Dès la fin des années 1970, le Rwanda est mondialement reconnu pour le tourisme animalier des gorilles et les messages de Diane Fossey (Rwanda) et de Jane Goodall (Tanzanie) contribuent à la sensibilisation du public à la conservation des Grands Singes en Afrique de l'Est (Macfie et Williamson, 2010).

Dans les années 1990, l'Ouganda a emboité le pas du Rwanda et instauré un tourisme de vision des Grands Singes, percevant que leur conservation pouvait contribuer à l’économie du pays (Shackley, 1995; Macfie et Williamson, 2010). L'activité touristique y est croissante (Weiss et Messerli, 2012) et contribue à 4 % du PIB en 2011 (supérieur au Rwanda avec 3,3 %, mais inférieur à la Tanzanie avec 5 %; (Weiss et Messerli, 2012). Certains incidents (enlèvements et meurtres de touristes) ont pu temporairement fragiliser ce secteur (Macfie et Williamson, 2010). Aujourd'hui, l'Ouganda cherche à développer le tourisme lié aux Grands Singes (Uganda Vision 2040, 2013) et l'impact de cette activité est particulièrement important dans la région de Kisoro, car il est accompagné d'un développement important d'infrastructures (hébergements, routes) et de services (emplois) (Sandbrook, 2010; Blomley et al., 2010; Macfie et Williamson, 2010) ainsi que d'innovations en matière de tourisme communautaire dans deux parcs nationaux (parc national impénétrable de Bwindi et parc national de Mgahinga; MacKay et Campbell, 2012).

Gorilles et chimpanzés font l’objet de divers niveaux d’attractivité, ou pourrait-on dire, de « prestige » du point de vue des touristes, en fonction notamment de leur rareté et de leur accessibilité. Leur valeur marchande est ainsi différente et la dépendance de la faune et de la flore sauvage du Ministère du tourisme illustre l’importance des enjeux économiques susceptibles d’être associés aux Grands Singes. Le fait que l’Ouganda abrite près de 400 gorilles de montagne sur les 880 individus de la population totale (WWF, 2014), confère au pays un rôle important dans la protection de cette espèce menacée. L'Uganda Wildlife Authority (UWA) a mis en place un panel d'outils de communication qui permet de valoriser cette richesse en biodiversité afin d'attirer des

touristes. En effet, sur le site internet de l'UWA8, on peut consulter les caractéristiques des 12 groupes de gorilles que les touristes peuvent approcher en Ouganda9 : 11 groupes sont habitués dans le parc national impénétrable de Bwindi (10 pour le tourisme et un pour la recherche) et un groupe dans le parc national de Mgahinga. Cela représente un total de 196 individus gorilles que les touristes occidentaux peuvent observer en Ouganda soit environ 22 % de la population totale de cette espèce. Il est également possible d'accéder à un trombinoscope des familles de gorilles10. Un autre site auquel il est possible d'accéder via celui de l'UWA est celui de « Friend a gorilla »11. Ce site permet de « devenir ami » avec un gorille, qu'on peut choisir parmi les individus des différentes familles en le sponsorisant avec un dollar. Cela permet de subventionner la conservation des gorilles, à travers des moyens modernes et accessibles aux touristes occidentaux. Lorsqu'on a sponsorisé un individu gorille, on peut recevoir des photos par des réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook, et voir même suivre les individus sponsorisés grâce à un tracé GPS12. Ces systèmes de suivi et de communication représentent un investissement conséquent pour un pays du Sud. L'Ouganda facilite donc la sensibilisation du public à la conservation des gorilles, lui permettant de renforcer son ancrage actuel dans le tourisme des Grands Singes par rapport au Rwanda. Comme le précise le site internet de l'UWA, les permis d’observation des gorilles sont très demandés tout au long de l'année, malgré leur coût (500 US $ par personne pour une heure passée à une distance minimale de cinq mètres des gorilles). L'UWA garantit 95 % de chances de trouver les gorilles5, grâce à des équipes de guides qui se relayent pour localiser les gorilles dans la forêt.

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URL : http://www.ugandawildlife.org/gorilla-tracking-in-bwindi; http://www.ugandawildlife.org/gorilla- tracking-in-mgahinga, consulté le 17/10/2014.

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URL : http://safari-uganda.com/to-see/gorilla-safari-information/gorilla-families-in-uganda/, consulté le 17/10/2014.

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URL : http://www.bookgorillapermits.com/, consulté le 17/10/2014.

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URl : http://ugandawildlife.org/about-uganda-master/friends-of-uwa/friend-a-gorilla, consulté le 17/10/2014.

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URL : http://www.ugandawildlife.org/about-uganda-master/friends-of-uwa/friend-a-gorilla, consulté le 17/10/2014.

La combinaison de ces initiatives a eu pour conséquence d'augmenter le nombre de gorilles (300 individus en 1997, 320 en 2002, à environ 400 en 201413), de réduire drastiquement le braconnage et d'impliquer les populations locales dans la protection des gorilles (Harcourt, 1986; Weber, 1993; Macfie, 2007; MacKay et Campbell, 2012). D'autres études constatent que le tourisme des Grands Singes peut contribuer au renforcement de certaines inégalités spatiales et financières accentuant des inégalités sociales (Adams et Infield, 2003; Chock et al., 2007; Hockings et Humle, 2009; MacKenzie, 2012b; Tumusiime et Vedeld, 2012). Le cas des pygmées Batwa est éclairant. Evincés de la forêt qu'ils ont toujours occupée sous prétexte de la protection de la biodiversité animale et végétale (Mukasa, 2014), ce peuple indigène est aujourd'hui fortement discriminé par les populations locales (Lewis, 2000), qui peuvent aller jusqu'à les torturer. L'Uganda Wildlife Authority a favorisé la mise en place de promenades en forêt (Pygmy trail) pour réintégrer les hommes dans le paysage de la forêt et des gorilles malgré leur éviction, monétarisant ainsi la découverte de leur vie quotidienne réinventée. Les pygmées deviennent ainsi les guides de leur culture en la ″protégeant″.

Le parc national de Kibale et la réserve forestière de Budongo en Ouganda figurent parmi les forêts dans lesquelles les touristes peuvent observer les chimpanzés et les scientifiques les étudier. Chacune de ces pratiques est encadrée par des règles de gestion établies par l'UICN (Kühl, 2008; Macfie et Williamson, 2010) qui doivent être acceptées et respectées dans tout développement touristique et scientifique nouveau ou existant. Comme il a été évoqué antérieurement, le tourisme de vision des chimpanzés ne jouit pas du même « prestige » que celui des gorilles, et le prix d’une journée d’observation se situe aux alentours d’une centaine de dollars contre 500 US $ pour une heure d’observation des gorilles.

Ainsi, après un dynamisme économique fondé sur le commerce de l'ivoire (Morris, 1978) et porteur de graves conséquences pour la grande faune sauvage l'Ouganda semble avoir pris un nouveau virage, en favorisant la conservation, pensée et

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URL : http://ugandawildlife.org/explore-our-parks/parks-by-name-a-z/kibale-national- park/activities/item/37-new-census-for-bwindi-gorillas, consulté le 17/10/2014.

utilisée comme un moteur économique. Ce « virage de la conservation » semble intervenir à temps puisque désormais, le tourisme lié aux Grands Singes (chimpanzés et gorilles) est une manne financière qui bénéficie de la relative stabilité géopolitique de l'Ouganda par rapport à ses voisins : République Démocratique du Congo, Rwanda. L’Uganda Wildlife Authority (UWA) déploie des moyens conséquents sur le terrain pour garantir - ou presque - à un groupe de touristes de pouvoir observer les gorilles et les chimpanzés lorsqu'il a payé une taxe financière lui permettant de se faire accompagner par des guides et des porteurs villageois, et de recevoir un « diplôme ». Des mesures qui cherchent à dynamiser le tourisme de vision des Grands Singes en considérant ses retombées sur les populations locales dans le pays (Introduction générale § 2.4.)