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2. Cadre historique de la protection de la biodiversité : de l’échelle locale à l'échelle

2.1. L'héritage historique dans la gestion de la biodiversité: royaume de Toro et

royaume de Toro et colonisation anglaise

La gestion de la biodiversité en Ouganda remonte à des temps anciens et l'arrivée des colons anglais a entraîné des changements sociaux et environnementaux qui influencent encore aujourd’hui le rapport à la nature des Ougandais. Le début de cette histoire est celui d’un royaume, le royaume de Toro, qui s’étendait sur le site d'étude, et dont la formation a évolué, notamment avec l'arrivée des colons anglais.

D’après plusieurs auteurs, les Batoro auraient partagé le paysage forestier avec les animaux sauvages d’une importante densité et diversité pendant des siècles (Taylor, 1962; Hamilton, 1981). Issu d’une scission avec le royaume de Bunyoro-Kitara, qui a eu lieu dans les années 1820-1830 (Nyakatura, 1973), le royaume de Toro est un système de gouvernance de tradition centralisée. L’autorité est exercée par le roi qui est relié aux Dieux. Alors que le roi de Bynyoro-Kitara, Kyebambe III Nyamutukura régnait depuis 1786, son plus vieux fils (Omukama Olimi I Kaboyo) s’est rebellé et a annexé une partie du territoire situé au Sud du royaume dans les années en 1822 (Nyakatura, 1973). A la mort de son père en 1835, Kaboyo a continué d’étendre le royaume de Toro. A la mort de ce dernier (1865) et après des disputes au sein de la fratrie, Nyaika, son héritier, a

régné jusqu’en 1885 (Richards, 1960). Le royaume de Toro a ensuite essuyé de nombreuses attaques du royaume de Bunyoro, notamment de Kabarega qui aurait attaqué le royaume plus de seize fois (Richards, 1960).

Figure 5 : Carte de l’évolution des royaumes de Bunyoro-Kitara et Toro (Source : Fisher, 1970)

La figure 5 permet de visualiser l'évolution des frontières du royaume de Toro, depuis des temps anciens (1400) qui ne seront pas abordés ici, jusqu'au temps de la scission avec le royaume de Bunyoro-Kitara (années 1820) et l'indépendance de

l'Ouganda (1962). Quand Baker et Stanley, les premiers explorateurs anglais, ont visité le pays en 1889, les seigneurs Bunyoro de Kabarega régnaient sur le territoire Toro (Richards, 1960). En 1891, quand le Capitaine Lugard, représentant de la compagnie impériale de l’Afrique de l’Est (Imperial British East African Company), arrive dans la région, il soutient le royaume de Toro contre celui de Bunyoro, mettant Kasagama sur le trône et construisant une ligne de forts pour protéger et défendre le royaume de Toro des incursions voisines (Naughton-Treves, 1999). La même année, le Capitaine Lugard signe un traité avec le roi Kasagama (Kasagama et Lugard, 1891). Ce traité remercie les autorités britanniques de défendre le roi Kasagama et le royaume de Toro des puissants voisins du royaume de Bunyoro. Les Batoro se sont donc trouvés dépendants des forces anglaises pour rétablir et maintenir leur indépendance vis-à-vis des puissants royaumes voisins (Steinhart, 1977; Ingham, 1978). Kasagama a prêté allégeance aux autorités coloniales à travers sept clauses parmi lesquelles deux sont particulièrement symboliques des relations avec les animaux sauvages et avec les colons anglais : - La clause 4 : « I engage to preserve the elephants in my country and to prevent their destruction by hunters of any tribe whatsoever. I recognize the [British] Company's exclusive right to kill and hold all elephants in my country as Company property». - La clause 5 : « All arms in my country shall be brought to the European resident for registration and license, and no arms shall be possessed by anyone, without his knowledge and sanction ».

Encadré 1 : Extrait du traité de Kasagama et Lugard, 1891

Ces clauses apparaissent comme les prémices de l'institutionnalisation de la gestion environnementale du royaume de Toro et de la perte d’autonomie des habitants quant à la possession d’armes. Quand les colons anglais sont arrivés, ils ont amené avec eux les représentations européennes de ce que devait être la nature, changeant les usages et les pratiques d’un système hiérarchisé et centralisé déjà bien établi. La clause 4 énonce clairement que pour éviter la disparition des éléphants, les chasseurs locaux n’ont plus le droit de les tuer, ils ne leur « appartiennent » même plus. De droit et de fait, les éléphants, et leur ivoire principalement, sont dès lors une propriété coloniale (Naughton-Treves, 1999). Certaines espèces et leurs dérivés représentent donc un marché dans le royaume de Toro au moins depuis l’époque coloniale, la néoformation

du royaume de Toro ne pouvant être dissociée de la demande en ivoire des colons anglais. Les campagnes de contrôle et les restrictions d’armement de la population locale ont ainsi accentué les différences d’accès à certaines ressources naturelles depuis une longue période.

En 1900, le Toro Agreement4 est signé entre Henry Hamilton Johnson,

représentant du protectorat ougandais et de la Reine et les chefs du royaume Toro. Outre l’établissement de limites territoriales en faveur des colons, ce texte reconnaît les chefs des différentes régions du royaume de Toro et modère les clauses signées en 1891 à propos des animaux. En effet, les colons n’ont plus maintenant le droit exclusif de tuer des éléphants, les Batoro peuvent le faire à condition d’être conseillés par les européens pour tuer ou capturer ces animaux.

« All the waste and uncultivated land which is waste and uncultivated at the date of this Agreement; all forests, mines, minerals, and salt deposits in the Toro district shall be considered to be the property of Her Majesty’s Government, the revenue derived therefrom being included within the general revenue of the Uganda Protectorate; but the natives of the Toro district shall have the same privileges with regard in the forests as have been laid down and formulated in the aforesaid regulations in force in the Uganda Protectorate as are applicable to the natives of each province or other administrative division of the Protectorate within such province or administrative division. Her Majesty’s Government shall have the right of enforcing on the natives of the Toro district, as elsewhere in the Uganda Protectorate, and that the killing or the capture of elephants on the part of the natives of the Toro district shall be regulated by the principal European official placed in civil charge of this district ».

Encadré 2 : Extrait du traité du Toro Agreement, 1900

Dans les Toro Agreement de 1900 et 1906, les forêts et animaux du royaume de Toro dépendent donc dorénavant du protectorat anglais (Johnstone et Kasagama, 1906). En échange de l’allégeance et de l’ivoire du roi de Toro, les colons anglais le protégeaient des incursions de royaumes voisins et lui reversaient une petite partie des revenus générés par les domaines royaux puisque 50 % de l’ivoire « contrôlé » (ivoire obtenu à partir des éléphants qui pillaient les jardins vivriers) servait à administrer le royaume de Toro (GDA, 1927 cité dans Naughton-Treves, 1999).

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URL : http://nointervention.com/archive/Africa/Uganda/British_Protectorate/toro_agreement_1900.htm, consulté le 01/06/2014.

Rattacher les animaux sauvages à la propriété de la couronne permettait de légitimer les revenus générés par l’ivoire et les produits animaux dérivés. En retour, le devoir du gouvernement se devait d’assumer la responsabilité des dommages engendrés par la faune sauvage sur les cultures. Dès lors, au début de la période coloniale, un effort particulier a été entrepris pour restreindre la faune sauvage dans les réserves. Certaines espèces, les éléphants principalement, étaient sujettes à des opérations de contrôle (Graham, 1973).

En 1906, la Game ordinance, nouveau cadre politique basé sur une version kenyanne est acté. Cette dernière loi définit des règles stratifiées de chasse en fonction de l’espèce animale visée et du statut économique des chasseurs, distinguant les animaux nobles que seule une certaine élite avait le droit de chasser à l’arme lourde (les éléphants), des espèces alors qualifiées de vermines (comme les lions, les léopards, les hyènes, les cochons sauvages, les babouins) que chacun pouvait tuer en utilisant n’importe quelle technique (Graham, 1973).

Les Games reserves ont été élaborées en Ouganda au milieu des années 1920 à la suite de l'arrivée des colons et soumises à la responsabilité de la province du Game

Department, dont le rôle principal consistait à « contrôler les dangereux animaux

sauvages dans l’intérêt des populations locales » (Morris, 1978). En effet, les cultures et le bétail des populations humaines étaient menacés par les animaux sauvages qui sortaient de la forêt ou migraient à travers des corridors forestiers (Brooks et Buss, 1962; Morris, 1978) et créaient des conflits entre les usagers du territoire. On observe donc une certaine continuité avec les Toro Agreement de 1900 et 1906, qui prévoyaient déjà une compensation financière aux incursions des éléphants dans les cultures.

Cette question des dégâts aux cultures ne peut être comprise sans faire référence à la chasse. D’après Thomas et Scott (1935), « Hunting, which once was among the chief activities of the male native, is now to be ranked among his holiday amusements ». Dans Masefield (1962), il est également question de la diminution de cette pratique de « loisir » grâce à la diffusion de l'agriculture et la délimitation des réserves naturelles. Mais dans les années 1960, le pillage des cultures par les animaux sauvages devient préoccupant. Les éléphants étaient contrôlés et abattus en masse

(Masefield, 1962) mais les dommages créés par de plus petits mammifères (singes, écureuils, oiseaux etc.) étaient également importants (Masefield, 1962). Si le léopard a été protégé dans les années 1945 par une Game law, c’est parce qu’il était chassé et disparaissait alors qu’il représentait un prédateur important des porcs sauvages qui dévastaient de plus en plus de cultures (Masefield, 1962).

A la suite de la seconde guerre mondiale, le Game department montre un intérêt croissant pour la protection de la nature, ce qui conduit en 1952 à la mise en place de la

National Park Ordinance qui permettait la gestion de ce type d’espaces protégés par un

conseil d'administration (Morris, 1978).

Cette partie historique permet de comprendre dans quel contexte s'insère la protection de la biodiversité actuellement en Ouganda. Elle met notamment en évidence que la gestion de la biodiversité, à partir de l'arrivée des colons britanniques en Ouganda, ne dépendait plus de l'individu agriculteur ou villageois mais du roi et de ses représentants conseillés par les autorités coloniales. Et que les dégâts occasionnés aux cultures par les animaux sauvages étaient sous la responsabilité des autorités.