• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Les émulsions de Pickering

1.2 Propriétés physico-chimique des émulsions de Pickering

1.2.1 Physico-chimie des interfaces

Les émulsions sont des systèmes, en général thermodynamiquement instables, formées de deux liquides immiscibles. Afin d’éviter leur déstabilisation, il faut stabiliser les interfaces formées lors de l’émulsification. En effet, il est possible de les stabiliser à l’aide de particules dans le cas d’une émulsion de Pickering. Cette stabilisation est principalement reliée à des notions de tension interfaciale, permettant la cohabitation des liquides immiscibles et aux angles de contacts que les particules peuvent former avec les phases.

1.2.1.1 Tension interfaciale

La tension interfaciale γ correspond à la force nécessaire pour rompre la surface entre deux liquides immiscibles. Elle caractérise mathématiquement la variation d’énergie libre, F, associée à une variation dA de la surface entre deux milieux :

• ൌப୅ப୊ ൌγ A (Eq 1)

Elle est définie comme une énergie par unité de surface ou comme une force par unité de longueur, exprimée en N/m.

29

Plus spécifiquement, deux phases coexistent à l’équilibre seulement si elles sont séparées par une frontière stable caractérisée par son énergie libre Fs associée à la formation d’une surface de contact A entre les deux phases [48].

La mesure de tension interfaciale peut être effectuée par différentes méthodes telles que l’ascension capillaire, la goutte pendante ou tombante par exemple, très bien détaillée dans l’article de Le Neindre B. [49].

1.2.1.2 Angle de contact

Lorsque les particules sont adsorbées à l’interface entre la phase aqueuse et la phase huileuse, celles-ci sont caractérisées par un angle de contact θ qui caractérise le mouillage.

La valeur d’angle de contact (Figure 5) peut être calculée à partir de la loi de Young en fonction des énergies interfaciales du solide et des deux liquides [50] :

…‘• Ʌ ൌ౦౩Ȁ౞ିஓ౦౩Ȁ౛

౞Ȁ౛  (Eq 2)

où θ est l’angle de contact entre huile-eau-solide défini dans la phase aqueuse, γps/h est l’énergie de surface entre la particule solide et l’huile, γps/e est l’énergie de surface entre la particule solide et l’eau et γh/e est l’énergie de surface entre l’huile et l’eau.

Figure 5. Mesure d’angle de contact sur une particule à l’interface huile-eau : γh/e –

énergie de surface huile-eau, γps/e – énergie de surface particule solide-eau, γps/h – énergie de surface particule solide-huile.

30

Si l’on considère le cas classique des émulsions contenant de l’huile et de l’eau, les règles suivantes ont été établies pour les particules sphériques (illustrées en Figures 6 et 7) :

Des particules avec un angle de contact supérieur à 90° sont hydrophobes et la majeure partie de la particule est en contact avec la phase huile. Des émulsions de type E/H sont obtenues.

Dans le cas où l’angle de contact est inférieur à 90° les particules sont hydrophiles et la particule est majoritairement mouillée par la phase eau. Les émulsions sont alors de type H/E.

Pour un angle de contact égal à 90°, le système se trouve dans un état de transition entre une émulsion de type H/E et E/H. Cet angle correspond également au maximum d’énergie d’ancrage des particules à l’interface [11].

Figure 6. Configuration d’une particule sphérique adsorbée sur une interface eau/huile plane

pour un angle de contact θ inférieur à 90° (à gauche), égal à 90° (au centre) et supérieur à 90° (à droite) ; adapté de [51]

31

Figure 7. Le mouillage des particules détermine la courbure de l’interface et le type des

émulsions. Schéma adapté de [15].

Afin d’avoir une stabilisation optimale des émulsions huile/eau ou eau/huile, la valeur de l’angle de contact doit être proche de 90° (mesuré du côté de la phase aqueuse) ; et les particules solides doivent être plus mouillées par le liquide de la phase externe de l’émulsion que par celui de la phase interne. Par le fait, Finkle et al. (1923) [52] [5] et Binks et Horozov (2006) [53] ont montré que si les particules sont trop mouillées par une des deux phases, alors la stabilisation n’est pas efficace. De même, une absence de mouillage ou un mouillage total seraient défavorables.

De plus, Finkle a établi en 1923 la règle empirique suivante, reliant le type d’émulsion à la mouillabilité préférentielle des particules : dans une émulsion de Pickering, la phase qui mouille le moins bien les particules solides sera la phase dispersée.

Il est important de noter que le sens de l’émulsion est aussi fixé par le milieu dans lequel les particules solides sont introduites lors de la préparation de l’émulsion [54]. En effet, les particules colloïdales ayant une taille et un volume conséquent, le milieu environnant a un impact capital sur leur mobilité et leur adsorption à l’interface.

Binks et Lumsdon [55] ont quant à eux montré que le comportement suivant est observable si les particules sont dispersables dans les deux phases : la phase continue de l’émulsion est celle dans laquelle les particules sont initialement dispersées.

32

Différents types de mesures existent pour mesurer l’angle de contact des particules adsorbées aux interfaces. Destribats et al. récapitule dans un article publié en 2014 [11] (ainsi que dans les concepts généraux de sa thèse [56]) les nombreuses méthodes existant dans la littérature. Il existe les méthodes indirectes, telles que l’ellipsométrie, la réfléctométrie, ou l’enregistrement de l’isotherme Pression/Surface via une cuve de Langmuir. Mais il existe également les méthodes directes telles que la microscopie à force atomique, l’interférométrie, la cryofracture d’une interface ou encore la technique de piégeage de gel (en anglais « gel trapping technique »).

1.2.1.3 Energie d’adsorption

La stabilisation des émulsions de Pickering provient de la forte adsorption des particules solides à l’interface liquide-liquide, qui construit une barrière rigide contre les phénomènes de déstabilisation.

Le mouillage partiel des particules est requis pour ancrer les particules à l’interface. La mouillabilité dépend de l’angle de contact que font ces particules avec les interfaces liquide-liquide. Cela influence donc la quantité d’énergie nécessaire pour décrocher la particule de l’interface.

Lorsque la particule est assez petite pour que l’effet de la gravité puisse être négligé (typiquement avec un diamètre inférieur au micron), l’énergie (-ΔadsG) requise pour décrocher une particule d’un rayon r d’une interface huile-eau de tension interfaciale γh/e est donné par l’équation suivante[57][15]:

െ߂௔ௗ௦ܩ ൌ ߨ כ ݎכ ߛ௛Ȁ௘כ ሺͳ േ ܿ݋ݏߠ௛Ȁ௘ሻ; Eq (3)

Le signe à l’intérieur des parenthèses est négatif lorsque les particules sont à enlever de la phase aqueuse, et positif pour les supprimer de la phase huileuse.

Plus (-ΔadsG) est faible, plus les particules sont faciles à extirper de l’interface. En effet, (-ΔadsG) dépend de r² , cette énergie est donc faible pour les petites particules qui pourraient alors potentiellement se détacher facilement de l’interface [15].

33

Quelques ordres de grandeurs suffiront cependant à comprendre l’irréversibilité des particules aux interfaces, lorsque les particules sont petites (de l’ordre de la dizaine de nanomètres).

En effet, Arditty S. [51] montre que l’énergie nécessaire pour désorber une particule de l’interface est importante. Si l’on choisit par exemple une particule de 10nm de rayon, ayant un angle de contact θ=90° avec une interface huile-eau de tension interfaciale γh/e = 50mN.m-1, l’énergie à mettre en jeu pour désorber une des particules de l’interface est de 1000kT. (kT correspondant à l’énergie thermique).

En revanche, pour un tensioactif, l’ordre de grandeur de (-ΔadsG) se trouve être entre 0 et 20kT. Par exemple, pour un tensioactif non ionique (Triton X-100) à une température T=25°C, (-ΔadsG) = 46,2 kJ.mol-1, soit 18,64kT [58].

Il est d’autant plus facile de comprendre à présent qu’une particule (jusqu’à 5nm nanométrique) s’adsorbe irréversiblement à l’interface, tandis qu’une molécule tensioactive s’adsorbe et se désorbe de manière réversible.

Cependant, d’après Binks B.P. [59] , des petites particules ayant un rayon inférieur à 0,5 nm (i.e. représentatif de la taille de tensioactifs), l’énergie d’adsorption est inférieure à 10kT. Les particules peuvent donc se désorber facilement de l’interface et ne joueront alors plus le rôle de stabilisant. Il est donc possible de penser que pour des très petites particules, un équilibre d’adsorption des particules entre l’interface et la phase continue pourrait exister, en analogie avec le mouvement de va et vient que font les tensioactifs à l’interface pour stabiliser une émulsion. Cependant, cette hypothèse reste extrêmement difficile à prouver de par la complexité de travailler avec des particules si petites, atteignant souvent la limite de détection des appareils optiques par exemple. Cela reste une question très actuelle à ce jour.