1. Les bactéries pélagiques marines
1.2. Diversité et écologie des bactéries pélagiques marines
1.2.1. Les principaux taxons bactériens pélagiques
1.2.1.1. Le phylum des Proteobacteria
Figure 3 : Contribution des groupes bactériens majeurs à la composition de la communauté bactérienne pélagique globale. Moyenne des fréquences des séquences appartenant à chacun des 10 groupes bactériens les plus abondants dans le domaine pélagique. Les barres d’erreur représentent les valeurs des écart-‐types. Les écosystèmes anoxiques, ainsi que les cheminées hydrothermales ne sont pas pris en compte pour la composition de la communauté bactérienne moyenne, en raison de la plus petite taille des échantillons. Les niveaux taxonomiques présentés dans la figure ne sont pas nécessairement de même niveau, mais reflètent les niveaux les plus couramment employés pour étudier l’écologie et la diversité des bactéries marines. Représentation originale de Zinger et al. (2011)
1.2.1.1. Le phylum des Proteobacteria
1.2.1.1.1. La classe des Alphaproteobacteria
Les Alphaproteobacteria correspondent au groupe bactérien dominant dans les environnements marins côtiers, que ce soit lors des approches culturales classiques (sur milieu relativement riche) ou lors des analyses quantitatives qui s’affranchissent de la culture (Gonzalez & Moran, 1997; Zinger et al., 2011).
- L’apparition des méthodes d’étude de la diversité bactérienne qui s’affranchissent de la culture a permis de mettre en évidence un cluster bactérien ubiquiste dans les océans : les SAR115 (Giovannoni & Stingl, 2005; Giovannoni, 1990; Mullins et al., 1995; Rappé et al., 1997). On estime qu’il y a près de 2,4.1028 bactéries appartenant aux
5 Différents groupes bactériens ont pour identité les trois lettres « SAR » suivies d’un numéro (par exemple : SAR11, SAR116, SAR86 ou SAR324) et correspondent à des bactéries incultivées ou difficiles à cultiver. La dénomination « SAR » faisant référence à la mer des Sargasses, lieu où ils ont été détectés pour la première fois.
Alphaproteobacteria- Gammaproteobacteria- Flavobacteriia- Cyanobacteria- Ac5nobacteria- Betaproteobacteria- Deltaproteobacteria- Verrucomicrobiae- Opitutae-
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SAR11 dans les océans, ce qui en ferait le groupe microbien le plus abondant de toute la planète (Morris et al., 2002). C’est un groupe très diversifié avec différents sous-‐ clades, localisés à des profondeurs et des habitats différents. Ce n’est qu’en 2002, que la première bactérie appartenant à ce clade majeur a pu être cultivée (Rappé et al., 2002). Depuis, plusieurs autres souches cultivées sont venues grossir les rangs des SAR11 (Connon & Giovannoni, 2002; Simu & Hagström, 2004; Song et al., 2009). Son représentant cultivé le plus étudié est Pelagibacter ubique et il possède l’un des plus petits génomes pour un micro-‐organisme vivant sous forme libre. Il conserve néanmoins des gènes impliqués dans les mécanismes cellulaires fondamentaux, ce qui expliquerait son succès évolutif dans les océans (Giovannoni et al., 2005).
- Parmi les Alphaproteobacteria, la famille des Rhodobacteraceae est la plus représentée avec une centaine de genres reconnus actuellement et qui sont répartis en 5 groupes phylogénétiques ou clades (les Rhodobacter, Paracoccus, Rhodovulum,
Amaricoccus, et Roseobacter). Cette famille comprend des bactéries aquatiques qui
sont fréquemment rencontrées dans les environnements marins. Elle comprend principalement des bactéries aérobies photo-‐ et chimiohétérotrophes, mais aussi des bactéries pourpres non sulfureuses qui réalisent la photosynthèse dans des environnements anaérobies. Elles sont très impliquées dans les cycles biogéochimiques du carbone et de souffre, mais aussi dans la symbiose avec des micro-‐ et macroorganismes aquatiques (Pujalte et al., 2014).
Les membres du clade des Roseobacter sont retrouvés dans des environnements marins assez variés (incluant le plancton, le sédiment, la banquise, la surface des animaux, etc.) et constituent environ 20% des communautés bactériennes des eaux côtières, environ 15% des communautés bactériennes de la couche de mélange océanique et moins de 1% à des profondeurs inférieures à quelques centaines de mètres (Buchan et al., 2005). Certains des membres du clade Roseobacter possèdent de la bactériochlorophylle a et sont des phototrophes anoxygéniques aérobies ou AAP (pour « aerobic anoxygenic phototrophs »). Des études ont montré que ce groupe était particulièrement important dans la transformation de composés tels que le DMSP6 qui
6 DMSP signifie diméthylsulfoniopropionate, et correspond à un composé produit principalement par le phytoplancton et les macroalgues dans l’océan. Il a plusieurs fonctions, dont celles de composé osmolyte, antioxydant, cryoprotectant, etc. (Choi et al., 2015).
génère la production de DMS7 (Buchan et al., 2005; Gonzalez & Bashan, 2000), caractéristique qui sera plus développée dans la partie 0 de ce chapitre. Les génomes de plusieurs membres des Rhodobacteraceae ont été séquencés. Le premier fut celui de Silicibacter pomeroyi, qui a des capacités intéressantes comme l’utilisation de composés inorganiques (monoxyde de carbone et des composés soufrés réduits), mais aussi des gènes favorisant les associations avec le plancton et les particules en suspension, tels que des gènes pour l’absorption de la matière organique dérivée du phytoplancton (Moran et al., 2004).
- Comme pour le cluster des SAR11, les membres apparentés au cluster SAR116 des
Alphaproteobacteria sont communément rencontrés dans les banques de clones, en
particulier dans la zone euphotique, mais dans des proportions moindres que les SAR11 (Acinas et al., 1999; Giovannoni & Stingl, 2005; Mullins et al., 1995; Rappé et al., 1997). Très peu d’informations existent sur ce cluster incultivé jusqu’en 2010 (Oh et
al., 2010b). Les analyses culturales et génomiques ont permis de déterminer qu’il
s’agissait de bactéries présentant un métabolisme généraliste, lui conférant un rôle important dans le recyclage des nutriments dans l’océan, comme par exemple dans les cycles biogéochimiques du soufre, via la production de DMS provenant de la dégradation du DMSP (Choi et al., 2015; Grote et al., 2011; Oh et al., 2010b).
1.2.1.1.2. Les Gammaproteobacteria
Il existe une assez grande diversité de Gammaproteobacteria marines caractérisées avec notamment des espèces appartenant aux genres Vibrio, Alteromonas,
Pseudoalteromonas, Marinomonas, Shewanella, Glaciecola, Oceanospirillum, Colwellia, etc.
(Giovannoni & Rappé, 2000). Ce sont des organismes ayant des potentiels de croissance rapide, et qui ont un style de vie adapté aux régimes nutritifs fluctuants (alternant entre zone eutrophes et oligotrophes), tels que sur des surfaces organiques ou dans les intestins des poissons. Cependant, il existe aussi des Gammaproteobacteria oligotrophes incapables de se développer sur milieu riche, tels que le groupe des OMG (pour Oligotrophic Marine Gammaproteobacteria) qui renferme des bactéries de très petite taille (Cho & Giovannoni,
7 DMS signifie sulfure de diméthyle, et correspond à gaz ayant un impact sur l’atmosphère et la régulation du climat.
2004). Et certains clades des Gammaproteobacteria ne comportent pas encore de représentant cultivé, comme par exemple le clade SAR86. Cependant, des analyses récentes de génomique environnementale ont permis de formuler certaines hypothèses sur ses caractéristiques métaboliques, qui permettront peut-‐être de le cultiver en laboratoire (Dupont et al., 2012; Rusch et al., 2013).
Le membre des Gammaproteobacteria le plus connu et étudié est probablement Vibrio spp., un bacille incurvé flagellé à croissance rapide. Il peut être isolé de l’eau de mer ou du sédiment, et est connu pour son impact en aquaculture et pour ses associations avec des organismes eucaryotes. Même si de nombreuses espèces de Vibrio ne sont pas pathogènes, certaines peuvent être pathogènes des poissons (V. anguilarum) ou causer des maladies chez l’homme comme le cholera (V. cholerae). D’autres espèces, comme V. fischeri, vivent de façon symbiotique dans les organes lumineux des poissons-‐phares (ou « flashlight fish ») ou des calamars, où ils émettent un signal bioluminescent.