3. Interactions entre microalgues et bactéries
3.3. Spécificité des interactions entre bactéries et microalgues eucaryotes
3.3.3. Interactions avec les dinoflagellés
Parmi l’ensemble des microalgues eucaryotes, ce sont les dinoflagellés qui sont les plus connus pour leur capacité à produire des phycotoxines, qui peuvent s’accumuler dans la chaine alimentaire et éventuellement causer des empoisonnements chez l’Homme. Dans ce contexte, les dinoflagellés sont particulièrement étudiés dans le but de comprendre et contrôler la prolifération des espèces potentiellement nocives. Le rôle que peuvent avoir les bactéries dans la prolifération, la toxicité et le contrôle des efflorescences algales toxiques a fait l’objet de très nombreuses études (Cho, 2012; Hold et al., 2001a, b; Kim et al., 2009; Lee & Park, 1998; Lovejoy et al., 1998; Lu et al., 2016; Nagasaki et al., 2000; Park et al., 1999, 1998; Skerratt et al., 2002). La production de toxines par certains dinoflagellés a, d’ailleurs, été remise en question puisque la production autonome de certaines toxines a été détectée chez des bactéries (Pseudomonas stutzei et P. diminuta) isolées de dinoflagellés (Martins et al., 2003). Les dinoflagellés sont des microalgues qui peuvent, selon les espèces et le stade de vie, être dotées d’une thèque, comme indiqué dans le Tableau 2. La présence ou absence de thèque semble jouer un rôle primordial dans leurs interactions avec les bactéries. Les dinoflagellés avec une thèque semblent plus résistants à l’action algicide des bactéries que les dinoflagellés sans thèque (Lovejoy et al., 1998). Il a été cependant montré récemment qu’un composé produit par l’actinobactérie Brachybacterium sp. YS-‐3 exerçait une action létale contre Alexandrium catenella, outrepassant l’effet protecteur de sa thèque (Kim et al., 2015b).
Tableau 2 : Quelques dinoflagellés impliqués dans des efflorescences algales qui ont été étudiés dans le cadre d’interactions avec des bactéries
Dinoflagellé Toxicité1 Référence
Avec thèque ? Espèce
Non Gymnodinium catenatum PSP (Lovejoy et al., 1998; Skerratt et al., 2002)
Non Gymnodinium nagasakiense PSP (Imai et al., 1993)
Non Gymnodinium sanguineum PSP (Lovejoy et al., 1998)
Non Gyrodinium sp. NSP (Lovejoy et al., 1998)
Non Gyrodinium cf. uncatenum NSP (Lovejoy et al., 1998)
Non Karenia mikimotoi Gymnocyn, NSP, AZP (Lu et al., 2016)
Oui Alexandrium minutum Saxitoxines (PSP) (Lovejoy et al., 1998)
Oui Alexandrium catenella Saxitoxines (PSP) (Kim et al., 2015b; Lovejoy et al., 1998)
Oui Alexandrium tamarense Saxitoxines (PSP) (Cho, 2012; Hold et al., 2001a, b)
Oui Alexandrium affine Saxitoxines (PSP) mais faible toxicité (Hold et al., 2001a)
Oui Alexandrium lusitanicum Saxitoxines (PSP) (Hold et al., 2001a, b)
Oui Heterocapsa circularisquama Toxine hémolytique photosensible (Nagasaki et al., 2000)
Oui et Non
(dépend du
stade de vie)
Cochlodinium polykrikoides Toxine non déteriminée, notamment
létale pour les poissons
(Cho, 2012; Kim et al., 2009; Lee & Park, 1998; Park et al., 1999, 1998)
Oui Prorocentrum lima DSP et autres toxines (Wagner-‐Döbler et al., 2010)
1 : PSP = Paralytic Shellfish Poisoning (Intoxication par phycotoxine paralysante), NSP = Neurotoxic Shellfish Poisoning (Intoxication par phycotoxine neurotoxique), AZP = AZaspiracid shellfish Poisoning (Intoxication par phycotoxine azaspiracide, qui a des effets diarrhéiques)
Des bactéries appartenant aux genres Alteromonas, Pseudomonas, Antarctobacter,
Roseovarius ou encore Sulfitobacter ont montré un caractère assez généraliste puisqu’elles
ont été retrouvées dans différentes cultures de dinoflagellés Hold, Smith, Rappé, et al., (2001). Cependant, la majorité des isolats bactériens n’a été détecté que chez une des sept cultures algales testées. Par exemple des souches représentant le genre Sulfitobacter ont été dans les cultures d’A. tamarense PCC173a et Scrippsiella trochoidea NEPCC15, alors que les
Alphaproteobacteria des genres Kordia sp., Ahrensia sp. et Stappia sp. ont été retrouvées
uniquement chez A. lusitanicum NEPCC253. Par ailleurs, cette étude a montré que la majorité des bactéries décrites étaient détectées à la fois en début et en fin de phase logarithmique, mais aussi pendant la phase stationnaire de croissance de l’algue (i.e. pas de variation chez A.
lusitanicum NEPCC253). Ceci pourrait indiquer que la composition de la communauté
bactérienne d’une culture algale serait assez stable durant la croissance algale. Une étude complémentaire sur les dinoflagellés A. lusitanicum NEPCC253 et A. tamarense NEPCC407, produisant des toxines paralysantes, a mis en évidence que les bactéries présentes pouvaient influencer la production de toxines (Hold et al., 2001b). Les mécanismes impliqués ne sont pas
clairement établis, mais il a été cependant prouvé que certaines bactéries proches des genres
Stappia (Kopp et al., 1997) ou encore Alteromonas/Pseudomonas (genres détectés chez A. lusitanicum NEPCC253 et A. tamarense NEPCC407) pouvaient produire ces toxines de façon
autonome (Kodama, 2010; Kopp et al., 1997; Martins et al., 2003).
De plus en plus d’études visent à comprendre les mécanismes impliqués dans les interactions entre bactéries et microalgues. Cela passe bien souvent par la description des molécules actives intervenant dans ces interactions. C’est le cas par exemple dans l’interaction entre la bactérie algicide Thalassospira sp. ZR-‐2 et le dinoflagellé Karenia
mikimotoi, où la molécule algicide a été décrite comme correspondant à un acide benzoïque
thermostable (Lu et al., 2016). Alors que l’activité de la bactérie algicide Chitinimonas prasina LY03 sur S. trochoidea et A. tamarense est due à une chitinase (Li et al., 2016b). La bactérie
Deinococcus xianganensis Y35 a montré une forte activité algicide contre A. tamarense par
l’intermédiaire de la deinoxanthine, un pigment rouge générant une surproduction de ROS qui endommage la structure des chloroplastes et mitochondries du dinoflagellé (Li et al., 2015). Une étude s’intéressant à l’action mutualiste des bactéries sur le dinoflagellé Lingulodinium
polyedrum a montré que la croissance de cette microalgue dépendait obligatoirement une
source exogène de vitamines B1 et B12, qui pouvait être apporté par des bactéries associées à l’algue (Cruz-‐López & Maske, 2016). Parmi les bactéries majoritairement présentes dans la culture non supplémentée en vitamines et qui seraient donc de potentielles bactéries mutualistes apportant les vitamines à la microalgue, on retrouve les genres Marivita (74,9%),
Pelagibaca (9,1%) et Maricaulis (7,1%).
Le séquençage des génomes de quatre bactéries associées à des dinoflagellés ont été récemment séquencés et a permis de mieux comprendre les interactions existant entre ces organismes (Jeong et al., 2005; Wagner-‐Döbler et al., 2010; Zheng et al., 2015; Zhou et al., 2016). Celle dont le génome a été séquencé en premier est Hahella chejuensis (Gammaproteobacteria), isolée du sédiment marin et capable de tuer le dinoflagellé
Cochlodinium polykrikoides, par l’intermédiaire d’un pigment lytique, la prodigiosine (Jeong et al., 2005). A l’inverse, l’analyse du génome d’une bactérie Dinoroseobacter shibae DFL12
caractère mutualiste des relations entre ces organismes via la biosynthèse de vitamine B12, essentielle à la croissance de l’hôte algal (Wagner-‐Döbler et al., 2010).
Parmi les symbioses se produisant dans les océans, celles concernant les coraux et certains dinoflagellés appartenant au genre Symbiodinium font l’objet d’une attention particulière. Ces symbioses semblent relativement sensibles aux changements environnementaux et peuvent être très vulnérables face à des bactéries relatives au genre
Vibrio. Lorsque les températures augmentent, ces bactéries peuvent générer une diminution
de la chlorophylle et provoquer jusqu’à la lyse cellulaire chez Symbiodinium par action de protéases extracellulaires (Ben-‐haim et al., 2003; Cervino et al., 2004; Littman et al., 2010). Plus récemment, une étude a mis en évidence l’action néfaste d’une zinc-‐métalloprotéase produite par Vibrio, capable d’inactiver le photosystème II et de créer des lésions dans les tissus des coraux (Sussman et al., 2009). Par ailleurs, lorsque Symbiodinium vit à l’extérieur de son hôte, sous forme libre, il peut former des sphérulites d’aragonite, appelés symbiolites. C’est le produit d’un phénomène d’organominéralisation (Dupraz et al., 2009) nécessitant la présence conjointe de Symbiodinium et de bactéries qui apportent des EPS (Frommlet et al., 2015).